4. Une analyse en termes de compétences à l’Ecrit

4.1. Compétence et performance

La littérature offre des points de vue différents de la distinction entre compétence et performance.

Dans la pratique de l’évaluation des troubles des apprentissages, Grégoire (1994, 1996, 1999) établit la distinction entre compétence et performance sur la base des démarches utilisées. Il distingue l’évaluation des compétences de celle, de type normatif, qui s’effectue sur la base des performances. Cette dernière est symptomatique – elle ne s’appuie que sur le résultat obtenu (réussite versus échec) en référence à une norme - « a-théorique » et behavioriste, dans le sens où elle n’inclut aucune explication des résultats obtenus en référence à un modèle du fonctionnement cognitif. En lecture, par exemple, une telle démarche consiste à évaluer le niveau de lecture du sujet par la mesure de la vitesse de sa lecture ainsi que par l’exactitude du produit puis par la comparaison des résultats à une norme, afin de situer l’individu dans un niveau donné de l’acquisition de la lecture. L’évaluation diagnostique des compétences du sujet, quant à elle, consiste en la compréhension de ce qui est sous-jacent aux performances. La compétence est constituée « d’un ensemble de capacités organisées qui sous-tendent les performances » (Grégoire, 1996, p.21). Cette évaluation repose donc nécessairement sur des hypothèses et des modèles du fonctionnement cognitif, à partir desquels sont élaborés les outils de mesure, en vue de révéler la maîtrise des compétences qui ne sont pas observables en tant que telles.

Cette conception nous intéresse dans la mesure où elle rappelle la nécessité de travailler à partir d’un modèle théorique quand on s’inscrit dans la compréhension du fonctionnement cognitif humain. Néanmoins, nous pensons qu’il ne suffit pas de travailler sous couvert d’un modèle de fonctionnement cognitif pour traiter des compétences. Comme nous le verrons lors de l’établissement des critères d’analyse de notre propre étude, il est clair que la démarche d’évaluation varie selon que l’on cherche effectivement à évaluer des performances ou des compétences. Mais la différence se situe à un autre niveau que celui suggéré par Grégoire. Le travail sur les compétences suppose que l’étude de l’ensemble que produit un individu en difficulté est plus riche et, par conséquent, plus informatif que celle du résultat terminal seul. C’est donc dans la conception même de ce qui est significatif dans l’évaluation qu’il faut chercher la différence. C’est une conception qui s’appuie pour partie sur le modèle de Chomsky parce qu’il introduit une représentation large de ce qui est potentiellement réalisable par un individu.

La distinction entre les deux notions, compétence et performance, est établie depuis la théorie de « la grammaire générative » développée par Chomsky, en linguistique, à propos du langage oral. La compétence y est alors définie comme « la connaissance qu’a le locuteur-auditeur de sa propre langue » (Chomsky, 1965, 1979). C’est la capacité qu’a un individu parlant une langue donnée, de produire et de comprendre une infinité de phrases grammaticalement correctes. A chaque langue correspond une compétence, qui en inclut tous les invariants, en faisant abstraction des variations individuelles des locuteurs. Cette théorie confère donc à la compétence une dimension « supra individuelle ». Elle est ce que l’individu peut potentiellement produire, eu égard aux caractéristiques de la langue, sans s’intéresser aux constructions propres à l’individu. Chomsky inscrit le développement de cette compétence dans une perspective innéiste, c’est-à-dire que la compétence est génétiquement déterminée, rejetant ainsi l’idée d’un développement par adaptation à l’environnement. Ce dernier n’est que le déclencheur de ce qui préexiste. La compétence est « une propriété abstraite que l’on attribue à l’« état stationnaire » auquel le locuteur idéal parvient au cours de son développement biologique, état qui résulte d’un développement neuronique et d’un protocole adéquat en ce qui concerne « l’exposition » aux données linguistiques « pertinentes » (1979, p.41). Définie comme telle, la compétence n’est pas directement observable par l’expérimentation. C’est en cela qu’elle s’oppose à la performance qui est « l’usage effectif du langage dans des situations concrètes » (Chomsky, 1965, 1979). C’est la réalisation effective de la compétence à travers tel ou tel énoncé.

La compétence n’est jamais pleinement accomplie dans une situation. La performance, c’est-à-dire le résultat obtenu, en est toujours une réduction. Néanmoins, la compétence est ici définie sur la base de l’organisation de la langue et non pas vis-à-vis de l’individu. C’est la raison pour laquelle nous ne pouvons pleinement nous satisfaire de cette théorie alors que nous nous inscrivons dans un courant psycholinguistique où le fonctionnement cognitif de l’individu est central.

Nous proposons de retenir que la compétence renvoie à l’ensemble de ce qui sous-tend le fonctionnement cognitif de l’individu dans une situation donnée, elle est liée à l’activité conceptualisatrice dont nous avons parlé dans la partie précédente. Elle n’est donc jamais totalement visible. Dans notre étude, elle s’appréhende au travers de l’analyse du mode de traitement de l’Ecrit qui s’appuie sur l’étude des procédures observables, premier niveau de description manifeste des comportements de traitement de l’écrit. Cette analyse est enrichie par une classification des erreurs commises durant le traitement.