4.1. Conscience phonologique

Un large courant de recherche suggère que les enfants qui présentent des difficultés spécifiques dans l’acquisition de la lecture manifesteraient des troubles dans le domaine de la phonologie. Ramus et al. (2003) montrent que sur 16 étudiants dyslexiques (suivis pour ce problème durant leur scolarité), tous présentent des désordres phonologiques, et pour 5 d’entre eux indépendamment de tout autre trouble auditif, visuel ou moteur. Les tests phonologiques utilisés sont la dénomination automatique d’images et de chiffres ; l’inversion des phonèmes initiaux de mots (basket-lemon=lasket-bemon) ; la répétition immédiate de non-mots. Aucune des épreuves ne fait intervenir la lecture. Les dyslexiques ont des résultats significativement plus faibles que les sujets contrôles, à toutes ces épreuves, que la mesure porte sur la vitesse ou sur le nombre de réponses justes. Les auteurs en concluent que tous les dyslexiques de l’étude « souffrent d’un déficit phonologique » (p. 853).

Pour certains auteurs, ces troubles phonologiques seraient systématiquement présents dans la dyslexie, même si celle-ci n’est pas une entité homogène (Casalis, 1997 ; Lecocq, 1991 ;Ramus, 2002 ; Stanovitch, 1988). Les variations interindividuelles dépendraient davantage de mécanismes compensatoires et de l’âge des enfants. A ce titre, Griffiths & Snowling (2002) proposent l’hypothèse de gravité (intensité) du trouble phonologique (the severity hypothesis) : « le trouble de la lecture dans les cas individuels de dyslexiques dépend de la gravité du déficit du processus phonologique, des ressources plus générales (la mémoire) et également de l’expérience de lecteur » (p.41, traduction personnelle). Selon ces auteurs, la dichotomie entre la dyslexie phonologique et la dyslexie de surface n’est pas satisfaisante puisque même les enfants qui auraient une dyslexie de surface présenteraient également des troubles dans le processus phonologique.

Enfin, ce déficit d’ordre phonologique qui se manifeste au travers de difficultés à analyser et à manipuler de façon délibérée les unités phonologiques de la parole, s’originerait dans un trouble phonologique plus précoce (Lecocq, 1991, 1992 ; Snowling & Hulme, 1992 ; Valdois et al., 2000 ; Ramus, 2002 ; Ramus et al., 2003). Il se situerait au niveau de la représentation, du stockage ou de la récupération des phonèmes (Ramus, 2002 ; Ramus et al., 2003).

Le débat scientifique discutant de la nature des liens entre développement de la lecture et conscience phonologique est florissant : qui des deux précède l’autre et en favorise le développement (Alegria & Morais, 1989 ; Armand, 2000 ; Bryant & Bradley, 1985 ; Gombert, 1990 ; Lecocq, 1991 ; 1992 ; Morais, Alegria & Content, 1987 (a et b) ; Morais, Cary, Alegria, & Bertelson 1979 ; Olofsson & Lundberg, 1983, 1985 ; Read, Zhang, Nie & Ding, 1986 ; Stuart et Coltheart, 1988) ? Un consensus paraît trouvé autour d’une forte interaction et d’un renforcement mutuel des deux activités. Ainsi que le résume le point de vue développé par Stanovitch (1987), la conscience phonologique est un pré-requis absolu au progrès en lecture, bien qu’elle soit elle-même encouragée par l’attitude analytique du décodage. La conscience phonologique est « un puissant mécanisme d’amorçage pour le progrès  à venir de la lecture » (p.515, traduction personnelle), en particulier de la procédure dite alphabétique (Stanovitch 1987 ; Gombert, 1990 ; Casalis, 1997). Pour Alegria et Morais (1996), la prise de conscience de la structure phonologique de la parole est indispensable pour comprendre le code alphabétique. Elle serait indispensable parce qu’elle interviendrait dans l’élaboration de l’assembleur phonologique qui serait lui-même essentiel à la procédure dite alphabétique. Elle permet de mettre en place « un système génératif de traduction de l’orthographe en phonologie » (p.87). L’enfant deviendrait lecteur lorsqu’il aurait pris conscience de l’existence du phonème et qu’il aurait compris qu’il doit utiliser les informations phonémiques contenues dans son processeur phonologique pour traduire en code phonologique une information écrite qu’il ne connaît pas.

L’étude de cette activité cognitive nous intéresse parce qu’elle fait l’objet, à l’heure actuelle, dans la littérature, d’un grand engouement et qu’elle est présentée parfois comme le facteur crucial dans la dyslexie phonologique. Ainsi, Casalis (1997) soutient : « Il est donc largement admis, aujourd’hui que la conscience phonologique joue un rôle majeur dans l’acquisition de la lecture et c’est actuellement le seul facteur dont on a pu déterminer de façon expérimentale qu’il se trouve être la cause de l’échec en lecture » (Casalis, 1997, p : 50, c’est nous qui soulignons).