1.2. …à une architecture fonctionnelle en appui sur l’interaction des processeurs

Comme nous l’avons précisé précédemment, le modèle à double voie initial repose sur l’idée que les deux voies opèrent en parallèle, de façon séparée et non en complémentarité. Seule une route permet l’identification du mot. La voie par adressage serait le plus souvent empruntée pour traiter les mots, son activation serait plus rapide que celle de la voie par assemblage. La phonologie aurait, par conséquent, un rôle optionnel (pour une synthèse, voir Ferrand, 2001).

Cependant, cette conception ne permet pas de répondre à un ensemble de données expérimentales disponibles. Nous en présentons ici succinctement deux types.

Deuxièmement, des résultats concernant le paradigme d’amorçage rapide dans une tâche de décision lexicale (Ferrand & Grainger, 1992, 1993, 1994)montrent dans une condition de brève présentation de l’amorce (33 millisecondes), un effet de facilitation orthographique lors de la reconnaissance du mot et une absence d’effet de facilitation phonologique. Les auteurs en concluent que les unités du code orthographique sont les seules à être précocement activées. En revanche, lorsque le temps de présentation de l’amorce est plus élevé (67 millisecondes), l’effet de facilitation phonologique est systématique. Cela tend à prouver l’intervention automatique de l’information phonologique dans le traitement précoce des mots lus. Cependant, ce dernier point fait à son tour l’objet d’un débat. En effet, d’autres données (Kouider & Dupoux, 2001 ; Kouider, Peerman & Dupoux, soumis) remettent en question cette seconde conclusion, dans la mesure où l’effet facilitateur du code phonologique dépendrait du fait que les sujets ont alors conscience de l’amorce, ce qui n’est pas compatible avec l’hypothèse de l’automaticité. Seul le code orthographique serait activé de façon automatique dès la reconnaissance du mot, alors que le code phonologique n’interviendrait de façon automatique que lors de la production orale du mot.

Toutefois, il semble que la conception initiale proposée par le modèle à double voie (Coltheart, 1978, 1981) soit dépassée (Fayol & Gombert, 1999). Il existe aujourd’hui une conception phonologique modérée (Frost, 1998 cité par Ferrand, 2001) qui suggère que la lecture ne repose pas sur l’utilisation exclusive du code orthographique mais sur une utilisation conjointe des codes orthographiques et phonologiques. Plusieurs modèles intègrent ces données tel le « modèle à activation multiple » (Ferrand & Grainger, 1994, 1996, lui-même inspiré du « modèle à activation interactive » de McClelland & Rumelhart, 1981 ; « modèle à traitement parallèle distribué » de Seidenberg & McClelland, 1989a et b).Le modèle à double voie a lui-même été amélioré en fonction des travaux menés depuis (modèle « Dual Route Cascade » de Coltheart, Rastle, Perry, Langdon & Ziegler, 2001 cité par Ferrand, 2001).Sans présenter chacun d’entre eux de façon exhaustive, nous relevons ici ce qu’ils nous apportent de nouveau concernant notre propre sujet.

Le « modèle à activation multiple » (Ferrand & Grainger, 1994, 1996) introduit un système de connexions entre des unités orthographiques infralexicales et des unités phonologiques infralexicales. La présentation d’un stimulus écrit active les unités orthographiques infralexicales (lettres ou groupe de lettres), qui elles-mêmes activent les unités phonologiques infralexicales ainsi que les représentations orthographiques lexicales. Les représentations lexicales phonologiques sont elles-mêmes stimulées par l’activation des représentations lexicales orthographiques ainsi que par les unités phonologiques infralexicales. L’identification du mot repose donc sur l’activation simultanée des deux sources d’informations, orthographiques et phonologiques, et non exclusivement sur l’une des deux.