5.3.2. La deuxième année.

Beaucoup d'erreurs de rendez-vous empêchent le retour de l'enfant avant la fin des vacances d'où il revient rasséréné, expliquant avoir "construit un barrage". Comme s'il avait oublié la séance précédente, il construit des engins de guerre, "une plate-forme d'amarrage ", un bateau qui protège des armes et des pirates. Un monstre se transforme en humain. A la même époque, Boris fouille dans les placards, dévore le pain de notre repas du soir, vole des figurines. Il rejoint un groupe de psychodrame d'une institution de soins, sollicitée par la famille qui n'a de cesse de chercher les thérapeutes qui pourraient enfin le guérir. Aucun contact n'est établi avec ces soignants pendant longtemps, mais la démarche paraît intéressante pour aider l'enfant dans la représentation de son monde interne. Il se débrouille souvent pour alterner les moments de progression et de régression, suscite parfois en nous des réactions éducatives déplacées mais inévitables.

Il reste très occupé par la pâte à modeler, dont il aimerait utiliser la totalité; il ne réussit pas à la couper en trois parts égales. Il crée un jeu de lumières harmonieuses et tamisées, aussitôt nuancé d'une autre thématique plus obscure: le cimetière insulaire des chevaliers, avec un monticule où sont fichées de nombreuses épées. Encore une fois, l'angoisse de dévoration revient; le crocodile rôde toujours en compagnie des requins, avalant les morts et leurs épées en même temps que le tertre qui les recouvre. Quelques mots raccordent le jeu et son histoire, autour de la mort d'un grand-père et celle d'un enseignant investi. La séance se termine avec la production d'une "tête d'Halloween", balafrée, piquée et sans cervelle, elle-même dévorée par l'éternel crocodile.

Boris semble entrer dans un début de symbolisation et de rassemblement des éléments épars de sa réalité psychique, qui nous laisse entrevoir un certain espoir pour la suite du travail. Pourtant, les parents mentionnent la pérennité de ses conduites antisociales de vols, bagarres ou mensonges. Il est toujours pris sur le fait, comme s'il le cherchait. La conflictualité interne se fait jour dans la tendance concomitante à être aimé en même temps que rejeté et exclu; il nous fait, de la même façon, traverser espoirs et échecs successifs. Il réussit à être premier de sa classe à la fin du trimestre, en est félicité; pourtant, dès qu'une bonne note arrive, il la fait suivre d'un résultat catastrophique.

Il aide Alex pour ses déplacements, mais continue à se bagarrer de plus belle avec Steve, ou provoque un début d'incendie. A ce propos, est rapporté un événement survenu autour des quatre ans de Boris, au cours duquel son père s'était accidentellement et sérieusement brûlé. Ce garçon, d'ordinaire si peu bavard, insiste beaucoup pour rappeler la scène, mais le père dénie la possibilité d'un tel souvenir. Personne ne note aucun lien entre l'accident du père et le début des troubles de Boris.

Pendant quelques temps, il passe beaucoup de temps aux toilettes avant la séance, jusqu'au jour où nous découvrons qu'il a méticuleusement vidé les produits d'entretien, sous le prétexte de devoir "nettoyer la cuvette". Devant cette nouvelle énigme, l'idée s'impose qu'il croit devoir nettoyer ce qui est sale et l'encombre. Comme pour chaque passage à l'acte, Boris ne semble rien éprouver, sauf que tout est délié, "sans rapport". Nous avons cependant l'intuition qu'il tente de signifier quelque chose de l'évacuation du déchet encrypté en lui. Mais son agacement face à nos interprétations, dont il se détourne sans pour autant les dénier, nous laisse un sentiment de tarissement et de vidage de notre propre capacité de penser. Dans la même période, après l'incident des toilettes, il utilise des éléments de jeu de sanitaire qu'il démonte et reconstruit.

Le crocodile, dont l'enfant a longuement développé la dangerosité est ensuite maltraité; son engorgement par des boulettes dans la gueule, le met en grand danger d'étouffement. Transformé en médecin, il désobstrue les voies aériennes de l'animal, recomptant soigneusement les boulettes extraites, pour éviter de perdre quelquechose. Il semble possible de proposer à Boris l'idée qu'il faut "fermer la gueule du crocodile", pour l'empêcher de mordre ou peut être de parler. A cette suggestion, il répond en silence par la fabrication d'une muselière, dont il enserre les mâchoires de l'animal.

Au bilan suivant, la famille constate une légère amélioration, en dents de scie. Nous pensons qu'il commence à modifier la répétition de l'échec et de l'exclusion; la prise de risque devient plus symbolique, Boris parie avec nous qu'il ne sera pas puni. En effet, à ce jeu de défi auquel nous nous prêtons comme une modalité relationnelle nouvelle, il gagne toujours, montrant qu'il sait s'arrêter juste à temps. Il est fier de ses réussites, dont il parle de préférence lorsqu'il a vécu un échec, comme s'il s'approchait d'un début de régulation interne.

Les troubles sphinctériens s'atténuent, en particulier l'encoprésie, alors que l'énurésie paraît être réservée à la maison; depuis que nous avons osé évoquer devant lui l'incidence de leurs effluves sur nous et autrui, nous ne les avions plus que rarement perçues en séance.

Nous voulons croire que le processus de symbolisation commence à se remettre en route et que Boris investit la relation. Il nous donne à penser que l'affect douloureux et enfoui tente de se représenter, même si les mots échappent encore.