2.3.5. Perspectives générales.

L’axe de l’espace est sans aucun doute celui qui soulève le plus grand tourment au moment de son exploration. Il exhume des liens cachés entre le corps propre et le corps de l’autre; il fait surgir la quête incessante et vaine de nécessaires protections, à travers des organisations corporelles et/ou péri-corporelles tout à fait singulières. Il met en évidence la logique de survie à laquelle sont réduits les sujets, qu’ils se sentent ou non dans une position d’itinérants. Tout se passe comme si seul le mouvement, mais de surcroît le mouvement immobile et enfermant, pouvait tenter de les sauvegarder.

La nature de l’être-au-monde se dissout dans la seule existence au jour le jour, montrant l’ultime d’une vie rattachée à un contrat narcissique strictement rabattu sur sa première acception: «le contrat narcissique s’établit grâce au pré investissement par l’ensemble de l infans comme voix future qui prendra la place qu’on lui désigne: il dote celui-ci par anticipation du rôle de sujet du groupe qu’il projette sur lui». (P. Aulagnier, 1975, p188-191) 

Assignés à la seule place d’errants, les sujets se plient ainsi à la demande tacite du groupe, qui relaie sans doute celle portée par le discours parental et/ou maternel et qui prend en compte «le rôle essentiel tenu par (…) la réalité historique.. Dans cette réalité, nous donnons un poids égal aux évènements qui peuvent toucher le corps , à ceux qui se sont effectivement déroulés dans la vie du couple pendant l’enfance du sujet, au discours tenu à l’enfant et aux injonctions qui lui ont été faites, mais aussi à la position d’exclu, d’exploité, de victime que la société a pu effectivement imposer au couple ou à l’enfant.» (ibid)

Sur un autre registre, la confusion du discours, comme la violence des réponses en «contre-attaque» laissent percevoir, en creux, l’empreinte de l’impact premier infligé au sujet tout juste en voie d’individuation.

La confusion espace/temps, espaces personnel/public, sont quelques exemples des nombreux signes d’indifférenciation que les sujets supportent. L’éparpillement, la segmentation des parcours, apparaissent comme une des modalités défensives nécessaires à leur survie; sa brusque accrétion par le questionnaire provoque des mouvements de révolte ou de déni, mais aussi des formes de renoncement dépressifs, comme si l’évocation du parcours géographique mettait en tension une fatalité historique inévitable. Il semble que les évènements de vie aient été inscrits comme traces mnésiques, «signifiants formels» (D. Anzieu, 1985, p269 et suivantes) d’une intériorité informelle, inaccessible et par là-même non-symbolisable .

Un autre point concerne une territorialité réduite à la plus stricte nécessité, dans laquelle la notion de sédentarité se confond avec celle d’intimité, désormais le plus souvent vécue comme périlleuse. Dès lors, évitant encore un investissement social ou relationnel pourtant hautement recherché, le sujet s’enfuit pour ne pas se trouver assujetti par un tiers étrange et captatif, qui dans le meilleur des cas, le renie, le désavoue ou l’abandonne et dans le pire des cas, l’agresse et le met en danger réel ou psychique.

On voit ainsi combien l’approche de la rencontre par cet axe a été d’une maladresse terriblement pertinente: en interrogeant précisément les sujets au creux de leur ambiguïté entre corps et espace, liens et espace, espaces interne et externe, nous ne faisions que raviver l’impossibilité d’une «formlessness» (D.W. Winnicott, 1975, p48), d’un indéterminé dans lesquels ils espéraient pourtant survivre, quasi absents à eux-mêmes et au monde.

Il semble dès lors possible de considérer l’axe de l’espace comme le plus investi, tandis que la formulation du questionnaire, en le proposant au préalable, l’envisageait comme secondaire à l’axe du corps et à fortiori à celui des liens. Suggérons alors que l’extérieur, le périphérique, paraît plus sensible que l’intériorité même du sujet.

On peut maintenant rapprocher cette notion de celle de l’enfouissement périphérique du corps: on constate en effet que le même processus se retrouve quant à la représentation du corps et de l’espace, comme si nous étions chaque fois amenés à constater une décentration là où aurait dû advenir un approfondissement.

En relisant l’intégrale des entretiens, sans la partition ultérieure par axes, on remarque le surgissement immédiat de mouvements inter-subjectifs, spécialement avec la première question, qui nous ont longtemps embarrassée, comme s’ils étaient incongrus dans cette recherche. Nous aimerions ajouter que cette incongruité aurait pu correspondre à la leur, insistante et furtive à la fois.

Ils se sont donc imposés comme devant néanmoins être pris en compte.