2.1.4. Epreuve de segmentation phonémique

Si l’on raisonnait sur la base du fonds commun des processus cognitifs sollicités entre cette épreuve et celle de traitement de l’Ecrit, on pourrait s’attendre à une forte corrélation entre l’épreuve de segmentation phonémique et, en particulier, l’épreuve de production écrite de mots. En effet, il s’agit dans les deux cas d’extraire un ensemble de phonèmes dans un ordre précis. Cependant, nous avons vu que les résultats étaient tout autres. Nous expliquons cela par le fait que l’épreuve de segmentation phonémique exige la mobilisation d’autres processus qui ajoutent un coût cognitif supplémentaire.

Nous constatons que les résultats à l’épreuve de segmentation phonémique sont médiocres, la plupart des sujets se situant en profil 1. Son écart-type est le plus faible des quatre épreuves, signe que les sujets du groupe « illettrismes » ne se distinguent pas par la variabilité de leurs performances à cette épreuve. On fait le constat inverse pour les sujets de groupe « contrôle » puisque c’est pour cette épreuve que l’écart-type est le plus étendu, alors que les performances y sont également les plus faibles, quoi qu’au-dessus de la moyenne. L’épreuve de segmentation phonémique est reconnue comme étant l’une des plus difficiles à réaliser par les jeunes enfants (Yopp, 1988 ; Yopp & Yopp, 2000). Dans leur étude, Gombert, Gaux et Demont (1994) ont constaté une augmentation continue des performances relatives à l’épreuve de suppression du phonème initial entre les enfants de la grande section de maternelle et ceux de CE2, futurs « mauvais » lecteurs. Au contraire, les performances à l’épreuve de dénombrement phonémique (équivalent à notre épreuve de segmentation) augmentent jusqu’en CP puis déclinent du CP au CE2 pour devenir la plus faible. Toutefois, cette chute est observée pour les « futurs mauvais lecteurs », mais également pour les « futurs bons », ce qui ne fait que souligner la difficulté de cette manipulation.

Plusieurs éléments concourent à expliquer le plus faible score obtenu.

D’une part, cette épreuve consiste à désarticuler les phonèmes de façon exhaustive et séquentielle. Il s’agit de l’épreuve dans laquelle le risque de se tromper est le plus important puisque la performance est comptabilisée comme nulle à la moindre erreur portant sur les 42 phonèmes que comptent les 10 mots. En comparaison, l’épreuve de fusion ne porte que sur 25 phonèmes et l’épreuve de suppression sur 10.

D’autre part, malgré la possibilité offerte aux sujets d’entendre les mots à plusieurs reprises, la mémoire de travail est largement sollicitée lors des épreuves de manipulation phonémique (Lecocq, 1991). Celles-ci exigent le maintien temporaire des informations dans le système de la boucle phonologique (Baddeley, 1986), sous-système de la mémoire de travail spécialisé dans le stockage temporaire de l'information phonologique. En particulier, le processus d’autorépétition subvocale est nécessaire pour permettre le maintien prolongé de l’information, au fur et à mesure que l’analyse métaphonémique s’accomplit. Or, l’épreuve de segmentation, puisqu’elle est exhaustive, suppose le prolongement de ce processus comparativement aux autres épreuves. Dans nos critères d’analyse, nous avons cherché à anticiper le risque que la différence de résultats soit imputable à ce type de phénomène. Pour ce faire, nous avons comptabilisé comme erronée toute réponse qui, dans l’épreuve de suppression, modifierait le reste du mot à prononcer, même si la suppression phonémique est correcte. 70,6% des sujets commettent au moins une fois ce type d’erreurs, ce que nous avons, entre autres, expliqué par un défaut de maintien en mémoire.

Cependant, malgré cette précaution, l’écart reste important, tendant à montrer que l’épreuve de segmentation est spécifique. Les épreuves métaphonémiques requièrent une capacité à contrôler ses propres procédures d’analyse pour vérifier que le traitement répond à la consigne (Gombert, 1992). A ce contrôle équivaut un coût cognitif qui vient s’ajouter à celui alloué à la tâche. Si l’on conçoit que plus le traitement est long (pour l’épreuve de segmentation, il est exhaustif et séquentiel), plus le contrôle est coûteux, on suppose que cela contribue à produire un obstacle supplémentaire dans la réalisation de cette tâche en particulier.

Pour finir l’analyse de cette épreuve, ajoutons qu’alors que quantitativement, l’écart entre le nombre d’erreurs commises est significatif, l’analyse qualitative des erreurs commises montre que celles manifestées par les sujets du groupe « illettrismes » sont semblables à celle du groupe contrôle : oubli d’un phonème, épellation, segmentation syllabique, autre segmentation et erreur dans la prononciation d’un phonème. On peut, cependant, ajouter deux autres catégories. La première a trait à l’absence de segmentation. En effet, parfois, les sujets du groupe « illettrismes » ne procèdent à aucune segmentation au sein du mot à analyser. La seconde consiste en l’oralisation d’un mot contenu dans le mot à traiter.