2.2.3.2. En milieu de cycle de vie, des inégalités liées au statut d’activité

Dans l’agglomération lyonnaise, la part des hommes actifs accédants au volant est relativement sensible au revenu, passant de 74 % à 92 % du 1er au dernier quintile. Mais chez les femmes l’effet du revenu est encore bien plus net de 50 % à 81 % du 1er au dernier quintile. Les différentiels inter-genres se réduisent lorsque le revenu augmente, ce qui est en grande partie la conséquence du développement de la bi-motorisation chez les ménages aisés. Les indices de concentration traduisent cet effet différencié du revenu selon le genre, mais chez les hommes comme chez les femmes les inégalités restent faibles (respectivement 0,037 et 0,081) (Tableau 23).

Tableau 23 : Ecarts interquintiles et coefficients de concentration du niveau d’accès au volant
  Ecart interquintile Q5/Q1
Coefficients de concentration
  Accès au volant Revenu par UC
Actif à plein temps 25-59 ans
- Homme
- Femme
1,3
1,2
1,6
0,051
0,037
0,081
0,266
0,275
0,253
Chômeur 25-59 ans
- Homme
- Femme
1,6
1,8*
1,1*
0,133
0,152
0,134
0,328
0,359
0,292
Femme au foyer 25-59 ans 5,2 0,335 0,343
* Effectif faible, résultat peu significatif

Source : EMD de Lyon 1994-1995

Le contexte spatial revêt une importance fondamentale dans les conditions d’accès à l’emploi du fait de la répartition des emplois et de la configuration des réseaux de transport qui désavantagent les zones les plus périphériques. Dans ces conditions les inégalités verticales d’accès au volant des actifs s’avèrent très discriminantes, en particulier pour ceux qui résident ou travaillent en périphérie 1 . Dans l’agglomération lyonnaise on constate que l’empreinte du revenu sur l’accès au volant diminue du centre à la périphérie chez les hommes comme chez les femmes. Les femmes du centre les plus aisées ont un accès 1,9 fois supérieures à celui des plus modestes (1,5 chez les hommes) tandis qu’en 2ème couronne le niveau d’accès des femmes du dernier quintile est 1,4 supérieur à celui de leurs homologue du 1er quintile (1,1 fois chez les hommes) (Graphique 50, Graphique 51). Ainsi, si les inégalités verticales se réduisent pour tous du centre à la périphérie, la situation des femmes reste toujours plus inégalitaire.

Graphique 50 : Taux d’accès au volant des hommes actifs selon la localisation du lieu de résidence
Graphique 51 : Taux d’accès au volant des femmes actives selon la localisation du lieu de résidence

Source : EMD de Lyon 1994-1995

Enfin, dans l’agglomération lyonnaise, l’accès au volant des hommes et des femmes les plus modestes ne se traduit pas par des distances domicile-travail significativement plus élevées que celles observées chez les plus aisés (Tableau 24). Les contraintes spatiales s’expriment plus fréquemment par des lieux de travail moins bien desservis pour les plus modestes. On note ainsi que les actifs accédants au volant et appartenant aux 2 premiers quintiles travaillent majoritairement en périphérie (55 % en moyenne contre 40 % pour le dernier quintile respectivement 46 % et 31 % pour les non-accédants). Soulignons également que chez les hommes le non-accès des plus aisés se traduit par une plus grande proximité du lieu de travail alors que les non-accédants du 1er quintile restent aussi éloignés que les autres soit 2 fois plus éloignés que leurs homologues des ménages aisés.

Tableau 24 : Distances domicile travail des actifs selon le revenu et l’accès au volant
  Distance domicile-travail (km)
des accédants au volant
Distance domicile-travail (km)
des non-accédants au volant
Revenu par UC Ensemble Hommes Femmes Ensemble Hommes Femmes
Q1 6,4 7,0 5,0 4,9 6,6 3,4
Q2 6,9 7,6 5,4 4,1 5,5 3,2
Q3 6,7 7,2 5,7 3,8 4,4 3,5
Q4 7,1 7,3 7,0 4,6 5,8 4,1
Q5 6,6 6,9 6,1 3,4 3,1 3,6
Moyenne 6,8 7,2 6,1 4,2 5,2 3,5

Source : EMD de Lyon 1994-1995

Pour les chômeurs, l’accès au volant élargit l’aire de prospection et s’avère donc crucial pour trouver un emploi. Or, dans l’agglomération lyonnaise, moins de la moitié des chômeurs du 1er quintile peut mobiliser régulièrement un véhicule pour chercher un emploi. Les niveaux varient entre 49 % et 77 % du 1er au 3ème quintile. Les inégalités d’accès au volant sont significatives, mesurées grâce aux indices de concentration, elles s’élèvent à 0,133 et sont ainsi bien plus élevées que chez les actifs (Tableau 23). Notons que les chômeurs constituent le seul groupe de notre population pour lequel l’impact du revenu apparaît plus discriminant chez les hommes (0,152) que chez les femmes (0,134). Cette différence provient probablement d’inégalités de revenu nettement supérieures chez les hommes (0,359) que chez les femmes (0,292). Ces inégalités d’accès au volant significatives ne sont donc pas sans conséquence sur les possibilités de retrouver un emploi qui seront à leur tour différenciées selon le revenu. La multiplication des emplois atypiques (CDD, intérim…) souvent à horaires décalés et qui imposent une grande variabilité des lieux de travail (chantier, services à la personne, missions diverses) renforcent les handicaps des non-accédants. Néanmoins les coûts monétaires associés aux déplacements effectués en voiture particulière viennent modérer l’image d’un mode capable de s’affranchir de toutes les barrières spatiales, tout particulièrement chez les plus vulnérables économiquement. Ainsi même parmi les accédants, l’espace de prospection peut être relativement circonscrit et accepter un emploi peut faire l’objet d’un véritable calcul de sa rentabilité eu égard à l’investissement nécessaire pour s’y rendre [Mignot et al., 2001].

Chez les femmes au foyer, le faible niveau d’accès au volant (46 %) résulte pour partie d’un accès au permis de conduire encore loin d’être généralisé (seules 62 % sont titulaires). La possibilité de pouvoir conduire régulièrement une voiture est fondamentalement dépendante du revenu du ménage, l’impact exercé par la localisation du lieu de résidence apparaissant très secondaire. Ainsi, seules 17 % des femmes au foyer du 1er quintile accèdent au volant, soit un écart de plus de 72 points avec leurs homologues les plus aisées. Parmi les titulaires du permis, l’écart entre les deux classes extrêmes de revenu par UC se réduit mais reste important (de 50 % à 95 %). On constate ainsi que la valeur très élevée de l’indice de concentration de l’accès au volant est du même ordre de grandeur que l’indice de Gini des revenus (Tableau 23). Les situations très variées auxquelles renvoie le statut de femmes au foyer expliquent l’ampleur des variations observées : ainsi la situation des actives qui arrêtent momentanément de travailler suite à une naissance par exemple est-elle bien différente de la situation de celles qui y ont renoncé définitivement ou qui n’ont jamais exercé d’activité professionnelle par manque de qualification ou par conformité aux identités sexuelles traditionnelles au sein du couple. Pour les plus modestes les possibilités extrêmement réduites d’accès à la mobilité motorisée autonome participe de l’enfermement social et spatial en les assignant à résidence et en les rendant dépendantes des accompagnements en voiture pour les déplacements les plus éloignés. Pour ces femmes, tout se passe comme s’il leur était refusé « l’autorisation morale à se déplacer » au-delà de l’environnement résidentiel, autorisation qu’elles ne peuvent trouver dans l’exercice d’une activité rémunérée [Coutras, 1993]. Cette situation est d’autant plus difficile à surmonter que les déplacements « domestiques » laissent apparaître de nouvelles exigences de mobilité motorisée liée à la dispersion des lieux d’approvisionnement et aux « impératifs » de la mobilité enfantine comme en témoigne la localisation périphérique des grandes surfaces et l’augmentation des accompagnements en voiture des enfants (à l’école, aux activités sportives et culturelles…).

Notes
1.

Pour une analyse détaillée des disparités d’accessibilité à l’emploi selon la CSP en Ile-de-France voir Wenglenski [2003].