3.2.3. Synthèse- commentaire.

3.2.3.1. Le corps et la santé.

On a vu combien Alien, qui pourtant revendique un corps sain et athlétique, semble se complaire à ravager son apparence comme son intérieur. Dans la logique des différentes strates étudiées plus haut, la peau ne se referme pas sur les plaies qu'il occasionne, entretient ou reçoit; la vue défaillante n'est jamais longtemps corrigée malgré la répétition toujours urgente de la fabrication de lunettes, tout aussitôt brisées ou perdues; les divers abcès, entorses, ou lésions des muqueuses sont une source de préoccupation permanente pour lui et les soignants qui l’entourent. Le squelette et les parties dures sont également atteints, en particulier les dents régulièrement endommagées, abîmées ou brisées; les os, arcades sourcilières, articulations sont foulés, luxés, ouverts ou fêlés au cours des rixes nocturnes, ou dans ses moments d’ivresse. L'autre est toujours, selon lui, à l'origine ou co-responsable de ces blessures, même si ce tiers est en réalité une personne bien incapable de se battre, ou un « ennemi » collectif et anonyme.

Sur le plan des organes vitaux, nul ne peut dire où en est Ali-Yann de son travail de détérioration intérieure; mais l'alcoolisation compulsive, les troubles alimentaires extrêmes, assènent de sérieuses attaques à son système oro-digestif; par ailleurs, même incarcéré, il reste très dépendant du tabac et du cannabis qui obèrent visiblement son amplitude respiratoire. Il ne fait pas mention de troubles cardio-vasculaires; mais personne ne s’est jamais directement penché sur ces questions avec lui.

La question de santé mentale enfin, est une bannière que Ali-Yann déploie en réclamant partout la prise en charge de sa souffrance, tout en interdisant de fait aux professionnels de la mettre en œuvre. Il s'auto-prescrit toutes sortes de produits qui circulent sur le marché parallèle, par besoin de s'assommer pour ne pas hurler sa détresse ; il consomme des doses importantes d'alcool et de cannabis dans une visée anti-dépressive, anxiolytique et hypnotique. Il est à la recherche d'un soin miraculeux offert par un centre de cure, un soignant ou tout "ami" qui, bien entendu, se soustrait à lui dès qu'Ali-Yann croit pouvoir l'approcher.

Le corps est donc l'objet d'une dualité intenable pour Ali-Yann: idéalisé du côté de la plastique et de la force virile, il est simultanément assailli de blessures multiples auto ou hétéro-infligées. Mais, pour lui qui se retrouve attaqué par une extériorité qu'il suscite implicitement, la responsabilité en incombe toujours à d'autres. Tout se passe ainsi comme si, dans un registre de magie infantile, il ne pouvait endosser que la magnificence et la puissance corporelle, par le soin et l'effort qu'il concède à son apparence; à l'inverse l'effraction, l'atteinte et la soumission ne peuvent venir que du dehors. C'est pourtant lui- même, sous le masque d'Alien, qui inspire la violence dont il sort perdant et blessé la plupart du temps; c'est lui qui altère sa santé en solitaire ou volontairement.

Coupé de sa part active, il désigne l'objet comme son agresseur, par un double mécanisme de projection et de déni.

Le soin fait l'objet d'un clivage similaire entre ce qui est idéalisé comme bon dans chaque nouvelle relation, et le rejet violent dès que l'écart se dessine entre le besoin qu'il identifie et la proposition thérapeutique.

En somme, le fragile Ali-Yann appelle l'autre pour apaiser sa détresse d'enfant meurtri, mais de telle manière que ne peut être entendu que le cri de rage d'un Alien adulte, dangereux et étrange. Seul, le souvenir personnel de son abandon musculaire, presque dans nos bras, nous sauvegarde partiellement de la contamination de la terreur.

Enveloppé de la cape/peau scintillante et aveuglante du matamore, Alien peut alors enfouir l'écho de la souffrance d'Ali-Yann; confusément actif dans les coulisses du drame joué sur la scène sociale, il fait résonner ce bruit comme celui de la violence infligée à autrui, tandis qu'il évoque celle que le sujet a autrefois subie. Un triple renversement passif/actif/passif s'effectue ainsi, rendant inintelligible et suspecte la présence latente de la douleur restée indicible.