5.5. Synthèse-Commentaire.

Boris marque sa trace, sensorielle et déplaisante d'abord. Puis l'empreinte se grave sur la pâte, par des créations singulières et isolées, sans mots et "sans rapport". Il n'est pas question de paroles ni de sens, seulement d'actes déliés.

Progressivement, le flou des scènes laisse place à des scénarii de plus en plus précis, où dominent les angoisses de dévoration; être gavé ou manger l'autre, de préférence l'être sans contenance ou sans vie, évoquent l'inquiétude face à la voracité, la férocité, l'engloutissement ou l'enfouissement, avec une nuance plus apaisante de filtration. Il utilise les choses pour dire les mots; il prend une vraie pioche pour traduire la première figure humaine, celle de la "tête de pioche" ligotée et meurtrie.

Boris ne parle pas; il se contente de signes que le tiers doit décrypter. Le travail psychique se décline à deux voix: la sienne, sourde, passe par l'acte; la notre, incertaine, traduit les gestes et les productions.

Inversement, devant une blessure sur notre visage, l'enfant témoigne d'une préoccupation, demande des précisions, émet des doutes. La trace lui est renvoyée comme l'écho d'une violence délibérée.

Les armes se cachent, les animaux s'étouffent, les parents se désespèrent. Boris ne s'extrait pas de la marque du négatif.

A la fin de cette première période, l'enfant ose quelques discrètes associations entre ses jeux et les mots, la partie de pêche et le souvenir du plaisir.

La seconde représentation humaine "Hitler tête de nerf", est dictatoriale. Boris entre dans le langage, il critique odeurs et texture de son jeu de prédilection, lui trouve des "fissures", comme des écorchures. Il avance dans la symbolisation, jusqu'au moment où une désorganisation psychique brutale l'envahit, laissant toute la place à l'effondrement, à l'inconsistance et à la flaccidité. Bernard l'ermite sans coquille, Boris paraît alors invertébré et nu.

Il revient content d'avoir construit un" barrage", digue salutaire contre le déferlement interne. Il abandonne un temps la pâte pour construire une "plate-forme d'amarrage " protectrice. Le monstre s'humanise. Pourtant, il reste un dévoreur et un voleur, qui se fait découvrir au plus vite. L'enfant agace, séduit, fait alterner les sentiments de protection et de rejet. Il crée l'espoir par des jeux de lumières sophistiqués, et ramène l'obscurité abyssale de la mort. Il se raccorde pourtant avec la réalité de son histoire, quand il évoque le décès de familiers. La troisième représentation humaine, hybride entre mythe et réalité, "la tête d'Halloween", est "balafrée, piquée, sans cervelle". Boris commence à rassembler les bribes de sa subjectivité, tout en poursuivant son œuvre de destruction; chez les objets sociaux et familiaux investis, il suscite le désir d'exclusion réelle et symbolique.

La scène des toilettes s'éclaire, par l'aide du psychodramatiste. Ainsi donc, un bébé mort est évacué par la cuvette, qu'il faut à tout prix nettoyer de possibles traces. C'est un autre, qui a participé à la scène de l'expulsion du bébé, qui sait le secret décès de cette première-née, mais c'est dans notre espace que le scénario est joué, hors-champ, inintelligible.

Le monstre marin, dévorateur et maltraitant étouffe par les boulettes, omniprésentes et potentiellement meurtrières. Boris tente de le guérir.

A la troisième période de ruptures et de raccommodages de la relation, Boris fait apparaître une forêt peuplée de fantômes. D'objet de gavage interne, les boulettes deviennent objet de projection externe. Boris craint qu'elles ne restent coincées, les recompte à leur sortie. La quatrième expression de l'humain est de nouveau une tête grimaçante et lacérée, un « fantôme d'Halloween ». L'adolescent porte des traces de strangulation, comme des preuves, sur son corps, de la violence infligée. A la dernière reprise, la place du frère handicapé, ses performances, ses rejets sont enfin signalés. La momie prend place dans l'espace familial; Boris laisse émerger un peu d'émotion, par l'évocation d'un "cœur fissuré" qui tente de pulser, malgré la bulle d'air parasite.

La relecture de la chute phallique permet une issue plus optimiste que sa première présentation.

Enfin, Boris nous offre une figuration spectaculaire de l’effraction d’une membrane corporelle déchirée, arrachée. Est ce l’enveloppe maternelle qui met au monde des enfants morts ou abîmés ? Est-ce celle de son frère, invalide? Est ce la sienne, salie ? Sans doute la scène condense-t-elle l’ensemble de ces hypothèses, dramatiques dans tous les cas; car au bout du compte, l’humanité ultime que la récurrence des « têtes » met en scène, est muselée, trouée et balafrée, représente littéralement une « tête de mort ».

Devant ce déluge de significations, nous ne pouvons qu’émettre des hypothèses que le sujet ne confirmera ni ne démentira quasiment jamais. C’est pourquoi nous avons si longtemps hésité à nous prononcer dans le sens d’une interprétation plutôt qu’une autre. Toutefois il semble que cette indétermination participe de la problématique de Boris comme des autres sujets déjà étudiés. Nous prenons donc le risque de sortir de cette perplexité inhibitrice, pour tenter une formalisation dans les termes du corps, de l’espace et des liens.