4.2.1. Anamnèse.

Comme le personnage de la Commedia dell'arte, Farida se grimait sous une apparence outrée et indécise. Bénéficiaire du RMI, elle venait dans le lieu d'accueil dans le souhait de faire du bénévolat en direction du public reçu. Son attitude ambiguë avait incité les accueillants à différer la réponse à sa demande, en acceptant qu'elle offre son aide partielle dans ses compétences en coiffure, tout en profitant des ressources du lieu. Elle avait accepté cette proposition avec empressement, tout en continuant à se rendre utile dès qu'elle le pouvait. Elle se présentait sous un aspect négligé, ses cheveux décolorés montraient des racines sombres, le vernis de ses ongles s'écaillait, son maquillage souvent excessif coulait, ses vêtements étaient mal assortis et vaguement vulgaires, en dépit de leur conformité. Sur le plan comportemental, son désir de rendre service débordait parfois sur les autres au point de les gêner, ou de susciter chez eux des commentaires entendus et égrillards. A d'autres moments, nous avions le sentiment qu'elle était utilisée de manière inacceptable, tandis qu'elle semblait toujours vouer une grande gratitude à ceux là mêmes qui lui demandaient service.

Pendant quelques mois de rencontres informelles au cours desquelles elle peinait à se situer entre les places de bénévole et de bénéficiaire, nous ne parvenions pas à entrer en contact avec elle, qui nous ignorait poliment. Il est vrai que, ne sachant pas encore quel statut elle allait avoir au sein de l'institution, nous ne nous autorisions pas à nous adresser à elle sur un registre clinique. Toutefois, elle se confiait quelquefois aux permanents du lieu, en évoquant l'autoritarisme de ses frères et son impatience de se libérer de leur joug. Elle décrivait sa situation dans la version culturelle et banale d'une jeune femme maghrébine en quête d'autonomie, sachant qu'on ne pouvait ici que l'encourager dans cette démarche. Les travailleurs sociaux intervenaient discrètement dans ce sens, lui offrant des adresses d'hébergement qu'elle n'arrivait pas à visiter. La pseudo-normalité dans laquelle elle se maintenait inhibait de fait l'aboutissement de toute aide, aussi bien sociale que psychologique. Cependant, ses discordances et le registre sub-maniaque qui l'accompagnaient, malgré ses efforts pour les atténuer, ne laissaient plus de doute sur le choix que l'institution devait lui proposer, et Farida devint enfin officiellement une bénéficiaire du lieu.

A ce moment, elle peut initier une démarche dans notre direction en répondant favorablement à notre proposition d'intégrer un groupe de paroles qui, cette année là, s'étayait sur le thème de la dépendance et de l'autonomie. Sans que ce ne fut un souhait délibéré, le groupe se composa d'une population d'essence exclusivement maghrébine, hommes et femmes mêlés. Pour elle, cette instance sembla constituer un premier espace personnel qu'elle utilisa assidûment. Elle y vérifiait à la fois son appartenance et ses différences envers la culture d'origine. Au terme des séances, l'expression de son regret de voir la fin de ce travail nous incita à lui proposer un suivi individuel qu'elle accepta avec enthousiasme.