3.1.2. Tenir compte des automobilistes « pauvres »

Au-delà des conditions d’accès à la motorisation de ceux qui en sont exclus, ce travail nous interroge sur la situation des individus modestes et motorisés. Quels sont les impacts possibles d’un renchérissement du coût de la mobilité sur ceux pour qui l’accès au volant est déjà une source de difficultés ? A l’heure où l’on évoque de plus en plus la possibilité de pénaliser financièrement les automobilistes pour réguler l’usage de la voiture particulière en ville, il convient de souligner le manque de données permettant d’estimer précisément les conséquences de ces politiques selon la position dans la hiérarchie sociale [Nicolas et al., 2002]. Le renchérissement des coûts de la mobilité a néanmoins toutes les chances de pénaliser fortement ceux qui ont déjà à surmonter d’importantes difficultés pour accéder à l’automobilité [Darbera, 2001]. Toute augmentation est alors susceptible de se traduire par des arbitrages entre les différents postes de consommation et par la démotorisation d’une partie des individus. Que cette majoration des coûts soit motivée par des préoccupations environnementales ou qu’elle résulte du contexte géopolitique (fluctuation du prix du baril de pétrole), dans le système actuel, elle entre profondément en conflit avec les objectifs d’équité dans l’accès aux modes. Des mesures d’aides, sous condition de revenu, pourraient être envisagées pour ceux dont l’usage de la voiture particulière est le plus contraint.

Par ailleurs, dans le chapitre consacré aux inégalités d’équipement automobile des ménages, nous avons vu que les véhicules appartenant aux ménages modestes étaient les plus anciens, vraisemblablement les plus consommateurs d’énergie et les plus polluants. Ainsi lorsqu’ils se traduisent par une augmentation des coûts d’usage des véhicules anciens (comme pour le super plombé) ou l’obligation d’utiliser des automobiles moins polluantes (et donc plus récentes), les principes environnementaux de gestion de la mobilité pénalisent prioritairement les plus modestes. Les lois et les mesures réglementaires (effectives ou potentielles) inspirées par la montée des valeurs environnementales doivent donc impérativement prendre la mesure de leurs implications en termes d’équité sociale [Jemelin et al., 2005 ; Wiel, 2002]. Elles sont en effet susceptibles d’hypothéquer le droit effectif à la mobilité des plus vulnérables si elles ne sont pas modulées socialement [Ascher, 1998]. Loin de remettre en cause la légitimité des questions environnementales, il s’agit ici d’attirer l’attention sur leur impact social car, bien que les différentes dimensions constitutives de la mobilité durable soient irréductibles, le risque est de voir les logiques environnementales prendre le pas sur les enjeux sociaux.