2.1.2.5. La sphère psychique.

Nous n’avons pas souhaité inclure ce niveau d’enfouissement dans la série des autres paliers, parce qu’il paraît beaucoup moins aisément identifiable que les précédents, les sujets ayant apparemment tenté de s’en éloigner le plus possible.

Nous examinerons comment les sujets parlent de leurs troubles, à quelles causes ils les associent et comment ils les traitent.

Tableau
sujet Diagnostic origine traitement
1 Isolement ruptures alcool
2      
3 Angoisses, stress Mal-vie.
Peur des maladies
(cancer, sida, cœur)
Anxiolytiques. alcool
4 Nervosité, stress, tension Immobilisation
tachycardie
psychotropes
Alcool, cannabis.
5 Alcoolisme précoce
Toxicomanie
Troubles du lien parental. Psychotropes, cannabis, alcool
6 Dépression, désir suicidaire
Chute sociale
Peur de la maladie
 
7 Demande d’aide Rupture, solitude psychotropes
8 Anxiété, tentative de suicide Rupture, isolement de ses enfants Hypnotiques

Commentaire :

A part pour le sujet n°5 qui a de longue date fréquenté l’univers psychiatrique, la plupart des personnes décrivent des troubles psychologiques ordinaires liés à la difficulté de leur vie ou à des tensions internes transitoires. Somme toute, rien que de très banal. Ils souffrent apparemment de phobies à propos des maladies auxquelles ils s’exposent (sujet n°3), de frustration devant les empêchements où ils sont réduits (sujet n°4), d’isolement après des ruptures douloureuses et non encore élaborées (sujet n°1, 7, 8), ou de dépressions réactionnelles (sujet n°6).

La singularité advient dans le traitement qu’ils s’autorisent pour ces troubles. La majorité des soins sont en effet inexistants ou anarchiques. Dans le meilleur des cas, un médecin généraliste traite à la fois l’hypertension, les phobies et le stress. Beaucoup d’autres se débrouillent avec les moyens du bord, tantôt par l’appel au soignant local et à sa réserve médicamenteuse standard, tantôt avec les médicaments achetés sous le manteau. En revanche aucun de ces troubles classiquement traités n’est pris en charge par quelque spécialiste que ce soit.

Seul, le jeune homme (n°5) suivi par le CMP semble bénéficier d’un vrai traitement régulier et prescrit en bonne et due forme. Mais il reste flou, tout comme l’autre sujet (n°7) dont les problèmes appartiennent vraisemblablement à une nosographie psychiatrique, sur les raisons de l’hospitalisation; raisonnablement, les motifs invoqués paraissent très peu adaptés à leurs besoins; on peut ainsi croire que plus graves et profonds paraissent les troubles, moins le sujet est enclin à les décrire, les détailler.

Il semble donc, à la fin de cette partie concernant la sphère psychique, que les sujets gravement précaires tiennent beaucoup à banaliser leur souffrance mentale, à l’écarter, sans pour autant la dénier totalement. C'est comme si, la dévoilant, ils tentaient de l’éloigner d’eux, de la déplacer en surface; surface, rappelons le, toujours hautement abîmée chez ces sujets, dans les trois strates progressives que sont la peau et les organes des sens, les muqueuses, les vaisseaux et les parties molles, enfin le squelette, l'ossature et les parties dures.

A partir de ce dernier niveau d’enfouissement, il pourrait exister une sorte de retournement du dedans au dehors, qui franchirait à l’envers les paliers de fond du squelette, des organes internes et de la sphère psychique pour revenir sur les niveaux superficiels. Chez eux, tout se passe comme si la conscience de leur intériorité ne pouvant prendre place, ils l'expulsent alors en périphérie du corps dès qu'elle surgit.

Il appartiendra à la suite du travail d’examiner plus en détails par quels processus ce retournement pourrait se mettre en place, en particulier dans l’étude brève des addictions, associées à la notion d’indéterminé. C’est le travail que nous proposons de conduire maintenant.