3.4.3.3. Les liens.

Cette question requiert une attention particulière. On a vu quels effets dévastateurs ont pris leur source dans les relations précoces d'Arnaud avec sa mère. La confusion, l'imprévisibilité et l'incohérence maternelles ont crée un lien d'emprise tyrannique dont Arnaud n'a pu s'échapper, dans un premier temps, que par la tentative de suicide; après l'échec de celle-ci, l'errance, équivalente pour lui au désir de mort, lui paraît la seule issue. Le lien perçu comme discontinu dans sa qualité comme dans sa fonction, la place personnelle d'Arnaud s'arc-boutent sur, se restreignent à un étayage de la mère. Il est vrai que les souvenirs sont considérablement disloqués et approximatifs en ce qui touche à la petite enfance, et davantage en rapport avec la latence et l'adolescence.

En revanche, c'est par le lien actuel que nous pouvons espérer saisir quelque chose de l'histoire précoce d'Arnaud. Car il réalise un tel enchevêtrement dans la relation que l'on est en droit de percevoir ce dernier comme un signe, une trace psychique, une sorte de « signifiant formel » (D. Anzieu, 1985). Il réclame l'objet, qu'il désavoue lorsque celui-ci lui répond; il se proclame responsable de lui-même et des autres, et se comporte comme un enfant dépendant. Il se veut "glorieux" alors qu'il s'écroule sous la honte de l'assistance, qui le renvoie immanquablement à l'ornière dont son départ devait l'extraire. Ces attitudes paradoxales risquent d'aboutir à une désaffection des travailleurs sociaux, pourtant spontanément enclins à l'aider. Au fond, plus la distance géographique l'éloigne de son histoire, plus sa position subjective l'y ramène par l'intermédiaire d'autres objets, actuels.

Notre place se situe dans ce patchwork rabouté de manière incertaine et grossière. Les premières séances, perçues sur un registre d'anéantissement muet, restituent à n'en pas douter la sidération de l'enfant bringuebalé par l'objet, sans possibilité de se soustraire à ce chaos. Notre propre vécu de tortionnaire rappelle le lien du bourreau à sa victime.

L’aspect affectif est également complexe et distordu, ses "amis", accueillis ou intervenants, étant d'abord recrutés dans les lieux sociaux. Là encore, Arnaud prolonge l'ambiguïté sur son appartenance, lorsqu'il se rend tellement sympathique aux acteurs sociaux que certains dépassent parfois leur seul rôle d'accompagnants et deviennent pour lui beaucoup plus disponibles que pour d'autres. Mais il se fait déconsidérer par les uns et les autres, soit qu'il "trahisse" le camp des bénéficiaires, soit qu'il déçoive les espoirs des professionnels.

Beaucoup plus tard, malgré les retrouvailles avec sa famille, il ne réussira pourtant pas à lever l'illusion d’un idéal inaccessible.

Ses amours d'adulte sont longtemps silencieuses. En son temps, Arnaud utilise le groupe pour les dévoiler, attendant de celui-ci une reconnaissance et une connivence absolues. Notre réaction le fait fuir, blessé de l'apparente manifestation d'indifférence de la part des objets investis. Malentendu capital, parce que l'exhibition de son intimité semble si peu adaptée à l'espace de la déclaration, qu'elle ne peut être que renvoyée à une autre place, celle du lieu thérapeutique où elle n'est jamais abordée ; malentendu parce que le groupe, refusant d’intégrer cette singularité dans sa mission, réfute le rôle parental qu’Arnaud lui tendait implicitement.