2.5.3.2. Le lieu d’accueil des « vagabonds psychiques ».

Concernant le second aspect du travail, nous avons répertorié plusieurs situations dans notre clinique au long cours, construite en partie au cours de permanences hebdomadaires dans des lieux groupaux. Le lieu d’accueil est issu d’un savant montage inter-institutionnel (Conseil Général, Centre Communal d'Action Sociale, Caisse d'Allocations Familiales) supervisé par un comité de pilotage, qui définit régulièrement ses orientations et ses actions. Il est animé par un ou deux permanents, souvent soutenus par des stagiaires ou emplois-jeunes, que des professionnels sanitaires et sociaux (assistants sociaux, infirmière, parfois éducateurs) et des bénévoles accompagnent de manière ponctuelle. Chaque demi-journée d'ouverture, trois accueillants sont généralement présents sans autre but que celui de recevoir les personnes.

En tant que « psy–qui-traîne » (P. Vidal-Naquet, S. Tievant, 1996) nous n'échappons pas au rôle de simplement accueillir les sujets, répondre à leurs demandes et les orienter le cas échéant. Seule, une présentation systématique de notre fonction et des suites éventuelles que nous pourrions offrir à cette première rencontre nous singularise auprès des personnes accueillies.

La vacation du psychologue a été instituée dans le cadre très officiel, mais également très précaire, car soumis aux variations politiques, de l’offre de politique en direction des publics en difficulté et spécifiquement des bénéficiaires du RMI, portée par l'instance départementale qu'est le Conseil Général.

C'est dans ce cadre global que nous recevons, en seconde intention, des sujets qui ne transitent pas toujours par le lieu d'accueil. Quelques uns sont, à l'époque, directement adressés par les partenaires sociaux (assistante sociale, animateur local d'insertion, responsable de la Cellule Locale d'Insertion). Le travail, timide au départ, est porté par l'idée de réseau, en référence à l'idée de sectorisation que la Santé Mentale avait proposée il y a trois ou quatre décennies. Il s'agit d'inventer une complémentarité efficiente, entre les "prescripteurs" et le psychologue, à charge pour ce dernier de veiller à des retours, toujours validés d'abord par le bénéficiaire de la mesure.

Dans tous les cas, notre mission concerne un premier diagnostic de ce qui fait frein à l’insertion socioprofessionnelle. Si cette ambition est immédiatement pertinente pour les personnes reçues en entretien individuel, elle est plus lointaine, voire démesurée pour les errants croisés d’abord dans le lieu groupal.

Nous avions au départ envisagé la fourchette de 10 à 15 personnes qui elles aussi devaient correspondre aux critères retenus, vues dans un cadre groupal ou individuel ; cet aspect du dispositif de rencontre n’était en effet pas indifférent dans nos propositions de réflexion, en terme d’objets sociaux peu différenciés. Enfin, une condition supplémentaire consistait dans la durée du suivi au moins égale ou supérieure à six mois. Par cette dernière exigence, nous tenions à identifier la temporalité comme un composant distinctif du lien.

Une nouvelle fois s’est posée la question de la démesure, une nouvelle fois nous avons été confrontée au renoncement, puisque nous avons finalement limité notre population à 5 sujets, trois hommes et deux femmes, d’abord rencontrés pour 4 d’entre eux dans un dispositif groupal. En revanche, nous avons pu respecter tous les critères prévus. Une autre difficulté est apparue pour ces sujets, que nous avons continué parfois à suivre pendant le travail ; elle touche encore une fois au renoncement, c’est à dire à l’arrêt du recueil de données. A quel moment fallait-il le décider ? Quelle perte pour la recherche allait-elle découler de ce choix ?