3.4.4. Axe central: les liens et la honte.

Il est important de relier enfin la thématique des liens, prédominante chez Arnaud, avec celle de la honte que nous avons déjà rencontrée dans d'autres situations. Car le sujet lui-même indique, dès le début de la relation, la piste à suivre dans le dédale qu'il met en scène. Il est en effet question de la "gloire" agie comme retournement de la honte subie. Nous allons donc tenter de l’accompagner sur cette voie, avec l'hypothèse que la honte, donc l’envers de la gloire, est une maladie du lien.

Arnaud tente de se mirer dans le regard de l'autre, qui s'absente itérativement. Cette recherche de miroir a un prix, celui de la sophistication abusive de l'apparence, pour être vu; sur les plans psychique et matériel, il ne parvient cependant pas à accéder à cette reconnaissance en dépit de ses efforts. Dès lors, sa tentative pour obtenir la plus belle couleur de cheveux, devient, au fond, une quête effrénée de l'attention de l'autre. De même, son "coming-out", inopportun au sein d'un groupe travaillant sur ses besoins matériels, nous oblige à nous intéresser à lui, à son être essentiel puisque, sans doute, nous ne lui accordions pas l'importance qu'il attendait.

Arnaud n'a de cesse de rapiécer le lien mal bâti, dès l'origine, par sa «mauvaise couseuse» de mère. Dans cette perspective, la "ficelle" fautive de la mauvaise accroche, prend une dimension tout à fait particulière. Il faut renouer n'importe quel entrelacs entre lui et l'autre, au risque de constituer un lasso qui l'étrangle ou un nœud coulant qui s'échappe. Le lien ne s'ajuste pas à la demande informulée d'Arnaud : il s'en irrite et nous agace, ou s'en désespère et nous déprime. Quand nous cherchons à raisonner avec lui, nous croisons un être déficient, quand nous voulons l'assister, il se sent humilié.

Sur un autre plan, en déplaçant ses demandes sur des interlocuteurs incompétents à les résoudre, il interroge l'omniscience de l'objet, obligeant les tiers à sortir de leur rôle et de leur fonction propre, les appelant à une indifférenciation et une confusion parfois inextricables. L'échec presque inévitable de ce traitement des problèmes, confirme pour Arnaud son incapacité à trouver de l'aide, et celle des interlocuteurs à la lui offrir. Mais ainsi, il reste fidèle à l'exclusive toute-puissance de l'objet premier qui, au moins sur ce point, ne défaille jamais.

Quant au lien inter-personnel, Arnaud évoque la honte sans jamais la nommer, mais il nous la fait éprouver encore une fois sur le registre scopique, quand il se présente à nous dénudé d’une chevelure tant investie jusque là, en même temps qu’il convoque en nous des représentations effractives troublantes et saugrenues.

C'est dans cette configuration que le dispositif individuel/groupal prend sa pleine mesure, au sens où il a pu accueillir la nécessaire dimension archaïque, en la diffractant sur les rôle et fonction de chaque partenaire. Métaphore de l'objet maternel, au sens développé par R. Kaës (1976), le groupe admet en son sein l'infans Arnaud, qui peut alors s’approprier différents niveaux d'identification, de contestation, de rejet, d'emprise de l'autre, comme il les a autrefois traversés passivement. Ce sont les diffractions transitant par le groupe, qui ont pu restituer à Arnaud un lien, conflictuel mais vivant, inquiet mais attentif, suffisamment lâche pour le laisser partir sans le perdre. Par le transfert sur le groupe, Arnaud nous a quittés avant d'oser quitter le sujet singulier que nous représentions.