5.5.3. Les liens.

Ils apparaissent entremêlés à une corporéité confuse et un espace contaminé, tous deux marqués par la présence de la pulsion de mort. Boris doit soutenir son frère, le bien-traiter, mais il ne peut, pour ces mêmes motifs, que rester dans une indifférenciation évitant la moindre attaque créatrice de liens fraternels. L'identification à Alex est donc à la fois nécessaire et impossible. C'est pourquoi, dans un basculement latéral, la relation à Steve déborde, de la rivalité agressive qui ne peut advenir avec l'aîné.

On pourrait s'attendre à ce que la problématique du handicap occupe une grande place dans le discours et la préoccupation familiale. Mais au contraire, nous ne l'entendons pas, prise que nous sommes dans le vacarme du silence instauré par la famille. Le pacte dénégatif (R. Kaës, 1993) commun à Boris et ses parents, nous contamine tant que nous ne commençons à nous interroger sur l'impact de la problématique de l'aîné que par l'aide d'un regard tiers.

Sur un autre registre, le patient montre une succession d'indices très confus concernant l'exclusion, le déchet et l'inhibition. Brouillant les pistes, il nous donne à penser que les difficultés dont il est question lui appartiennent en exclusivité, ce que il est vrai, chacun de ses interlocuteurs finit par croire. Ses parents en tout cas, dans leurs alternances de rejet et d'espoir, circonscrivent le problème à ses conduites, depuis bientôt dix ans. L'enfant endosse activement cette assignation offerte par le contrat narcissique (P. Aulagnier, 1975); faute de pouvoir le considérer comme réparateur de la blessure infligée par la filiation, les parents semblent en effet avoir reporté sur Boris la responsabilité des dommages.

La relation que Boris entretient avec les objets sociaux, qu'ils soient matériels, intellectuels ou affectifs, est ainsi pénétrée d'angoisse d'effondrement et de déchéance. Tout se passe comme s'il s'évertuait à n'être que le mauvais objet de tous, thérapeutes compris. Comme s'il ne pouvait être reconnu que dans l'excrémentiel et le honteux, il s'étonne chaque fois qu'une compétence se fait jour malgré lui. Ce sont donc les trois niveaux du corps, de l'espace et du lien qui sont également atteints chez Boris.

Concluons le chapitre par le constat que, pour ce garçon, l'entrelacement serré des trois axes les rend a priori inextricables; il n'est pas certain en outre que leur dissociation soit pertinente. Avant la fin de l'adolescence, il est en effet possible que la différenciation entre les trois niveaux subjectifs ne soit pas aboutie. Si c'est le cas, il devient alors envisageable de proposer une nouvelle lecture des difficultés précoces de l'errance, dans laquelle la prévalence de l'intersubjectivité imposerait au sujet une logique de troubles mixtes. Le "choix" de l'axe privilégié interviendrait alors plus tardivement, selon les aléas de la trajectoire de la personne.

Dès lors, il paraît nécessaire de se décentrer maintenant de ce nœud problématique pour tenter d’en percevoir la trame implicite. Si nous avons évoqué l’intersubjectivité comme source, nous pouvons profiler cette même notion comme delta du trouble. En d’autres termes, il semble désormais pensable de se ressaisir de son lien à l’autre, dans la perspective d’élucider, autant que faire se peut, le magma que Boris donne à voir. Il s’agit pourtant d’étudier moins l’axe relationnel, au sens que nous avons choisi dans les autres situations, que la particularité du lien actuel au thérapeute