4.2.2. Capacité de manipulation épiphonologique et métaphonologique

Pour Alegria et Morais (1996), et plus généralement pour l’équipe bruxelloise, les tâches destinées à étudier la prise de conscience (qui est pour les auteurs une habileté) doivent porter sur la manipulation explicite des différentes unités phonologiques. La prise de conscience est prouvée quand la manipulation est délibérée.

Le modèle proposé par Bialystok (1986 cité par Gombert, 1990) établit une distinction entre types de connaissances et contrôle sur ces connaissances. Il y aurait les connaissances explicites justifiables verbalement et transférables et les connaissances implicites, non disponibles pour l’analyse consciente. Ce modèle proposera ensuite quelques modifications, préférant l’idée de dimensions analysées versus dimensions non analysées de la connaissance.

Gombert (1990) ainsi que Gombert et Colé (2000) s’inspirent de cette distinction pour proposer le concept de connaissances épilinguistiques, terminologie empruntée à Culioli (1968). Gombert propose une distinction générale entre épiprocessus, processus inaccessibles à la conscience, correspondant à l’intervention des connaissances du sujet dans les traitements qu’il opère, participant à la gestion, à la régulation et au contrôle du traitement cognitif, et métaprocessus qui diffèrent des précédents par leur caractère conscient. Concernant le langage en particulier, sont considérées comme épilinguistiques les activités de manipulation des unités linguistiques effectuées en dehors du contrôle conscient du sujet. Ce sont des manifestations procédurales qui ne sont pas descriptibles verbalement. Elles s’élaborent de façon précoce, au cours de l’expérience langagière du sujet, "mais ne sont pas (et n'ont jamais été) contrôlées consciemment par le sujet" (Gombert, 1990, p : 27). Leur production n'est pas le fruit d'une activité délibérée et réfléchie mais d'un processus automatique. « Nous emploierons donc ce terme « épilinguistique » pour désigner les « activités métalinguistiques inconscientes », posant par définition que le caractère réfléchi ou délibéré est inhérent à l’activité métalinguistique au sens strict » (Gombert, 1990, p. 22). Pour sa part, une activité métalinguistique suppose une capacité de réflexion et d’auto-contrôle du sujet. Selon Gombert (1992), l’individu doit potentiellement posséder les conditions cognitives pour développer la capacité métaphonologique au moment où il en aura besoin. Ce sont les conditions cognitives qui sont le pré-requis. « L’individu qui n’est pas cognitivement prêt à la maîtrise métaphonologique, ne peut apprendre à lire » (p : 112). Les connaissances épiphonologiques seraient indispensables à l'émergence des activités métaphonologiques ultérieures, elles doivent être correctement installées car les connaissances métaphonologiques en sont issues : tant que celles-ci ne sont pas maîtrisées de façon stable, les connaissances métaphonologiques ne peuvent exister. « Ne pourra être maîtrisé consciemment que ce qui l'est préalablement à un niveau fonctionnel» (Gombert, 1990, p.246).

La prise de conscience ne se ferait donc pas uniquement au niveau de la structure phonologique de la langue et de l’existence de l’unité à manipuler, mais également au niveau des processus mis en œuvre. Les activités métalinguistiques sont un « sous-domaine de la métacognition qui concerne le langage et son utilisation, autrement dit comprenant : 1- les activités de réflexion sur le langage et son utilisation, 2- les capacités du sujet à contrôler et à planifier ses propres processus de traitement linguistique (en compréhension et en production) » (Gombert, 1990, p.27). La capacité métaphonologique concerne l’aspect phonologique des activités métacognitives.

Reste à déterminer les critères qui permettent de trancher sur le caractère non conscient donc épiphonologique ou conscient donc métaphonologique, d’une activité de manipulation du langage oral. Si l’on s’en tient à la distinction opérée par Gombert, ces critères seraient méthodologiques. Gombert (1990) souligne que cette tâche difficile ne peut se satisfaire de la seule méthode d’explicitation par le sujet de sa démarche puisque la non explicitation ne suppose pas obligatoirement la non conscience. Ecalle et Magnan (2002), s’inspirant des travaux de Lecocq (1991) de classification des épreuves phonologiques, proposent d’orienter les recherches vers une distinction élaborée sur la base de la nature du traitement requis par les tâches. Certaines d’entre elles ne demanderaient qu’un traitement de type épiphonologique, d’autres mettraient nécessairement en œuvre un traitement de type métaphonologique. Il est généralement admis (Alegria et Morais, 1996 ; Gombert, 1990) que la discrimination fonctionnelle entre deux sons langagiers, comme la distinction entre des voisins phonologiques, les mots « main » et « pain », relève de l’épiphonologique. En revanche, le fait de devoir orchestrer une transformation délibérée sur l’objet pourrait être un indice fort de la mise en œuvre d’un traitement métaphonologique.