1.3.6. Sujet n° 6. Monsieur A. Le corps et la santé.

Monsieur A mentionne une représentation banale de l’espace, comme de sa vie antérieure. Il semble faire partie de cette population tourmentée par le manque de chance, alors que tout semblait serein. Cependant, son rapport au corps propre laisse entr’apercevoir une représentation problématique: en effet, sa «peau se colle» sous l’effet de l’alcool entraînant une lésion qui «gratte (…) fait mal (…) écorche». Sa bouche est un «lieu d’infection», son regard le rend agressif aux yeux d’autrui, ses pieds le font devenir «zombie».

Le corps se réduit dans un espace de plus en plus clos, étroit, en même temps que son esprit s’embrume dans les vapeurs de l’alcool et sous l’effet des psychotropes. La stratégie d’exclusion qui l’a poussé hors des bars, où pourtant il s’enivrait de faux amis et de vraies illusions, continue à œuvrer dans le sens de la désaffiliation.

En outre, par le biais des pieds qui fonctionnent de manière automatique sans lui, d’un regard qui louche et heurte les autres, d’une peau qui s’écorche et s’abîme par l’alcool, Monsieur A poursuit sa tâche d’isolement, de rupture par rapport à l’humanité, et d’auto destruction qui en découle.

Son long développement sur les espaces consacrés aux SDF donne à penser sur le regard dévalué, la honte qu’il porte en lui; cependant cet aspect évoque la corporéité la plus archaïque, en particulier autour du déchet, du pourrissement ou de l’attaque du corps par négligence, abandon de soi ou encore par sarcasme ou indifférence d’autrui.

Si Monsieur A. a pu organiser une vie apparemment sans histoire pendant longtemps, on peut se demander ce que la réalité sociale a réactualisé en lui qui l’a conduit dans les conditions où il se trouve, où dominent la peur et le désespoir. Les modalités de survie qu’il met en place s’apparentent à ce que la littérature sur les camps de concentration décrit autour de l’investissement exclusif de l’espace réel et réduit au coin de fenêtre, ou au radiateur. (A Ferrant, 1997) Mais au-delà, c’est la question du territoire corporel qui est en tension, en ce qu’il semble avoir quasiment perdu, comme anesthésié, toute référence aux pulsions du moi. Le «je» devient «on», renonçant à sa subjectivité. Là encore, l’association avec ceux que les déportés nommaient «les musulmans» s’impose: l'évanescence radicale du narcissisme, préalable de l’agonie, se montre chez lui par son indifférence presque totale à ce qui lui arrive, sauf peut être à la douleur physique.