2.4.3. Des rapports à l’espace différenciés

Les variables spatiales dont nous avons tenues compte ne se limitent pas à la localisation du lieu de résidence. Au cours de notre analyse, nous nous sommes également préoccupés des espaces de circulation fréquentés par les individus selon leur revenu. Nous avons ainsi montré que les individus aisés disposaient d’une bonne maîtrise du champ spatial et qu’ils s’affranchissaient très largement des barrières géographiques. Cela tient bien entendu au différentiel observé quant à l’accès au mode automobile mais également à l’éventail de choix dont ils disposent pour définir leur lieu de résidence, d’achats, de loisirs… Ainsi, dès le plus jeune âge les modes d’investissement et d’appropriation de l’espace des classes aisées sont sélectifs et stratégiques alors que l’insertion spatiale des plus modestes est davantage basée sur la proximité. Les individus les plus aisés développent des identités territoriales multiples et complexes tandis que celles des plus démunis se caractérisent par un ancrage résidentiel fort et par des liens faibles avec les espaces lointains.

Au plan local, nous avons mis en évidence que l’orientation des déplacements de semaine était d’autant plus centrale que les revenus étaient élevés. Pour les actifs, cela tient à la forte tertiarisation de l’emploi lorsque l’on s’élève dans la hiérarchie salariale. Or l’emploi tertiaire demeure encore principalement localisé dans le centre. Mais cette inscription plus centrale des déplacements est valable pour tous les sous-groupes analysés, des scolaires aux retraités. Elle doit être rapprochée du choix d’un établissement scolaire renommé, souvent localisé dans les centres urbains, mais également de modes de vie accordant une plus grande place aux activités de loisirs dont la ville est pourvoyeuse.

L’analyse des pratiques de longue distance a montré que, plus les individus sont aisés, plus ils évoluent sur des échelles spatiales étendues qui dépassent souvent les frontières nationales. Les groupes sociaux les plus favorisés ont en effet une plus grande ouverture sur les ressources non locales (amitiés distantes, éloignement familial, réseaux sociaux fournis et dispersés). Rappelons toutefois la spécificité des individus de nationalité étrangère qui souvent malgré leurs faibles revenus, entretiennent des rapports plus ou moins fréquents avec leur pays d’origine. Leurs niveaux de mobilité à longue distance peuvent ainsi être supérieurs à ceux des individus disposant de ressources financières plus importantes. Cet exemple illustre bien la complexité inhérente à l’identification des inégalités de mobilité. En effet la mobilité ne peut être appréhendée comme une dimension autonome car elle s’inscrit à part entière dans les modes de vie qu’elle contribue en retour à modifier.