3.2.4. Axe central: le corps et la santé.

Ali-Yann nous entraîne dans des méandres confus entre les différentes modalités de son organisation psychique, arborant volontiers la précarité de son espace et de ses liens. En revanche, sauf pour en exhiber provisoirement la force, l'aspect corporel est souvent décrit comme anecdotique. Chaque fois qu'il évoque la disparition de ses lunettes, c'est pour critiquer celui qui les lui a cassées. Mais la dimension du manque intérieur lié à cette perte, l'idée d'un déficit personnel associé à un brouillage visuel ne sont jamais interrogées. De la même façon, il ne se plaint que superficiellement des blessures, veut s’en venger, mais ne parvient pas à les soigner véritablement et au contraire, les réitère, souvent sur les mêmes sites corporels. Il constate froidement la survenue de ses vomissements, banalisant dans le même temps les troubles alimentaires censés les provoquer; l'excès d'alcool est soit dramatisé en fonction des attentes supposées des interlocuteurs, soit au contraire relativisé à l'extrême comme n'étant que passager. Aucune préoccupation n'est réellement soulignée sur l'état des organes internes, pourtant sérieusement mortifié par ses conduites de toxicomanie solitaire. Seule, la détresse morale est mise en avant dans une doléance suspecte, car isolée de toute tentative de soin.

C'est pourtant selon nous l'axe de compréhension le plus intelligible pour approcher la problématique d'Ali-Yann, au-delà des conduites auxquelles il a habitué ses interlocuteurs. Alien est très prévisible dans le registre de l'antisocialité, aussi bien dans ses liens que par rapport à l’espace; en revanche, en dépit de ses revendications et de ses exigences, il se débrouille pour attaquer et maltraiter ce corps pourtant idéalisé. Tout se passe comme si, de manière fondamentale, il n'avait jamais pu compter sur une préoccupation maternelle primaire, qui lui aurait ouvert la voie d’une attention somatique de base. Il n'est pour comprendre cette notion, que de revenir à la sensation qu'il nous a transmise au cours de l'altercation avec sa mère, celle d'un nourrisson sans charpente, effondré, qui fond dans les bras d'un équivalent maternel, alors que la logique de son personnage aurait dû l'en faire se dégager.

Ali-Yann semble ainsi devenir Alien pour ne plus avoir à revivre l'épreuve princeps de l'absence d'imago maternelle pérenne et fiable, pour renverser en son contraire la dépendance inassouvie à l'objet inaccessible. Plutôt que victime solitaire d'une non- transmission de vie, il "choisit" de devenir le bourreau de ce qui vit et vibre alentour, en pénétrant cette substance humaine pour s'y blottir et la détruire, faute d'être réellement invité à le faire. Mais cette option psychique référée à la compulsion de répétition produit des effets néfastes sur la totalité des aspects de sa vie qu'il souhaite voir se rétablir. Presque exclu de l'humanité, il aboutit alors au désir de mort, qu'il voudrait donnée par l'autre, dans l'espoir de son ultime reconnaissance par l'objet.