3.1. Les études auprès de l’enfant

Deux grands courants s’opposent sur la question de la concomitance du développement des deux activités ainsi que sur leurs interactions. Cependant, les auteurs se rejoignent sur le fait qu’à un moment donné, l’activité conceptualisatrice que développe l’enfant doit associer ces deux activités, en intégrant leur réciprocité.

Pour Ferreiro (citée par Luis, 1993), lire et écrire ne sont que les deux facettes de la construction d’un même objet. Un sujet, quand il lit ou écrit, a une même conceptualisation de l’Ecrit, car l’Ecrit constitue un objet cognitif unique, y compris durant l’apprentissage. Une étude effectuée dans la lignée de cette conception (Rieben, Meyer & Perregaux, 1989) montre qu’effectivement des enfants de première primaire 8 utiliseraient des représentations lexicales basées sur des indices de même taille (syllabe, forme globale du mot, correspondances graphèmes phonèmes,…) dans une tâche de lecture et dans une tâche de production écrite. Cependant, cette seconde tâche consiste à recopier des mots écrits sur un tableau, l’observateur s’appuyant sur le type d’unités que l’enfant cherche à mémoriser avant de le recopier pour déterminer le « niveau » de l’activité conceptualisatrice. Qu’en serait-il dans une tâche d’écriture « libre » ?

Ehri (1997), quant à elle, utilise un modèle de développement normal dans lequel les deux activités, lecture et compétence orthographique (être capable de produire correctement l’orthographe des mots), se développent en parallèle et de façon liée car elles partagent des processus similaires et constituent des manifestations des mêmes sources de connaissances sous-jacentes. Le système fonctionne grâce à un transfert de connaissances réciproque. Par exemple, lors de l’apprentissage de la lecture, les informations relatives aux mots lus se développent et sont retenues en mémoire, elles sont alors disponibles pour aider à orthographier ces mêmes mots ultérieurement. En revanche, Ehri constate que ce même raisonnement ne peut tenir pour les lecteurs et orthographieurs déficients. En effet, les études corrélationnelles comparatives entre lecteurs « normaux » et lecteurs déficients montrent que ces derniers obtiennent des coefficients de corrélation systématiquement moins élevés entre lecture et orthographe que les lecteurs normaux. Elle en conclut que les processus sous-jacents aux deux activités seraient moins inter-reliés. Les connaissances relatives au système alphabétique (conversion graphème-phonème) étant limitées, les représentations spécifiques des mots en mémoire ne se développeraient pas aussi bien que chez le lecteur-orthographieur « normal », ce qui pénaliserait l’interconnection entre les représentations de mots issues de la lecture et celles issues de l’orthographe.

Frith (1985, 1986) estime que les deux activités ne se développent pas de façon synchrone mais interagissent. Chacune des activités serait le « pacemaker » de l’autre à un moment donné du développement. La procédure par assemblage se développerait d’abord en production écrite puis se transférerait en lecture. Plusieurs études (voir une synthèse chez Sprenger-Charolles & Casalis, 1996) corroboreraient cette hypothèse chez des enfants de langue française, lorsqu’ils ont à lire et à écrire des pseudo-mots ne contenant que des phonogrammes simples (hors digraphes). Leurs performances seraient alors plus élevées en écriture qu’en lecture. En revanche, en présence de phonogrammes complexes, la différence s’annulerait.

Enfin, Luis (1993), en développant la théorie du double objet, part de l’hypothèse qu’il existerait une relative indépendance entre ces deux activités en début d’apprentissage, la construction d’un seul objet cognitif coïncidant avec la conceptualisation phonographique alphabétique. En menant différentes études de cas auprès d’enfants en grande section de maternelle, elle montre, en effet, que certains enfants n’appliquent pas systématiquement les mêmes hypothèses lors de ces deux activités. « Certains enfants n’ont pas UNE représentation de l’écrit, mais DES représentations, et notamment une représentation dans l’activité d’écriture et une autre, différente, dans l’activité de lecture » (p.167). Par conséquent, ces enfants ne transfèrent pas les procédures d’une activité à l’autre, alors même qu’elles peuvent s’avérer de plus en plus opérationnelles. À titre d’exemple, Karima, dès le début de l’année, en activité de lecture, se fie à la forme des mots et repère ceux qu’elle connaît, alors qu’elle cherche le plus souvent à appliquer des correspondances phonographiques en production écrite.

Notes
8.

La première primaire qui correspond au cours préparatoire en France.