3.3. Tenir compte des échelles spatio-temporelles de réalisation de la mobilité

Parce que les différents flux de déplacements forment un système, l’analyse des inégalités économiques de mobilité, suppose l’adoption d’une vision élargie de la mobilité, capable de rendre compte des liens et des articulations éventuelles, existant entre ses différents segments.

L’évolution des mobilités au cours des dernières décennies, laisse penser que le rapprochement des pratiques concernant les déplacements les plus élémentaires et les plus répétitifs est susceptible de générer des pratiques de mobilité plus inégalitaires dès lors que le contexte est moins contraint. Tout semble se passer comme si, au cours des dernières décennies, l’impact des transformations socio-économiques sur les modes de vie et les exigences de réactivité et d’adaptabilité, imposées sur le marché de l’emploi notamment, participaient à l’émergence d’un « standard » de mobilité motorisée, coûteux parfois, dans les pratiques quotidiennes, avec pour corollaire une expansion des mobilités récréatives, lointaines et occasionnelles économiquement et socialement différenciée. Nos analyses permettront de préciser le rôle du revenu selon le segment de la mobilité considéré. Au regard des résultats obtenus, l’hypothèse précédente pourra être validée, invalidée ou explicitée.

A défaut de pouvoir analyser simultanément, pour un même individu ses différents comportements de mobilité de semaine, de week-end et de longue distance, notre recherche, en s’inspirant des apports issus des approches systémiques de la mobilité 1 , propose de mener une analyse méthodique de l’impact du revenu en intégrant les différents cadres temporels et spatiaux de production de la mobilité. Nous partons du postulat que les inégalités économiques de mobilité sont susceptibles de se manifester de manière différenciée selon les temporalités sociales et les échelles spatiales à partir desquelles on les observe. Cette hypothèse de travail repose sur l’existence de contraintes variables pesant sur les emplois du temps individuels en fonction du cadre temporel et spatial d’observation de la mobilité et selon la position dans le cycle de vie.

La mobilité d’un jour classique de semaine est fortement structurée autour d’une activité principale, variable selon la position de l’individu dans le cycle de vie et laissant relativement peu de place pour d’autres activités extérieures au domicile. La mobilité quotidienne de semaine est ainsi soumise aux normes qui encadrent les horaires d’activités (travail, école, achats…) et qui introduisent une certaine rigidité dans les schémas de déplacements. Le week-end, les motifs de déplacements répétitifs et contraints perdent du terrain devant les sorties de loisirs ou de sociabilité, plus occasionnelles et l’on peut penser que dans ce contexte plus ouvert, l’influence du revenu est plus significative. Cette hypothèse pourra être complétée et approfondie par l’analyse des inégalités économiques de mobilité de longue distance réalisée chaque année pour un motif personnel 1 . En effet, les voyages qui conduisent les individus au-delà de leurs espaces de vie quotidiens s’inscrivent très largement dans le temps libéré des impératifs professionnels et domestiques. Mais dans ce contexte le coût du déplacement et des activités pratiquées peuvent considérablement borner le champ des possibles.

Selon l’échelle temporelle à laquelle on se situe (semaine, week-end, année) et la portée spatiale des flux analysés (mobilité urbaine, locale, non locale), les motivations et les prescripteurs de déplacements peuvent changer. Ainsi la mobilité de semaine principalement articulée autour de la sphère professionnelle et domestique, dépend essentiellement de facteurs individuels, tandis que la mobilité de longue distance pour motifs personnels, davantage tournée vers la sphère du temps libre, se fait plus collectivement c’est pourquoi elle est plus sensible aux caractéristiques familiales (type de ménage, présence d’enfants…). Le changement de l’échelle d’observation de la mobilité s’accompagne ainsi d’un glissement de l’individuel au collectif dans l’organisation de la mobilité. Si l’unité d’observation de la mobilité reste l’individu, l’intégration des spécificités de chaque segment implique une modification des caractéristiques retenues pour le définir. Dans l’analyse des pratiques quotidiennes en local, le statut d’occupation est primordial tandis que la composition du ménage (célibataire, couple, famille) devient déterminante lorsque l’on analyse les voyages de longue distance (Tableau 11).

Afin de passer des dispersions aux différenciations puis aux inégalités de mobilité, nous proposons de construire les indicateurs de mobilité autour des deux thématiques suivantes : les inégalités d’accessibilité au mode automobile et les inégalités de « consommation de transport », mesurée à partir d’indicateurs classiques permettant d’évaluer les niveaux et les comportements de mobilité. La mobilité sera analysée au niveau individuel. Les données concernant le revenu correspondent aux ressources totales du ménage pondéré par le nombre d’unités de consommation qui le compose.

La voiture particulière apparaît comme une variable clé de la compréhension des pratiques de mobilité. L’appréhension des inégalités d’accès à l’automobilité sera déterminée à l’échelle du ménage à partir de son niveau de motorisation puis à l’échelle individuelle en évaluant les inégalités d’accès au permis de conduire. Un indicateur composite rendant compte des possibilités effectives d’accès régulier et autonome au volant sera également construit (cf. Chapitre 3).

L’approche que nous adoptons ensuite consiste en une photographie des inégalités économiques de mobilité selon trois échelles spatiales et temporelles définies à partir des catégories usuelles d’analyse de la mobilité. Nous travaillerons successivement sur les inégalités de mobilité quotidienne urbaine de semaine (cf. Chapitre 4), sur les inégalités de mobilité locale et non-locale de week-end (cf. Chapitre 5), et sur les inégalités de mobilité de longue distance effectuée dans l’année pour un motif personnel (cf. Chapitre 6). Les principaux indicateurs qui permettent de caractériser des niveaux de mobilité en semaine et durant le week-end sont le nombre de déplacements, la distance parcourue, le temps consacré et la vitesse moyenne de déplacement. Compte tenu des spécificités de la mobilité de longue distance, les indicateurs de niveaux retenus diffèrent légèrement. Il s’agit du nombre de voyages réalisés, des distances parcourues, du nombre de nuits d’absence et du taux de départ au cours des trois mois précédant l’enquête. Les indicateurs de comportement de mobilité utilisés sont exprimés en valeur relative sur le nombre de déplacements réalisés. Nous analysons ainsi l’utilisation des différents modes de transport (marche à pied, voiture conducteur, voiture passager, transport en commun). Nous présentons également les motifs de déplacement classés en grandes catégories ainsi que la répartition spatiale des déplacements. Une grille d’analyse des niveaux et des comportements de mobilité sera construite et ajustée au type de mobilité étudiée : mobilité quotidienne de semaine, mobilité de week-end et mobilité de longue distance. Une présentation détaillée des différents indicateurs retenus sera proposée préalablement à chaque chapitre.

Notes
1.

Les approches systémiques de la mobilité spatiale montrent l’intérêt de la prise en compte des interactions entre mobilité réversible et mobilité irréversible. Le plus souvent il s’agit de mettre en évidence les liens entre mobilité résidentielle et mobilité quotidienne [Bassand et al., 1989 et 2000 ; Knafou, 2000].

1.

Voyages personnels et professionnels à longue distance relèvent de déterminants différents. La restriction de l’analyse aux voyages personnels se justifie par le fait que ces déplacements dépendent plus directement des revenus familiaux, le coût des déplacements professionnels étant plus souvent pris en charge par l’entreprise.