2.2.4. La honte.

Deux catégories de réponses émergent à ce point du discours sur la honte:

La centration demandée sur le ressenti est la plupart du temps évitée, ou traitée en périphérie. Les réponses sont assorties de considérations générales qui paraissent avoir pour fonction un détournement de soi. Lorsqu’il a lieu, l’énoncé des émotions est essentiellement teinté de désarroi, exclusion, échec, méfiance envers l’environnement. La dimension de soi à soi est nettement raccordée à la déchéance, même si cet aspect est parfois modéré par une tentative d’estime de soi, qui ne résiste néanmoins pas à l’auto-violence. Il est intéressant d’entendre la non- réponse d’un sujet comme signe de l’impossible reflet interne, hypothétique travail du négatif qui rend le sujet absent à lui-même.

Dans la même perspective, la honte ressentie envers soi-même, est liée aux représentations d’exclusion hors de l’humanité, aux notions de déchet, de rejet, qui renvoient au cloacal. On peut suggérer le lien avec la honte de l’humanité avilissante et tortionnaire, dans la récurrence des références aux bourreaux et tyrans, mais aussi de l'humanité avilie et torturée, dans l'appel systématique à la position de victime, de «musulman» au sens concentrationnaire.

En résumé, le regard qui vient de l’intérieur semble intrinsèquement dévalué; cela conduit de manière circulaire à une quasi systématique dépréciation de l’environnement, en dépit d’idéalisations généralement vouées à l’échec.

En miroir, le regard du monde est emprunt de négativité envers tout sujet, à fortiori à leur égard. Il est question de honte à leur endroit, certes rarement exprimée comme telle, mais perceptible sous le discours. Les personnes se sentent mauvaises sous le regard d’autrui, ou oubliées dans les situations les moins graves; dans d’autres cas de figure, elles sont potentiellement maltraitées, livrées à tous les enjeux ou désirs des tiers. La honte se faufile en arrière-fond de cette scène, quand des attaques verbales incroyables se formalisent dans notre propre discours, mettant en tension l’effroi; mais elle se joue également dans la mobilisation d’affects quasiment haineux ou méprisants. L’autre, que nous représentons pour une part, porte donc un peu de la honte, que nous pouvons considérer ici davantage dans le sens qu’a proposé A. Ferrant (2000) autour de «la honte d’être», ou «honte originelle» que dans son acception plus classique. Il s’agit alors de l’émergence d’un égarement identitaire, réalisant de fait une «confusion de zones». Il pourrait s’agir à cet endroit d’un éprouvé archaïque de l’ordre de l’empiétement, de la confusion moi/non-moi, (C. Pitici, 2001) d’un symptôme de la difficulté à être, ou à «habiter son corps», que D.W.Winnicott nomme «in-dwelling» (1970).