1.2.4. Législation relative à la précarité.

Depuis le 1er décembre 1988, nul ne peut aujourd’hui ignorer la volonté de l’état et de ses représentants successifs de réagir concrètement au problème de la précarité. La loi 88-1088 du 01 décembre 1988 mentionne comme un « impératif national » l’insertion des personnes tant au plan social que professionnel. Elle prend acte de la réalité, pour certains, d’empêchements divers de mener une vie sociale ordinaire, que ce soit en raison « de l’état physique ou mental, de la situation de l’économie ou de l’emploi… » Un revenu minimum d’insertion, très vite désigné par le sigle RMI, voit donc le jour au sein d’un « dispositif global de lutte contre la pauvreté tendant à supprimer toute forme d’exclusion  ». L’allocation est pensée dans une perspective d’aide provisoire avant le retour au « droit commun », c’est à dire à une position sociale de rétribution par le travail.

La loi du 29 juillet 1992 portant adaptation de la loi du 01 décembre 1988 organise

l’action d’insertion sociale et professionnelle par l’instauration d’un Conseil Départemental d’Insertion, co-présidé par le Préfet et le président du Conseil Général. Il a pour mission d’évaluer les besoins et de définir les mesures nécessaires au traitement de l’insertion au plan départemental, par l’intermédiaire de la Commission Locale d’Insertion constituée dans chaque territoire. Celle-ci est chargée de réfléchir à des réponses spécifiques aux besoins locaux. C’est dans cette dynamique que des arrêtés successifs promulgués par certains départements prévoient l’intervention de psychologues habilités à « effectuer des prestations d’aide et de conseil pour l’insertion de personnes souffrant de difficultés psychologiques ».

Le 29 juillet 1998, le gouvernement de l’époque institue la « loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions » qui constate l’échec de l’accès au droit commun pour des personnes de plus en plus nombreuses et de plus en plus gravement précaires; celle-ci réaffirme l’importance des droits fondamentaux pour tous, de la prévention des exclusions et de la lutte concertée contre celles-ci. Elle évoque le droit à l’emploi, au logement, à la citoyenneté et à la santé par des dispositifs spécifiques, dont la fameuse PASS qui insiste sur l’accès aux soins, à travers l’instauration des Programmes Régionaux d’Accès à la Prévention et aux Soins. Sans détailler cette loi, il faut insister sur sa proclamation d’universalité, comme si de fait, les premiers articles de la Déclaration des droits de l’homme étaient nettement écornés voire caduques en la matière. En 1999 l’exécutif invente la Couverture Médicale Universelle donnant aux personnes sans droits sociaux, la possibilité de se faire soigner.

La dernière mouture importante de la réflexion publique sur la précarité devient effective dès janvier 2004 avec le projet d’un Revenu Minimum d’Activité; il concerne le retour à l’emploi des précaires, dans la volonté de « redynamisation du dispositif » du RMI, ayant échoué, selon le comité interministériel du 07 mai 2003, à répondre aux besoins sociaux et économiques des populations précaires et, accessoirement, des intérêts économiques.

Au fond, tout se passe comme si, depuis une quinzaine d’années et le constat de l’incapacité publique à résoudre le problème de la précarisation de masse, les gouvernements successifs passaient de l’idée d’une insertion sociale globale à celle d’une centration sur l’emploi, pourtant itérativement absent de la réalité économique.. Si les acteurs de terrain se désespèrent de cette cécité chronique, ils n’ont pas non plus de solution idéale à offrir, et ne sont d’ailleurs pas en mesure de le faire.

L’on peut en outre mettre en doute l’incidence et le poids politique des rapports des experts, pourtant sollicités par les décideurs, vanité que remarque non sans humour le Professeur Lazarus dans une communication de 1997: « …rappeler un rapport « interministériel », sa genèse et son contenu, laisser entendre que pour répondre à une commande des hautes sphères de l’état, on a été président d’un groupe de travail et que l’on rencontre les ministres, les directeurs d’administration centrale, les journalistes…Bref c’est laisser supposer aussi que l’on serait dans la supposée toute puissance du « là haut, ils savent, là haut, ils peuvent… »

Dans son rapport destiné à la Direction Générale de la Santé (2000) P.Declerck considère que le dispositif RMI, dans son objectif de « réinsertion », dénie la réalité psychique de ceux qui ne peuvent re-parcourir un chemin qu’il n’ont auparavant jamais défriché. Dans un contexte de crise majeure de l’emploi, le projet d’insertion devient irréel, « quasi délirant », pour des sujets pourtant tentés de participer à l’espoir insufflé par les référents de leur contrat d’insertion. Car, explique P. Declerck, « du travail, il n’est d’ailleurs pas nécessaire d’en trouver, mais il importe d’en chercher. Il faut participer, et c’est cette participation au projet (pour ne pas dire le fantasme) sociétal commun qui importe (…) C’est la bonne volonté du sujet à cette participation que la CLI devra mesurer ». Le contrat d’insertion équivaut pour l’auteur à un « concept de contractualisation de la survie  ».

Cette dernière crainte paraît d’autant plus vive aujourd’hui à la mise en œuvre du projet politique du RMA, qui considère la reprise de travail comme la seule issue pour les sujets; chaque opérateur de terrain connaît pourtant l’impossibilité intrinsèque de certains à regagner les rangs d’une socialisation ordinaire; cette clinique sociale renforce l’inquiétude concernant le risque de stigmatisation supplémentaire de ceux qui, malgré les futurs dispositifs à l’œuvre, ne parviendront pas à atteindre l’insertion idéalisée. Cette contradiction souligne les résistances à la fois sociales et subjectives à atteindre conjointement un objectif de parfaite adéquation entre les besoins individuels et collectifs, réactualisant ainsi les questions croisées au fil de cette étude autour de la part incompressible d’étrangeté inhérente à toute organisation sociale.

Il nous faut dorénavant quitter le niveau groupal pour considérer l’aspect psychique de la problématique de l’exclusion, en tout cas ce que la théorie classique en comprend, avant d’examiner quel autre regard professionnel est en train de prendre corps.