2.2. Tentative de définition

En ce qui concerne notre étude, nous avons choisi de nous référer à plusieurs critères permettant de délimiter la notion d’illettrisme. Certains proviennent des deux définitions proposées par les structures institutionnelles françaises successivement en charge du dossier de l’illettrisme sur le plan national. D’autres font suite à des travaux scientifiques.

Chronologiquement, la première définition émane du Groupe Permanent de Lutte contre l'Illettrisme ou GPLI (citée par Andrieux & Falaize, 1995, p.55). Cette définition est la suivante :

« Le GPLI considère comme relevant de situations d’illettrisme, des personnes de plus de seize ans 13 , ayant été scolarisés, et ne maîtrisant pas suffisamment l’écrit pour faire face aux exigences minimales requises dans leur vie professionnelle, sociale, culturelle et personnelle. Ces personnes, qui ont été alphabétisées dans le cadre de l’école, sont sorties du système scolaire en ayant peu ou mal acquis les savoirs premiers pour des raisons sociales, familiales ou fonctionnelles, et n’ont pu user de ces savoirs et/ou n’ont jamais acquis le goût de cet usage. Il s’agit d’hommes et de femmes pour lesquels le recours l'écrit n'est ni immédiat, ni spontané, ni facile, et qui évitent et/ou appréhendent ce moyen d'expression et de communication. (…)».

La seconde définition est proposée par l’Agence Nationale de Lutte contre l’Illettrisme (Cadre national de référence, ANLCI, 2003, p.72). D’un point de vue institutionnel, elle remplace la définition de GPLI.

« L’illettrisme qualifie la situation de personnes de plus de seize ans qui, bien qu’ayant été scolarisées, ne parviennent pas à lire et à comprendre un texte portant sur des situations de la vie quotidienne, et/ou ne parviennent pas à écrire pour transmettre des informations simples. Pour certaines personnes, ces difficultés en lecture et écriture peuvent se combiner, à des degrés divers, avec une insuffisante maîtrise d’autres compétences de base comme la communication orale, le raisonnement logique, la compréhension et l’utilisation des nombres et des opérations, la prise de repères dans l’espace et dans le temps, etc. Malgré ces déficits, les personnes en situation d’illettrisme ont acquis de l’expérience, une culture et un capital de compétences en ne s’appuyant pas ou peu sur la capacité à lire et à écrire. Certaines ont pu ainsi s’intégrer à la vie sociale et professionnelle, mais l’équilibre est fragile et le risque de marginalisation permanent. D’autres se trouvent dans des situations d’exclusion où l’illettrisme se conjugue avec d’autres facteurs  ».

Quelle que soit la définition, le critère de l’âge est explicite puisque ne peut être considérée comme illettrée qu'une personne âgée de plus de 16 ans, pour qui l’école n'est plus obligatoire.

Pourquoi ne pas choisir l’une de ces deux définitions ? C’est que chacune apporte des éléments qui nous paraissent essentiels, sans pour autant qu’aucune d’elles ne couvre l’ensemble des éléments qui nous semblent pertinents. L’intérêt de la définition de l’ANLCI, c’est-à-dire la plus récente des deux, est de distinguer l’activité de lecture et celle de production écrite. Par contre, la définition du GPLI s’avère plus explicite quant au critère de langue d’apprentissage de l’Ecrit qui doit être francophone (bien que ce ne soit que sous la forme d’une note en bas de page).

Ces définitions représentent une évolution majeure par rapport à celle que proposait l’UNESCO en 1958 : « est analphabète une personne incapable de lire et d’écrire en le comprenant un exposé simple et bref de faits en rapport avec sa vie quotidienne » (citée par Lahire, 1999) et reprise parfois pour qualifier l’illettrisme, ce qui réduit ce dernier à traduire une incapacité totale d’utiliser l’Ecrit, tout en avançant des critères équivoques. En effet, qu’est-ce qu’un « exposé simple et bref » ?

Nous reprendrons les critères de l’âge et de la langue d’apprentissage lorsqu’il s’agira de constituer notre population de recherche, en y ajoutant une précision, relative à la durée de la scolarité : pour nous cette dernière doit avoir une durée significative de cinq années pleines (Besse, Petiot-Poirson, & Petit Charles, 2003). Ce critère permet de distinguer l’illettrisme et l’analphabétisme, ce dernier terme renvoyant alors à une absence de scolarité ou à une scolarité dont la durée est inférieure, au total 14 , à 5 ans. En effet, une recherche exploratoire sur les difficultés face à l’utilisation de l’Ecrit d’adultes (Besse, Potel & Servant-Odier, 1989) confirme la pertinence d’une distinction entre les trois publics : «illettrisme », « analphabétisme » et « Français Langue Etrangère » 15  : le parcours scolaire explique en grande partie les différences constatées dans les procédures de traitement de l’Ecrit, ce qui souligne l’impact des savoirs acquis durant le temps de scolarisation.

Néanmoins, les définitions du GPLI et de l’ANLCI présentent des insuffisances pour le chercheur. Elles ne fournissent pas de façon claire les critères d’inclusion de l’illettrisme, par exemple en fixant un seuil minimal d’acquisition linguistique. La définition du GPLI parle de « recours à l’écrit », se situant ainsi du côté du comportement dans l’espace social, et ce, sous un registre limitatif « ni immédiat, ni spontané, ni facile ». Elle se focalise sur le plus petit dénominateur commun qui rassemble des individus dits « en situation d’illettrisme » sans fournir de précision sur leurs difficultés, leurs compétences, ni sur les procédures de traitement de l’Ecrit qu’ils utilisent. L’avantage d’une telle démarche consiste toutefois à ne pas réduire l’illettrisme à une seule forme de difficultés relatives à l’utilisation de l’objet Ecrit, ce qui nourrit simultanément sa principale critique : elle est suffisamment vague pour devenir une catégorie fourre-tout.

Notes
13.

Age légal de fin de scolarité obligatoire en France.

14.

car il faut également tenir compte des scolarités irrégulières.

15.

Par « Français Langue Etrangère », nous signifions, comme il est d’usage dans les milieux professionnels concernés, une population issue de l’immigration et ne parlant pas le français.