1.2.5.3. Synthèse de l'entretien.

A la première question, Monsieur M répond «ma copine», pour le lieu dans lequel il se sent le mieux. Il précise en expliquant qu’il vit avec elle, dans son appartement. A la demande s’il est itinérant, il dit être toujours en mouvement du fait de ses nombreuses activités, dont «le business», un revenu non déclaré qui ne grève pas l’AAH, précise t- il avec une nuance de provocation. Guettant notre réaction, il finit par déclarer qu’il est «dealer». Il précise mener cette activité depuis 4 ans et demi. Le périmètre de déplacement est situé en banlieue où la police ne circule pas trop, alors qu’il reste en ville pour ses loisirs. Cependant, il passe également du temps personnel chez sa compagne, en banlieue, où il travaille. Le téléphone portable est ainsi justifié comme un outil de travail. Il dit se déplacer surtout dans la région, mais pas à l’étranger.

Il réfute l’idée de sédentarité, puis parle de son lieu de naissance. Il n'a pas jusque là éprouvé le besoin de rester dans le même lieu, alors que pourtant, il n’a jamais quitté sa ville natale, qu’il aime trop pour cela. Il remarque la contradiction de ne pas avoir bougé, et de pourtant ne jamais rester au même endroit. Nous essayons de tracer un lien entre sa vie récente et son histoire en demandant si, avant ses 17 ans, il séjournait chez ses parents. Il réplique un peu brusquement, comme scandalisé, et précise avoir vécu chez son père depuis ses 10 ans. Il fait soudain référence à sa désobéissance au juge en abordant son impossibilité à supporter sa mère et son compagnon. Il menace de «la buter» si elle l’indispose. Il ne va pas la voir au risque de «refaire le portrait» à son ami, ce qui a déjà failli se produire jadis. Il profère des menaces de mort envers sa mère. Pourtant, il ne l'a jamais touchée jusque là, alors que l’agression envers son beau-père était du registre de la légitime défense contre les coups qu’il subissait. Un peu étourdie de cette brutale montée de violence, froidement relatée, nous avons besoin de temps pour enregistrer ce que nous avons entendu. Il semble avoir envie de s’attarder sur les détails précis de la scène de l’agression, décrivant l’affûtage et le tranchant parfait du couteau. Il ajoute que sa mère, présente, «n’avait pas intérêt à bouger». A la question de savoir s’il l’aurait frappée elle aussi, il répond qu’il l’aurait violée, dans une fascination et une excitation croissante. S'ensuit une description détaillée des désirs sexuels de sa mère, et la proclamation de sa capacité à les satisfaire. Mais il conclut que c’est sa tante qui l’a dépucelé , la propre sœur de sa mère. Nous ne savons comment sortir de cette thématique, tant nous sommes hébétée par la contradiction entre la violence de la narration et le calme de Monsieur M, tant nous sommes sidérée de l'exposé de la scène incestueuse. Nous tentons, pour quitter la confusion, de revenir à des problématiques plus habituelles en le ramenant au divorce de ses parents. Le juge est intervenu lorsqu’il avait 8 ans; Monsieur M dit préférer oublier certaines choses. Devant cette parole un peu affective, nous évoquons l’idée de souffrance; cependant, poursuivant sur sa lancée, Monsieur M fait allusion à la scène ou au fantasme de viol de sa mère, lorsqu’il avait 9 ans. De façon obscène, il décrit sa mère sous un aspect provocant envers lui, suggestif pour tous les hommes. Nous souhaitons au plus haut point quitter ce registre, mais il continue, comme complaisant, à mentionner la relation sexualisée mise en place à son égard par les femmes de sa famille, après le divorce parental. Il explique que si c'est sa tante qui l’a défloré, ç'aurait pu tout aussi bien être sa mère. D’autres détails de cette veine sont encore rapportés; en panne d’arguments, nous tentons de faire référence à loi, avec la perspective d'une plainte. Il la rejette d'un revers de main, puisque, prétend-il, cela lui plaisait. Cependant il s’en ouvre aujourd’hui, sans trop savoir pourquoi, alors qu’il dit ne jamais en avoir parlé.

Nous relisons la période de la vie chez son père en imaginant qu’elle a été la suite d’une décision judiciaire. En réalité, il s’y sentait mieux qu’ailleurs, sans que le juge ne fût informé de ce choix. Il y est resté jusqu’au décès de son père, à ses 17 ans, après lequel, livré à lui-même il s’est mis à «dealer», comme lui. Après un instant d’étonnement, face à la question de l’ampleur de sa tristesse à la mort de son père, il répond, plus intérieur, et comme une évidence, avoir eu beaucoup de chagrin. Un temps de silence précède le retour à une obscénité accrue à l’égard de sa mère. Effarée de cette surenchère, nous le ramenons à son père, et à son éprouvé pour lui. Il confirme brièvement, mais avec fougue, le respect qu’il lui porte et fait de nouveau silence. Selon lui, son père était un bon père, alors que «la personne qualifiée pour les cours d’éducation sexuelle, c’était ma mère», trop bonne enseignante à ses yeux.

Il a du mal à exposer les raisons de ses départs d’un lieu, évoquant plutôt celles des retours chez sa mère, associés au sexe. Il parle ensuite du fait de ne jamais avoir séjourné au même endroit, en lien avec des hospitalisations en psychiatrie, dont la plus longue a duré 11 ans, et qui lui ont donné envie de «changer d’air». Il explique avoir eu affaire à cette spécialité médicale dès l’âge de 10 ans pour des problèmes d’alcool, dont il situe l’origine dans le modèle maternel. Le père est représenté quant à lui dans une figure de protecteur, même s’il a lui aussi un rôle d’initiateur sur le plan de la délinquance.

Sur l’entrée dans l’errance, Monsieur M ne se considère pas ainsi, en dépit du fait qu’il ne dorme jamais au même endroit. Il préfère l’idée de mouvement, en contrepoint de son enfermement ancien à l’hôpital. Nous abordons cette hospitalisation en trois temps sur laquelle il revient itérativement; il parle d’une première mesure judiciaire, qui décrète sa garde chez sa mère après le divorce. Il a spontanément annulé cette décision par une vie de «fugues» chez son père et de retours à visée sexuelle chez sa mère. Reprenant le chapitre de l’hospitalisation, nous réussissons enfin à obtenir une réponse sur les séquences temporelles des séjours, longues d’au moins 6 mois et parfois de plusieurs années. Cependant, les périodes annoncées n’équivalent pas au total de 11 ans signalé avec insistance. Dans une fanfaronnade infantile, il explique avoir toujours intégré, même mineur, des services d’adultes où il semblait faire régner sa loi. Un nouvel aspect de transgression sexuelle est relaté dans la revendication de son intimité avec la psychiatre du service, avec laquelle il faisait «des entretiens normaux et aussi bien des entretiens sexuels». Au-delà du fantasme et des constructions délirantes, Monsieur M. cite des noms et des unités de soins bien réelles qui attestent de sa connaissance du monde psychiatrique.

A la seconde série de question sur la santé, Monsieur M. pense ne pas avoir de problèmes, justifiant l’attribution de son AAH par le manque de revenus et le passe-droit que lui aurait autorisé sa liaison avec la psychiatre. Il dit avoir souffert de troubles alcooliques et toxicomaniaques précoces mais aujourd’hui résolus.

Il admet avoir présenté des problèmes de peau, à type de gale. La sphère cardio-vasculaire est considérée comme affectée par son tabagisme important, ainsi que par ses relations incestueuses. Il parle d’un souffle au cœur. La vue est défaillante puisqu’il devrait porter des verres correctifs, qu’il ne supporte plus. En ce qui concerne le soin de ces problèmes, il dit entretenir la pathologie pulmonaire, en fumant toujours beaucoup, en dépit d'un "truc" qu'il aau poumon. Pour la gale, il accepte le traitement donné ici. L'aspect psychologique est pris en charge par le CMP, il accepte un médicament qui lui fait du bien, sans lequel, dit il, il est "sur les nerfs".

Sur les addictions, il précise avoir commencer à fumer très précocement et intensément un paquet de cigarettes par jour, dès l'âge de 8 ans. Il dit consommer du tabac et du haschich de manière conséquente aujourd'hui encore, grâce à son activité de trafic. Il admet volontiers ne pas pouvoir s'en passer, comparant l'effet du "shit" à une autre substance de synthèse qui provoque en lui des excitations sexuelles brutales et violentes. Il considère que fumer en groupe est plus agréable que seul, le plus souvent dans un contexte sexualisé. L'alcool est également consommé, sans que Monsieur M. ne développe beaucoup cette notion. Il préfère là aussi être en groupe, mais "surtout pas avec n'importe qui". Il dit absorber des médicaments et du haschich, mais rien d'autre, à la différence de sa mère et de sa tante qui se droguent à l'héroïne en sa présence.

Il trouve que ces habitudes représentent une dépendance mais aussi un plaisir et un partage. Il préfère ne pas s'isoler, sauf pour une relation sexuelle. Il déteste la solitude, et considère comme une autre dépendance son besoin des autres. Il situe la fin de ses problèmes à l'époque du décès de son père ou même, plus tôt, à celle de la séparation parentale. Il rapproche de manière inattendue les décès de son père et d'une arrière-grand-mère, morte à 117ans, dont il dit qu'elle "portait le monde sur les épaules". Un court moment, Monsieur M. remonte le cours de la lignée paternelle, précisant aussitôt qu'il n'a pas connu la filiation maternelle.

A propos du lien, le sujet nous interrompt pour fredonner, à propos de la société, une chanson contestataire. Il nomme sa haine des "bourgeois (…) tout ce qui porte un uniforme (…) je hais. J'ai pas l'impression d'y être dedans".

En ce qui concerne l'amitié, il différencie, chez les hommes, ceux dont il repère le mensonge «s'ils (leurs yeux) brillent". Pour ceux là, il a "la haine". Quant aux autres, ceux qu'il apprécie, ils sont capables d'aide sans le dire, ils tiennent leur parole.

Chez les femmes, il respecte beaucoup ses amies, même s'il a eu avec elles des relations sexuelles. Il est tombé amoureux de la mère de ses enfants dès le premier moment, malgré la différence d'âge entre eux, puisqu’elle a 44 ans.

Pour ce qu'il pense de sa famille, il est très attaché à la lignée paternelle, aussi bien envers les hommes que les femmes. Il voue un "immense respect" au nom de son père. En revanche, le regard sur l’ascendance maternelle est partagé: en dépit du lien sexuel avec la tante, il dit vivre une relation de tendresse quasi filiale avec elle, qu'il ne parvient pas à éprouver en direction de sa mère. Il ne parle de cette dernière qu'en termes extrêmement crus, n'arrivant pas à définir cet attachement comme de l'amour, hésitant même sur la réalité du lien biologique entre eux: "pas comme mère et fils…Je ne l'ai jamais considéré…Car si vous considérez qu'à 8 ans, votre mère flirte avec vous, ce n'est pas de l'amour filial, il n'y a pas de respect".

A propos du regard porté sur lui, Monsieur M revient sur sa mère et son regard lubrique. Il définit celui de sa tante de la même façon, avec «autre chose en plus». Il agrée et rejette en même temps le terme d'affection, sur un mode plus intérieur que jusque là. Il considère avoir un style de vie "bizarre", mais se soucie pourtant de protéger l'enfant de sa tante. Il sépare les "territoires" domestiques où il la traite comme une tante et ceux où elle devient sa maîtresse. Sa mère quant à elle, l'a toujours regardé d'un œil indifférent, "ou autre", c'est à dire sans le voir vraiment. Elle était seulement attiré par les mineurs et, par défaut, s'est tournée vers lui.

Enfin, les autres regards sur lui sont emplis de mépris ou de pitié, ce qui est équivalent. Il évoque sa haine pour ce type de regards.

La question de la honte le renvoie encore une fois à sa mère et à sa tante pour dénier tout sentiment de cette nature dans leur relation. En revanche, la société lui fait honte, avec sa "mauvaise morale", avec ses lois "qui ne devraient même pas exister". Paradoxalement, s’il lui faut réfléchir à leur remplacement, il pense qu'il "ne faut pas supprimer les lois". Il poursuit avec un exemple de loi "ignoble", celle qui prétend que les mineurs ne doivent pas fumer. S'ensuit alors une considération touffue sur la prétendue équivalence des risques pour les mineurs et les autres, qui lui semble démontrer le mensonge des médecins.

Finalement, il donne l'image de la société pour représenter ce qu'est la honte pour lui.

Au terme de l'entretien, essayant de quitter le lieu, il réalise que nous sommes enfermés. Il manifeste alors un moment de panique, tape sur la porte, crie, comme dans la terreur de rester seul avec nous. L'ouverture de la porte par un tiers extérieur amène un soulagement perceptible et il s'enfuit sans nous saluer.