Le cadre marque le passage entre l‘œuvre et son dehors. Pour Heydenryk, le cadre doit fournir une transitionélégante entre la surface peinte et la surface qui l’entoure. Comme le démontre Giovanni Careri, le passage à orchestrer dans la peinture abstraite depuis Mondrian reste uniquement celle entre deux surfaces réelles (le mur et le bord du tableau). 115 Mais pour Heydenryk, cette première transition a longtemps permi d’accomplir une autre, plus profonde : celle entre le réel de la salle et la fiction du tableau. 116 Jean-Claude Lebensztejn décrit cette transition opérée et incarnée par le cadre comme une « articulation jamais simple, jamais donnée une fois pour toutes, entre l’espace de l’œuvre et l’espace du spectateur : entre “ l’art ” et la “ vie ”, entre “ l’art ” et la “ nature ”, “ l’art ” et le “ réel ” 117 ».
Le cadre accompagne le spectateur dans son aller-retour entre l’intérieur et l’extérieur du tableau. Careri décrit « un va-et-vient indéterminé entre l’apparat de présentation et la représentation 118 ». Il s’agit d’un aller-retour subjectif, imprévisible et sujet à diverses motivations d’ordre esthétique et pragmatique qui échappent, selon toute probabilité, à la pleine conscience du spectateur. Nous avons vu comment Jacques Derrida conçoit cette transition en termes de disparition 119 .
Le cadre « devient une surface isolante entre la surface du tableau et celle du mur ». Careri « L’écart du cadre » Cahiers du Musée National d’Art Moderne 17/181986, p. 161.
« The relation between painted area and its surroundings must be defined clearly, and it is the frame which supllies this definition, providing a graceful transition from one surface to another. In another, deeper sense, a transition must be made from the imaginary world of the image to the real world of the wall », Art and History of Frames, 1963, p. 5. C’est nous qui souligons.
Lebensztejn « A partir du cadre (vignettes) »in Annexes, 1999, p. 187. L’historien d’art Jean-Claude Lebensztejn, auquel Derrida rend hommage dans La Vérité en peinture (p. 90), est le traducteur de Meyer Schapiro dont il reprend et prolonge le questionnement sémiotique du cadre. À l’occasion de l’exposition Le cadre et le socle à Dijon en 1987, Jean-Claude Lebensztejn publie cet article fondant son discours sur celui de Schapiro (p. 191) mais aussi de Derrida (p. 187).
Careri, « L’écart du cadre » in Cahiers du MNAM, 1986, p. 164.
La Vérité en Peinture, Flammarion, Paris, 1978, p. 71. Voir supra, “4 : Ouvrir et fermer”.