1.2.3.4. Commentaire.

Au début de l'entretien, Monsieur D paraît surtout vouloir mettre en exergue son désir d'insertion et le soin qu'il porte à son apparence. A propos de l’appropriation de l'espace, il s'oppose vivement à la notion d'attache, qu'il investit pourtant quelques phrases plus loin sur le registre affectif, dans le projet d'un retour hypothétique dans sa région d'origine. Des contradictions se dessinent entre les différents points évoqués, cependant cohérents en eux-mêmes.

Une digression inattendue surgit au décours d'une réponse organisée, qui paradoxalement, évoque un fait qu'il tient à ne pas développer.

Dans cette première série de réponses, Monsieur D tente de rationaliser sa situation et se présente en passe de retrouver une vie ordinaire. L’élément saillant de cette séquence est la volonté affichée de maîtrise, à travers un discours centré sur la resocialisation, comme si les problèmes n’avaient surgi qu’incidemment. Des indices non ou para-verbaux infirment cependant cette tentative, par les silences, la tension visible ou la détente qui surviennent parfois en décalage avec le message verbal. Il montre, au-delà d'une apparente cohérence, des achoppements dans le discours et le surgissement d'éléments biographiques, sans doute difficiles, desquels rien pour l'instant ne peut être dit.

En seconde intention, la tonalité de l’énoncé comme sa teneur, se modifient; Monsieur D déclare d’emblée les points essentiels de sa souffrance, restés assez longtemps énigmatiques pour nous, la cicatrice et le handicap. C’est le second élément qui introduira le développement sur le stress et l’angoisse, dans une nouvelle tentative de rationalisation. Puis quelque chose bascule lorsqu’il en vient à parler de son père, à partir de sa peur de la maladie. La confusion prend place avec l’annonce, par la mère, de la mort de celui-ci ; les silences sont lourds, la parole est balbutiante; apparaissent alors les remémorations de l’histoire parentale et filiale. Le retour au lien entre angoisse et maladie du père n’est pas aisé, comme si Monsieur D avait quitté la réalité actuelle pour se centrer sur le passé. Il retrouve pourtant l’entretien pour évoquer ses angoisses cardiaques, et le traitement médical de ses troubles somatiques, de nouveau sur le registre des processus secondaires.

La même alternance de contrôle et de lâcher-prise se retrouve tout au long de cette partie, où Monsieur D montre des signes en contradiction avec le discours patent. Brutalement, la sensation et l’émotion surgissent, avant le retour à l’apparente organisation psychique.

En ce qui intéresse la dernière série de questions, la revendication de marginalité paraît pourtant empreinte d’une menace de déchéance. La confusion advient dans l’organisation syntaxique de la phrase: celle-ci ne permet en effet pas de comprendre qui, de l’extérieur ou de l’intérieur du sujet, est à l’origine de l’éprouvé de trahison. Des mouvements de déni apparaissent, suivis de silences et d’une parole laborieuse et hésitante sur la relation aux objets féminins, enfin plus longuement, au père. Nous comprenons alors des bribes de la notion initiale de cicatrice, qui clarifient également la question de l’angoisse; dans une succession de mouvements psychiques, Monsieur D s’auto-accuse de la maladie paternelle, voire de sa mort, dénie cette culpabilité puis l’accepte enfin. C’est seulement en fin d’entretien et à propos de la honte qu’il prendra le temps de définir sa représentation de sa mère et de lui-même qui pourraient se résumer par les termes « d’épave et de déchéance ». Après avoir décrit l’idéal de femme et de mère à laquelle il a eu accès seulement le temps de les regretter, il finira par mettre en scène cette honte d’être en se présentant indirectement à nous par l’ivresse, considérée comme la pire chose qui pourrait lui arriver.

Celui que nous avions perçu au premier contact comme un homme « beaucoup plus adapté et socialisé que la plupart des autres résidents de ce lieu », se présente en fin de compte telle « l’épave » qu’il redoutait de devenir, ayant perdu son apparence « propre et présentable ». Si des éléments décalés du discours apparaissent dès les premières réponses, ce n’est qu’avec les notions de santé et de relation interpersonnelle que la réalité de la chute et de l’abandon se profilent, dans les mots qui ne peuvent plus circonscrire l’affect, puis dans la mise en scène de la honte.

Dans le cas de Monsieur D, l’étonnement vient de la barrière défensive pseudo-névrotique organisée en apparence, mais qui s’effondre de manière catastrophique lorsqu’il met en route un travail associatif. La méfiance initiale, sûrement efficace pour éloigner les «indifférents», est progressivement quittée au fil de la relation attentive qui lui est offerte. Le sujet devient alors beaucoup plus vulnérable, laissant émerger une quantité d’affects jusque là déniés. Nous nous sommes demandé, considérant son passage à l’acte ultime, si l’entretien n’avait pas pu représenter un analogon de l’empiétement, métaphore à la fois du meurtre et de la survie psychiques.