3.2.2. Entretiens.

Nous faisons physiquement connaissance avec Ali-Yann après une période où les rumeurs sur sa sortie de prison le précèdent. Sont évoqués ses échecs itératifs simultanément à l’espoir qu’une insertion sera cette fois possible.

3.2.2.1. Les premières rencontres.

C’est longtemps et presque toujours le groupe informel du lieu d’accueil qui sera le cadre de nos rencontres. Sans en retrouver une trace précise, nous remarquons peu à peu sa présence auprès de nous, sur un registre d’indifférence d’abord, puis de méfiance ouverte, accompagnée d’une ironie grinçante sur notre fonction et notre personne. Progressivement, depuis plusieurs années, il s’approche, devient plus assidu à notre contact d’abord sur un versant de très nette agressivité verbale. Il alterne ensuite des moments de séduction et de provocation. Pour tous, il se rend imprévisible ou souvent déplaisant, par sa capacité de sarcasme incessant, qu’il dénie aussitôt par des excuses d’un style puéril. La tension monte fréquemment dans le groupe à l’idée de sa venue, qui parfois agace, parfois terrorise, parfois encore est utilisée par les uns ou les autres pour diffracter des motions de violence ou d’exclusion. Pour ce qui nous concerne, nous n’échappons pas à l’attitude qu’il développe à l’envi et sommes soumise à des demandes paradoxales qui ne souffrent ni différé ni nuance. Un épisode conflictuel avec sa mère où Ali-Yann la sollicitait sur un registre de tendresse filiale, voire infantile, peut mettre en lumière une facette particulière de cet homme : ayant subi une violente fin de non-recevoir, de l’ordre de la répudiation, (« tu n’es pas mon fils ») Alien entre en rage, poursuit et bouscule sa mère au point de la faire tomber, sans pourtant la frapper. Seul témoin immédiat de la scène, nous le contenons en le saisissant par le bras, ce dont il ne se défend pas. Alors qu’une forte crispation musculaire était la sensation attendue, nous ressentons un étrange relâchement, comme une impression de liquéfaction sous notre pression. L’idée nous traverse d’un affaissement du corps dans nos bras, comme un bébé qui s’abandonne. Cette impression nous a longtemps habitée et a nuancé l’apparence de violence qu’il suscite habituellement.

Dans les mois qui suivent, il demande, voire exige un temps d’écoute individuelle immédiat mais refuse la possibilité de ce dernier dans le cadre adéquat; il émet le désir d’une rencontre avec nous, qu’il ne parvient pas à admettre dans sa dimension spécifiquement professionnelle. Il commence à verbaliser l’idée que si l’on s’intéresse à lui, c’est qu’il existe de l’amour, à tout le moins de l’amitié, dimension affective qu’il réclame désespérément ou même violemment. Devant la distance que nous ne pouvons que lui renvoyer, il déclare son envie de nous frapper, de nous faire plier par la force, rejoignant ainsi sa réputation d’homme dangereux que nous n’avons personnellement jamais vérifiée. Il supporte toutefois la prise de rendez-vous à huit ou dix jours, mais ne s’y rend pas, donnant souvent, lors de la rencontre groupale suivante, le motif d’un malentendu sur le lieu ou l’heure de l’entretien, ou encore prétextant s’être perdu dans une ville qu’il connaît pourtant parfaitement.