1.3.1. De l’éducatif au psychologique. 

Pour relier l’étude précédente avec la suite du travail, une « grande cordée » tissée par un auteur en marge, voire même adepte d’une certaine « mécréance », peut accompagner notre route le long de « lignes d’erre, de chevêtres » inattendus. F. Deligny n’en étant ni à une métaphore, ni à une expérience près, il nous pardonnera sans doute de le mettre à contribution dans une telle aventure, lui qui disait croire « qu’il y a et il y aura toujours des tentatives qui iront à la rencontre des hasards inattendus qui provoquent des attitudes nouvelles » ( J.P Monferran, 1998). L’éducateur rencontre au fil d’une vie de combat et de résistance, des marginaux, des errants, des autistes qui vont lui donner le matériau d’une théorie de la clinique « du nomadisme et de la résistance .» (J. Houssaye, 1998) Refusant toute appartenance, il a su utiliser une multitude de savoirs au profit des sujets dont il s’approchait, afin que ceux-ci deviennent des « vagabonds efficaces ». (F. Deligny, 1945, 1975) Au-delà de leur poésie, inscrite dans un courant artistique d’après-guerre, ou s’en rapprochant, ses textes touchent à la projection des corps dans l’espace et concernent l’indécidable en chacun, notion féconde qui détermine selon lui la philosophie de l’accompagnement des sujets.

D’abord inspiré par l’école pédagogique Russe de A.S. Makarenko, il invente l’idée de « la Grande Cordée », réseau censé aider les délinquants à se réinsérer grâce à une organisation de lieux d’accueil et de travail. Mais il abandonne très vite l’idée de projet au profit d’une centration sur l’être , en s’étayant sur la métaphore topologique de la trace, du sillon, qui va devenir un des concepts princeps de sa pensée ; il va définir les « lignes d’erre » propres à chacun, errants ou autistes.

Hors d’une conceptualisation psychologique, F.Deligny convoque pourtant la notion essentielle de relation, autour du tissage d’un lien qui soit « suffisamment lâche et qui ne lâche pas » (1945). De même, il s’intéresse aux tracés infra-verbaux qui vont définir le territoire personnel du sujet, « dont les limites apparaissent sans avoir jamais été définies.» (S. Alvarez) Même si l’absence d’objectif de soin est revendiquée chez Deligny, il n’en reste pas moins que son travail de transcription d’une cartographie des trajets à travers des lignes d’erre, correspond selon nous à la tentative de dessiner un espace psychique singulier, esquisse de l’essence invisible ou insaisissable des sujets. Son désintérêt manifeste du langage et de la symbolisation paraît un apport tout à fait fructueux pour penser une  « présence » originale auprès de ces personnes, qui n’exige pas une référence première et absolue aux mots. Mais notre posture sera, à l’inverse de celle de F. Deligny, et néanmoins dans son prolongement, affiliée à une perspective psychologique qui comprendrait l’informulable comme une authentique trace de la subjectivité de la personne.