3.2. De nouvelles politiques urbaines pour garantir l’accessibilité aux activités ?

On peut s’interroger sur la réversibilité des tendances qui conduisent au renforcement de la dépendance automobile, notamment si l’on tient compte des menaces que font peser le réchauffement climatique et la contrainte énergétique sur le système actuel. Il reste qu’aujourd’hui la voiture n’est plus perçue comme un privilège mais comme un bien de base, nécessaire au quotidien. Cependant d’un point de vue social, les réponses axées sur la généralisation de l’accès à l’automobile peuvent être sujet à controverses dans la mesure où elles risquent d’accentuer la ségrégation socio-spatiale 1 [Wiel, 2005]. Derrière la question de l’accès au volant c’est, en effet la problématique du choix (du lieu de résidence, d’achat, de sorties, de loisirs…) qui se dessine. Nos analyses ont montré que les individus aisés qui n’accèdent pas au volant, certes peu nombreux, ne semblent pas rencontrer de difficultés particulières dans l’organisation de leurs déplacements. Ils bénéficient souvent d’une localisation centrale garantissant une bonne accessibilité aux lieux. C’est dans cette direction que des efforts doivent être consentis afin de lutter contre les situations de captivité à un mode (que ce soit l’automobile ou les transports en commun) ou à un lieu. Cela passe bien entendu par une meilleure articulation des politiques de logement, d’urbanisme et de transport, comme le prévoit la loi SRU.

Une plus grande égalité des chances en matière de mobilité suppose de redonner un sens collectif aux choix individuels. Or on le sait, le coût du logement apparaît comme une variable déterminante de la localisation résidentielle. A ce titre, il constitue un puissant levier d’orientation en matière de planification urbaine. Si l’on souhaite réduire les inégalités de mobilité, les efforts doivent s’orienter vers un modèle de croissance urbaine plus dense et moins ségrégé. Cela passe par une amélioration de l’attractivité de l’offre de logements dans les centres urbains, en particulier pour les familles, grâce à la réhabilitation de friches industrielles par exemple. La mise à disposition de logements sociaux et intermédiaires de qualité, bénéficiant d’une bonne accessibilité aux activités, est susceptible d’offrir une alternative crédible à la dispersion de l’habitat. La mixité sociale des espaces pourrait être complétée par une mixité fonctionnelle en agissant sur la localisation des activités. Ces préconisations n’ont pourtant pas toujours la faveur des élus ni parfois des citoyens car derrière ce modèle de redensification plane parfois le souvenir des espoirs déçus des politiques de construction de grands ensembles dans les années soixante-dix. C’est donc aussi sur le plan des représentations et des mentalités qu’il conviendrait d’intervenir pour casser certaines images pourtant bien ancrées. Une organisation plus collective et plus cohérente des modes de vie conditionnera par la suite l’efficacité des transports urbains et la crédibilité des alternatives au « tout automobile ».

Malgré divers textes législatifs témoignant de la volonté de maîtriser l’urbanisation, l’étalement urbain se poursuit en France si bien qu’aujourd’hui c’est au sein des communes rurales de l’espace à dominante urbaine que l’accélération de la croissance démographique est la plus sensible [Morel et Redor, 2006]. Ces évolutions conduisent à une différenciation démographique et sociale des territoires. Aujourd’hui les moyens mis en œuvre par la puissance publique pour agir sur la production urbaine semblent encore très insuffisants. La France se caractérise en effet par une faible maîtrise foncière publique et par un niveau d’intervention limité concernant la construction de logements sociaux. Pourtant les politiques menées dans d’autres pays européens comme l’Allemagne ou les Pays-Bas ouvrent des perspectives encourageantes quant aux conséquences bénéfiques issues des politiques publiques volontaristes. En Allemagne des prêts sont accordés aux logements permettant de réduire les émissions de CO2, aux Pays-Bas les politiques d’attribution des logements sociaux intègrent le critère de minimisation des distances domicile-travail, de même les frais réels des déplacements domicile-travail ne sont déductibles des impôts uniquement s’ils sont effectués en transports en commun [Castel, 2004].

Pour parvenir à un mode de croissance urbaine plus cohérent et moins ségrégé, des politiques contraignantes devront être adoptées afin de limiter les installations en périphérie tout en tenant compte des profils sociaux des ménages, au risque de voir s’accentuer les processus de relégation urbaine. Il reste que le choix d’un mode de vie périurbain résulte également des aspirations d’une partie des ménages. Pour tenir compte de ces préférences, d’autres solutions, « (…) sans doute politiquement et financièrement plus réalistes, optent pour une extension urbaine regroupée plutôt qu’éparpillée mais pas obligatoirement autour de la seule agglomération » [Wiel, 2002, p. 89]. Cette option s’oriente vers une dédensification urbaine qui n’est pas incompatible avec une localisation de l’habitat pavillonnaire et des pôles d’activités sur un modèle plus urbain, grâce à la création de villes multipolaires avec des noyaux de centralités multifonctionnels bien desservis par les transports en commun [Beaucire, 2000].

Si les orientations des politiques d’urbanisme s’avèreront incontestablement décisives concernant la gestion des mobilités, leur efficacité dépendra également de l’évolution des modes de production économique. Pour ne prendre qu’un exemple, il apparaît que la plus grande flexibilité du travail observée au cours des dernières décennies s’est traduite de manière distincte selon la position dans la hiérarchie salariale. Même s’ils travaillent souvent le soir ou durant le week-end, les cadres bénéficient aujourd’hui d’une plus grande souplesse dans l’organisation de leur emploi du temps quotidien ou annuel. A l’inverse, les ouvriers ou les employés ont vu leurs horaires de travail varier, tout en demeurant très rigides. Les horaires et les semaines de travail décalés, la variabilité des lieux d’emploi (parfois quotidienne), le développement des journées « hachées » dans le tertiaire d’exécution, l’intérim, ne sont plus des modes d’organisation exceptionnels. Ils gagnent de l’importance en particulier parmi ceux qui sont les moins bien armés pour gérer leurs déplacements, surtout lorsque le lieu d’emploi est éloigné du centre et mal desservi. La généralisation de ce mode d’organisation doit impérativement s’accompagner d’une meilleure participation des entreprises face aux difficultés de mobilité rencontrées par certains de leurs salariés.

Dès lors que l’on s’écarte d’un mode d’appréhension strictement sectoriel, les réponses susceptibles de réduire les inégalités de pratiques de mobilité nous renvoient à l’organisation d’ensemble des modes de vie. Le développement économique des sociétés modernes passe et passera encore par une plus grande capacité de mouvement, d’adaptabilité et de réactivité, susceptibles d’entretenir la concurrence entre les individus et les territoires. Dans le même temps, les revendications en matière de respect de l’environnement, fortement soutenues par la population, semblent aujourd’hui gagner du terrain dans les décisions en matière de politiques publiques. La dimension environnementale de la mobilité est progressivement prise en compte par le marché, comme en témoigne les efforts consentis par les constructeurs automobiles pour améliorer les moteurs des véhicules les plus récents (réduction des émissions, baisse de la consommation énergétique). Mais, alors que des points de convergence semblent apparaître entre les logiques de performance économique et de qualité environnementale, les implications en termes d’équité sociale des politiques demeurent encore trop secondaires. Dans ce contexte, la situation des individus dont les possibilités de localisation résidentielle sont fortement réduites et qui ne disposent pas d’un réel choix modal, semble fortement pénalisée, voire menacée.

Notes
1.

« (…) plus de mobilité facilitée ne signifie pas plus d’équité (le faux nez des politiques à prétention libérale) mais moins de mixité à cause du surcroît de compétition pour l’espace. C’est toute la différence entre l’esprit de la LOTI (le droit à la mobilité) et celui de la loi SRU (le devoir de mixité), l’exacte mesure de ce que la réalité de l’évolution urbaine nous aura appris dans la période située entre les deux lois » [Wiel, 2005, p. 23].