1.3.1. Aux plus modestes, les véhicules les plus anciens

Les ménages les plus modestes possèdent des véhicules nettement plus anciens que les ménages les plus riches (Graphique 28). L’âge moyen du véhicule le plus récent à disposition des ménages est deux fois plus élevé dans le 1er décile que dans le dernier (8 ans pour 4 ans). Près de 40 % des véhicules des ménages les plus modestes sont âgés de 10 ans et plus contre moins d’un véhicule sur 10 parmi les ménages les plus aisés. Inversement, en 1995, près du tiers des véhicules des ménages les plus aisés ont été mis en service après 1992. Chez les ménages modestes, l’accès à la voiture particulière de même que son renouvellement se feront logiquement plus fréquemment sur le marché de l’occasion. Ainsi, bien que l’achat d’occasion soit très répandu quel que soit le quintile, il reste le principal mode d’acquisition pour les plus modestes (plus de 61 % des achats contre 36 % pour les plus aisés d’après l’enquête nationale transport et Communications) (Graphique 29).

Graphique 28 : Année de 1ère mise en circulation du véhicule le plus récent selon le quintile de revenu par UC
Graphique 29 : Etat du véhicule à l’achat selon le quintile de revenu par UC

Toutefois le revenu n’est pas seul en cause, le Graphique 30 montre que c’est principalement parmi les ménages de jeunes célibataires, parmi les ménages monoparentaux et parmi les ménages les plus âgés, à l’exception des couples de jeunes retraités, que les véhicules disponibles sont en moyenne les plus anciens. Pour ces ménages, l’ancienneté du véhicule ne semble pourtant pas relever de la même logique (Graphique 31). L’âge avancé des véhicules des jeunes célibataires résulte principalement d’un recours important au marché de l’occasion (plus de 63 % des achats) tandis que chez les ménages les plus âgés, le véhicule a plus fréquemment été acheté neuf (dans plus de 60 % des cas) et son ancienneté résulte d’un amortissement plus long, en partie parce qu’à la retraite les ménages utilisent moins fréquemment leur voiture.

Graphique 30 : Année de 1ère mise en circulation du véhicule le plus récent selon le cycle de vie du ménage
Graphique 31 : Etat du véhicule à l’achat selon le cycle de vie du ménage

Les politiques de renouvellement du parc automobile au début des années quatre-vingt-dix, grâce au versement d’une prime à la casse 1 pour le rachat d’une automobile neuve, ont eu quelques chances d’accentuer les écarts entre les ménages les plus jeunes et les autres puisqu’elles excluaient de leur bénéfice « les nouveaux jeunes possédant plus rarement une voiture mature » [Chauvel, 1998, p. 178]. Ajoutons qu’elles se sont traduites par des effets d’aubaine favorables aux ménages ayant les moyens de remplacer un véhicule ancien par un véhicule neuf, évolution dans l’ensemble peu favorable aux plus modestes. Soulignons enfin que l’âge du véhicule est relativement indépendant de la zone de résidence une fois les effets liés au revenu, au cycle de vie et à la taille de l’agglomération, contrôlés.

Cette dimension des inégalités verticales de motorisation liée à l’ancienneté des véhicules disponibles n’est pas à négliger, car elle a des implications en matière d’équité sociale face à la sécurité et aux nuisances environnementales. Il paraît assez clair que les progrès réalisés par les constructeurs dans le domaine de la sécurité et du confort, ne profitent pas prioritairement, au moins dans un premier temps, aux plus modestes. Les véhicules des plus pauvres étant nettement plus anciens, les dispositions réglementaires en matière de pollution et de sécurité conduisent à les pénaliser plus fortement 1 . A cela il faut ajouter des véhicules vraisemblablement plus consommateurs d’énergie et désavantagés par la taxation défavorable aux carburants plombés et donc aux détenteurs des véhicules les plus anciens. D’autres études font état d’une automobilité « dégradée » chez les ménages les plus pauvres, parce que les véhicules ne sont pas toujours en état de marche ou parce l’usage en est rationné [Mignot et al., 2001 ; Chevallier, 2002]. Le même constat est formulé par Le Breton [2002] qui montre néanmoins que chez les plus défavorisés, la faible valeur instrumentale de la voiture peut être compensée par sa forte valeur symbolique dans la « conjuration de l’exclusion ». Le durcissement des normes risque donc à termes de limiter l’accès des ménages modestes à l’automobile et/ou de voir se multiplier les pratiques déviantes déjà constatées en matière de contrôle technique et d’assurance [Chevallier, 2002].

Notes
1.

Du 1er octobre au 31 décembre 1992, le gouvernement a octroyé une aide de 2000 F (305 €) pour l’achat d’une voiture neuve équipée d’un pot catalytique. Une prime à la casse de 5000 F (762 €) a été offerte pour la reprise d’un véhicule de plus de 10 ans contre l’acquisition d’une voiture neuve entre février 1994 et juin 1995. D’octobre 1995 à septembre 1996, l’Etat a accordé une prime de 5000 F ou 7000 F (762 ou 1067 €) au détenteur d’une automobile de plus de 8 ans qui la mettait à la casse où en achetait une neuve [Baron, 2002]. Ces mesures, ne se répercutent pas toutes dans les données disponibles compte tenu du décalage temporel. Elles apparaissent néanmoins, selon L. Chauvel, comme une politique de classe d’âge à la défaveur des plus jeunes [Chauvel, 1998].

1.

69,2 % des voitures appartenant aux ménages les plus modestes ne sont pas « pastillées » contre 55,3 % des voitures appartenant aux plus aisés, résultats issus de la vague 1998 du panel « Parc Auto » INRETS-ADEME, SOFRES, [Hivert, 2000].