3.4.1. Anamnèse.

Il serait long et fastidieux de reprendre tous les aléas du suivi, tant il a été émaillé d'étapes et de mouvements contradictoires. Cependant, pour plus de clarté, il faudra dans un premier temps, décrire la chronologie de nos rencontres, avant d'aborder le fond des deux derniers dispositifs.

Rappelons d'abord que nous connaissons Arnaud depuis qu'il a "choisi" la rupture et l'errance en quittant travail, vie sociale et familiale, et région d'origine après l'échec d'une tentative de suicide. A 28 ans, il se montre très soucieux de son allure même lorsqu'il dort dans des hébergement d'urgence. Dès que possible, il va chez le coiffeur pour des mèches sophistiquées, achète des accessoires de mode et des vêtements de marque, se préoccupe beaucoup de ne pas se montrer tel un "assisté ou un parasite"; ilpréfère à cette période se sentir "glorieux", en contrepoint de ce qu'il a enduré dans sa position d'avant-dernier, lorsqu’il récupérait toujours les vêtements déjà portés par les aînés. Il suggère une impossibilité radicale d'identification à une famille dont nous comprenons seulement qu'elle s'est effondrée à la mort du père, laissant la mère dans l'omnipotence envers chacun des siens. Il fera allusion aux paradoxes qu'elle inspirait et entretenait, tantôt par l'exhibition de sa préférence pour ce fils, tantôt par ses exigences matérielles à son égard- lui qui est très vite resté le seul à nourrir la famille- tantôt encore par l'inquiétude qu'elle savait susciter par ses menaces de suicide.

Son comportement proche de la norme le rend d’abord très sympathique aux travailleurs sociaux qui pensent légitimement qu'Arnaud va se tirer très vite du mauvais pas accidentel dans lequel il est. On met en route le RMI puisque, démissionnaire, il ne peut prétendre à rien d’autre. Mais Arnaud accepte du bout des lèvres l'aide proposée et se débrouille rapidement pour trouver un petit emploi, afin de ne plus dépendre des services sociaux. Ce sera le premier épisode d'un feuilleton à rebondissements qui le conduira à des cycles de chute dans le désespoir, puis de retour de l'illusion, aussi bien pour lui que, à sa suite, pour ses référents. Il oscille régulièrement entre le désir de s'insérer, soutenu activement par les travailleurs sociaux, et le lâcher-prise intempestif qui le replonge inévitablement dans la perte de ses droits. Son métier et ses capacités lui permettant pourtant de trouver du travail très aisément, on ne comprend pas qu'il soit défaillant au point de ne pas même parvenir à ouvrir son courrier. Néanmoins, en dépit de tous les efforts et parfois de l'exaspération grandissante des partenaires, on ne peut que le voir, très longtemps, s'approcher du retour en errance. Quand il fait échouer toutes les tentatives sociales, il prétend être abandonné; lorsque la confiance en ses ressources lui est renouvelée, il la disqualifie en refusant d'être considéré seulement comme objet de pitié.