4.2.2. Les entretiens.

4.2.2.1. L’indéchiffrable patchwork.

Nous rencontrons Farida cinq fois, entrecoupées de presque autant de rendez-vous manqués. Elle évoque à chaque séance la tyrannie et l'emprise subie de la part de ses frères aînés qui, dit elle, la "nazifient", expression qu’elle emprunte à l’un de ses bourreaux. Cela signifie la façon dont elle se sent humiliée, méprisée et violentée; elle prétend que lorsqu'elle ne peut venir à ses rendez-vous, c'est parce qu'elle a été séquestrée dans sa chambre, verrouillée de l'extérieur. Pourtant, elle continue à rêver à des projets d'autonomie, sort avec un homme rejeté par sa famille, ou se montre seule dans les bars fréquentés de la ville.

Elle oscille entre agitation, exaltation de l'humeur et pleurs. Nous pensons que la véritable aide à lui apporter consiste d'abord en un traitement psychotrope. Nous nous sentons rapidement agacée par son allure et ses paradoxes, son exubérance nous paraissant furtivement une explication, sinon une justification de la maltraitance familiale. Evidemment l'illégitimité d'une telle pensée nous frappe, sans pouvoir y accorder beaucoup de sens.

Nous ne saisissons pas ce qu'elle vient chercher dans nos rencontres, auxquelles elle semble tenir. Cependant, nous acceptons, faute d'arguments, de continuer à la voir. Il semble qu'en dessous du manteau d'Arlequin, Farida tente de s'approcher d'autres couches encore inconnues. Elle constate que nos séances lui font du bien, en particulier l'écoute que nous lui offrons. Elle est ensuite capable, avec l'aide d'un léger anxiolytique, de montrer une autre apparence d'elle-même, élégante et raffinée. Quand elle semble aller mieux, elle disparaît des séances, revient ensuite avec le motif d'un nouvel enfermement. Nous notons que les espaces qui lui sont réservés ne sont pas accessibles durablement, comme si ce qui appartenait à sa subjectivité lui devenait évanescent.