4.2.3.4. Commentaire.

Farida noue donc de manière inextricable les axes du corps et des liens dans un espace effracté par tous, puisqu'elle a accepté qu'il ne soit pas sien. La prévalence de la confusion donne à penser sur son sens, dans la perspective ouverte par D.W.Winnicott autour de l'absurde (1975) qui doit être accueilli avant qu’on puisse prétendre le résoudre. L'habit comme peau psychique éhontée semble englober les trois axes, en tant que le corps s'inscrit dans un espace, lui-même déterminé par la nature des liens tissés entre Farida et ses proches. La question de la honte représente la trame princeps du tissage inter-subjectif. Car Farida a participé au travail de confection de son manteau de honte, elle s'en est affublée comme d'un habit de lumière, dans une tentative pour masquer l'abjection dont elle se sent détentrice. Ce faisant, elle a rapiécé des morceaux d'étoffes disparates et insolites, mal assorties, obscènes ou infantiles. Elle s'est emparée du maquillage, comme une enfant pré pubère espère inventer sa beauté en volant les palettes de couleur de sa mère, alors qu'elle ressemble à un clown en pleurs. Farida fait couler le noir de ses yeux, signifiant ainsi l'ambiguïté de la féminité qui séduit et souffre de cette séduction. Mais elle se l'approprie dans le même temps pour, dans le sillage de sa sœur, se donner l'illusion d'une liberté inédite. Le lien à la sœur comporte, à la fois l'idéalité de cette figure féminine qui se confond avec l’imago maternelle bienveillante, à la fois l’intuition d'inconvenance qui lui est rattachée. Ce paradoxe s'inscrit clairement dans l'offrande toxique des vêtements, qui plonge Farida dans le désir coupable de s'en débarrasser, sans jamais y parvenir. Une fois le secret levé, elle ne s'en ressent pas soulagée pour autant et continue à exhiber sur son apparence l'empreinte entrelacée de la honte et de la dérision.

La folie de la petite sœur, peut être incestée, à tout le moins violée par des proches, a résisté aux soins de Farida, malgré ses tentatives pour la guérir, lui insuffler de l'espoir là où se propageait la perte de l'élan vital. Elle est devenue alors, pour elle-même, hyperactive, euphorique, pleine d'illusions démesurées. Dans l'espoir de guérir l'aboulie essentielle de sa cadette, Farida inversait pour elle-même ce trouble en une exubérance maniaque. Par là, elle reprenait à son compte la maladie psychique.

D'une autre façon, le frère tortionnaire scelle davantage la précarité dans laquelle Farida se débat. Quand il vient au domicile familial, il la nargue, l'enferme, lui vole ses biens et ses souvenirs. "Nazifiée", c'est à dire prise dans un lien de soumission absolue, elle rêve d’une nouvelle naissance hors des hardes qu’elle a connues. C’est par ce même désir qu’on peut comprendre l’investissement du travail psychique, identifié plus haut comme une dénudation, un effeuillage. Mais ce dernier désir trébuche lui aussi, faute d’un tempo adapté à son besoin.

Il faut maintenant examiner l’effet des processus en jeu sur l’objet actuel que nous avons représenté pour elle pendant un temps, dans la perspective d’une forme d’amarrage particulier, celui qui transmet les affects in-sus , en premier lieu bien sur, celui de la honte.