1.1.2. Royaume-Uni : des questionnements sur les liens entre transport et exclusion

Au Royaume-Uni, la déréglementation des transports publics et l’accentuation de la dépendance automobile ont considérablement affecté la mobilité des individus modestes [Banister, 1989 ; Nutley, 1996]. L’augmentation des tarifs des transports en commun a réduit la mobilité des plus pauvres (principalement leurs déplacements de loisirs et de visites), qui ont été plus souvent contraints de se déplacer à pied [Donald et Pickup, 1991]. C’est dans ce contexte sinistré qu’il convient de situer les travaux de Grieco [1995] sur les systèmes d’entraide mis en place, par les ménages modestes du Merseyside, afin de pallier les difficultés de mobilité rencontrées au quotidien.

L’importance accordée aux conséquences sociales des politiques de transport s’est affirmée à la fin des années 1990. En 1997, l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement travailliste s’est accompagnée d’un vaste programme de lutte contre l’exclusion sociale 1 . Une unité gouvernementale chargée de l’exclusion sociale (SEU) a été instituée afin de fédérer les programmes de recherche sur le sujet, lancés dans divers ministères (santé, éducation, transport…). Ces travaux ont révélé les implications directes que pouvait avoir le manque de services publics de base sur l’aggravation des situations d’exclusion. Dans un premier temps la « dimension transport » des situations d’exclusion sociale est restée secondaire [Hine et Mitchell, 2001 ; Lucas, 2004]. En 1999, parmi la batterie d’indicateurs retenus afin de caractériser l’exclusion sociale, un seul était en lien avec le transport et consistait à déterminer le niveau de motorisation du ménage [Gaffron et al., 2001]. Pourtant dès 1995, Grieco dénonçait « the transport blindness of most social theory » et soulignait que « the relationship between power and mobility is deserving of a stronger theorical treatment than it has enjoyed to date […] ; it has become increasingly clear whithin he European social policy climate that the issue of mobility rights and entitlements is a strong and immediate candidate for both academic and political scrutiny » [Grieco, 1995, p. 348].

Sous l’impulsion gouvernementale, la production de recherches académiques sur les interactions entre transport et exclusion sociale s’est ensuite fortement accélérée. La plupart des travaux ont souligné le manque de données empiriques permettant de cerner les conditions de déplacements des individus en difficulté sociale. Ils ont également mis en évidence l’intérêt des approches fondées sur le concept d’accessibilité [Church et Frost, 1999 ; Hine et Grieco, 2003 ; Lyons, 2003]. En 2000, le ministère des transports publie les résultats d’une étude établissant clairement les connections entre transport et exclusion 2 . Puis en 2003, le rapport de la SEU « Making the connections : transport and social exclusion » a établi de manière relativement précise la nature de ces liens. L’unité gouvernementale chargée de l’exclusion sociale (SEU) « a spécifié trois principaux facteurs liés aux transports qui contribuent à l’exclusion sociale, à savoir : l’aménagement foncier et les prestations de services locaux ; l’insuffisance des moyens de transport ; les effets délétères liés à la circulation routière » [Lucas, 2004, p. 81-82].

Le gouvernement britannique impose dorénavant aux autorités locales de prendre en compte les conséquences sociales des politiques de transport dans les documents de planification. Il s’agit de promouvoir l’accessibilité aux équipements pour tous en particulier pour les non-motorisés et d’inciter les individus à prendre part aux débats sur les orientations possibles des politiques [Hine et Mitchell, 2001]. Toutefois, si un certain nombre de préconisations sont explicitement formulées, aucune méthodologie n’a clairement été définie afin d’anticiper et d’évaluer les conséquences des dispositifs adoptés. Plusieurs recherches proposent un cadre méthodologique d’analyse et divers outils d’évaluation [Church et al., 2000 ; Mackett et Titheridge, 2004]. Il convient de souligner qu’à notre connaissance, aucune des solutions proposées au niveau des documents officiels comme dans les recherches académiques n’envisagent de faciliter l’accès à la voiture particulière.

Notes
1.

L’exclusion sociale est définie comme un phénomène multidimensionnel : elle peut résulter ou être accentuée par les échecs de la politique de services publics, elle peut être appréhendée comme les anomalies constatées entre ce que l’individu peut faire et ce qu’il souhaite faire, enfin elle peut être analysée comme un ensemble des difficultés (psychologiques, financières, physiques…) [Lyons, 2003]. Ainsi, bien que les situations d’exclusion soient fortement corrélées à celles de pauvreté, les deux concepts ne sont pas synonymes. En effet, les individus handicapés ou très âgés peuvent être exclus du mode de fonctionnement de la société sans pour autant rencontrer des difficultés financières. C’est dans son acception la plus large que le concept d’exclusion sociale est appréhendé dans les documents officiels [Hodgson et Turner, 2003].

2.

Social exclusion and the provision and availability of public transport (2000), report by TraC at the University of North London for the Department of the Environment, Transport and the Regions.