1.2.2.3. …Le processus de contrôle en identification de mots et en production écrite de mots

La compétence générale en lecture est définie comme la combinaison de deux composantes nécessaires, les processus impliqués dans l’identification de mots écrits et la capacité à produire du sens (Braibant, 1994 ; Gough & Tunmer, 1986). Généralement, l’un des débats relatifs à cette activité porte sur le fait que l’automatisation des premiers constitue une condition nécessaire à l’allocation des ressources cognitives pour la construction de la signification (Braibant, 1994 ; Fayol, 1996 ; Sprenger-Charolles & Casalis, 1996). Laissant de côté la question de la compréhension, nous proposons, pour notre part, d’engager des pistes de réflexion sur ce qui peut se jouer au niveau des modes de traitement lorsqu’il est avéré que les processus requis ne sont pas automatisés.

La performance experte (tous domaines cognitifs confondus) diffère de la performance novice par une plus grande vitesse et une plus grande précision dans la réalisation de la tâche. Ces deux paramètres constituent des indicateurs d’une modification qualitative du mode de fonctionnement entre le novice et l’expert (Camus, 1988). Si l’on accepte cette conception, on perçoit la multiplication du nombre de produits effectués avant d’aboutir à la réponse définitive comme le reflet de l’inefficacité et de la non automatisation des processus d’identification déployés par les sujets du groupe « illettrismes ». Cette multiplication marque l’ampleur de l’effort cognitif nécessaire pour aboutir à la réalisation de la tâche demandée. Elle nous interroge également sur la présence éventuelle du processus de contrôle et du rôle qu’il tient alors. Il est, en effet, largement admis, pour la tâche de rédaction de textes (Olive, Piolat & Roussey, 1997) ou d’une façon plus générale (Camus, 1988 ; Perruchet, 1988), que l’automaticité d’un processus se caractérise par l’absence de contrôle intentionnel de la part du sujet. Au contraire, le contrôle intervient lorsque le processus n’est pas automatisé. Ainsi, au niveau de la production écrite de mots (Zesiger, 1995), ou de l’identification de mots (Walczyk, 2000), les processus fonctionneraient de façon automatisée avec des mots familiers, ils seraient alors peu coûteux. En revanche, lorsque le mot est inconnu, le processus de contrôle superviserait de façon importante la production ou l’identification, augmentant d’autant son coût cognitif au détriment de celui requis pour la production.

Nous avons vu dans la partie « Résultats » (voir également les analyses individuelles entièrement développées en annexes) que les produits réalisés par les sujets offrent l’occasion d’apporter des corrections à bon escient pour les deux tâches. Il nous paraît donc envisageable d’émettre l’hypothèse qu’en dépit de processus non automatiques et défaillants en identification de mots et en production écrite de mots, les sujets mettent en place une forme de contrôle sur les produits qu’ils réalisent. Ce contrôle semble d’ailleurs plus perceptible en identification de mots qu’en production écrite de mots, étant donnée la différence du nombre de produits réalisés entre les deux épreuves. Cependant, cela ne signifie pas qu’ils s’y manifestent réellement avec une plus grande ampleur. Nous entendons alors par contrôle une composante du système de traitement qui permet de détecter des erreurs ou des lacunes pour y remédier (Fayol, 1997). En rédaction de textes, il s’agit d’un processus dont le but est l’amélioration du texte (Hayes, 1996). Du point de vue des ressources cognitives qui lui sont allouées, c’est un processus lent parce que sériel et exhaustif (Schneider & Shiffrin, 1977 ; Shiffrin & Scheinder, 1977 cités par Camus, 1988). Il exige un effort cognitif lourd, en particulier parce qu’il nécessite le maintien en mémoire de travail de l’information traitée ainsi que la récupération de représentations issues de la mémoire à long terme (Hayes, 1996). L’hypothèse de l’intervention du processus de contrôle n’enlève rien à la nécessité de recourir à des connaissances précises sur les codes graphophonologique et phonographique. Elle souligne, par contre, que les sujets, même les plus en difficulté, ajustent les tâches d’identification de mots et de production écrite de mots en fonction de plusieurs paramètres possibles : représentations d’un modèle du fonctionnement de l’Ecrit, représentations du décalage qu’ils perçoivent au cours de leurs productions entre ce qu’ils réalisent et ce qui est à réaliser, représentations de leurs propres compétences...