3.3.3.2. Les liens.

Ils sont clairement perturbés depuis toujours. Le père est idéalisé dans un ailleurs mythique, tandis qu’il fut un « cow-boy » dans la réalité. Elle le décrit comme un homme alcoolique et violent, mais surtout indifférent à la sécurité de sa fille, assistant encore aujourd’hui sans intervenir, aux outrages qu’elle subit de la part de ses frères. Elle ne semble pas permettre qu'un père, cohérent avec son engagement de vie et attaché à la tradition patriarcale, puisse se dévaluer dans l’ivresse et la complaisance incestuelle.

De sa mère, elle retient la position de rivale envers ses filles nubiles, mais surtout et bien plus tôt, l’absolu inintérêt pour les soins dévolus aux bébés. Amina décrit très précisément ce qu’elle aurait attendu de sa mère lorsque, par miracle, elle discerne chez sa tante la réalité d’une préoccupation maternelle. Elle perçoit ce qu’aurait pu être pour elle une « vraie mère » traditionnelle, en contrepoint de sa mère moderne. Elle se love dans cette représentation avec un émerveillement enfantin concomitant à la découverte de l’immensité du manque.

Les liens avec la fratrie sont particulièrement pervertis, sous l’égide de la rencontre précoce avec une sexualité imposée et transgressive. Grandir pour Amina, devenir femme, équivalait à se confronter à la terreur de l’œil sur sa nudité, à la risée des autres garçons, à l’humiliation sexuelle.

Il lui fallait échapper à cet intime indicible, incestueux et violent. C'est pourquoi les relations du dehors étaient indiscutablement plus paisibles que celles du foyer, même si elles concernaient des gens de la rue. Son espoir était tel qu’elle s’est offerte à d’autres types d’emprise, cette fois sous la forme d’une acceptation de la dépendance à ces nouveaux objets d’amour. Avec la personne qui bénéficiait, sans sourciller, du travail bénévole d’une fillette de dix ans, Amina a espéré trouver la chaleur d’une grand mère pour sa petite fille. Son amour d’adulte, auquel elle avait donné sa confiance, a lui-aussi disparu. Ainsi, la foi en des objets éventuellement sécurisants a répétitivement été vouée à l’échec par dépravation, abus ou mort de l’objet. Dans ces conditions, il valait mieux alors se construire dans la méfiance, la suspicion et la solitude. Aujourd’hui, lorsqu'elle est encore capable de relation, Amina se sert de l'objet comme on s'est servi d'elle-même, signant par ce retournement l'espoir vain de détoxiquer le lien. C'est ainsi que son compagnon actuel est, selon ses propres dires, réduit à l'état d'objet. Disant cela, Amina s'identifie à ses violeurs, à un désir de possession phallique de l'autre; elle passe d’ailleurs beaucoup d'énergie à réduire sa féminité à cette dimension tandis qu'elle ne cesse, d’un autre point de vue, de montrer son besoin de tendresse et de douceur. La honte surgit alors au travers de ce discours de la même façon que lorsqu'elle ne parvient pas à tenir ses engagements auprès de nous.