« A fence against the encroachment of its surroundings » : c’est par cette formule que James Johnson Sweeney décrit le cadre dans sa fonction de défense du tableau 85 . Le cadre met l’œuvre à l’abri des chocs, des bousculades et des accidents de contact comme le dit Henry Heydenrykdans The Art and History of Frames, 86 Il protège le tableau en le rigidifiant 87 . Le cadre permet ainsi le déplacement du tableau en offrant une surface à toucher autour d’une surface à ne pas toucher, actualisant et symbolisant la mobilité du tableau inventée par le Quattrocento 88 . Mettre à l’abri, c’est, physiquement et symboliquement, abriter des assauts du temps et promouvoir à la pérennisation 89 . Mais, ce que protège le cadre n’est pas que le tableau, c’est aussi le regard auquel il apporte une sécurité propice à la contemplation.
Sweeney, préface à Henry Heydenryk, The Art and History of Frames, Heineman, New York 1963, p. 2. James Johnson Sweeney a été conservateur au MoMa de 1935 à 1946 et directeur du Musée Guggenheim de Manhattan de 1952 à 1960 où il a renouvelé, et même supprimé, les cadres de certains tableaux de la collection. Voir la lettre de Barnett Newman, infra, chapitre 1, p.
Heydenryk explique le role de tampon dès l’introduction à son étude : “At the most technical level a frame protects a painting from many kinds of damage. The frame acts as a buffer against the wear of time, and against inadvertent jostling”. (p. 4.) The Art and History of Frames, publié en 1963 à New York et à Londres, est la référence en langue anglaise en matière de cadre. Il n’est pas traduit en français, mais il est connu et cité notamment par Jean-Claude Lebeszntejn (« À partir du cadre (vignettes) » 1999, p. 195). Heydenryk livre une histoire du goût et aussi un manuel à l’usage des conservateurs et des collectionneurs, dispensant des conseils de retenue avec pour mot d’ordre : « The frame must never catch the eye first » (p. 5). L’auteur raconte comment le cadre a été tantôt considéré comme faisant partie de l’œuvre (au Moyen Age et au début de la Renaissance, et à la fin du dix-neuvième siècle) tantôt de son environnement (l’exemple extrême étant le dix-huitième siècle français et anglais où le cadre rococo laisse à la peinture une fonction décorative). The Art and History of Frames apprend l’évolution du cadre selon les modes, les techniques (l’invention par exemple du cadre à plâtre au dix-neuvième siècle) et les pays (l’Italie, la France, la Hollande, les Flandres, l’Angleterre, l’Allemagne et les Etats-Unis).
“The protection can be more specialized; if a painting is painted on a wooden panel a frame can prevent warping and cracking. This protection is especially important when the panel is constructed from one or more pieces of wood” Art and History of Frames, 1963, p. 4.
« La plupart des historiens de l’art [Panofsky, Malraux, Faure, Francastel, Chastel , Marin] s’accordent à dire que le tableau de chevalet naît dans l’Italie du Quattrocento pour devenir aussitôt la forme obligée de quatre siècles de peinture. Issu du retable transportable du Trecento, le tableau de chevalet annonce la montée au pouvoir de la classe bourgeoise qui trouve dans ce cadre de petit format le moyen de décorer ses palais ». Bernard Lafargue, « Le double du cadre », in Cadres & Marges, 1995. pp. 61.
Cf. Chapitre 9.