2.2.2. La confusion.

Très vite pourtant, et souvent en lien avec la centration sur l’espace, les sujets déroulent une kyrielle d'élans étranges, brusquement extirpés d’une strate non localisable, rendant l’échange de plus en plus confus et bizarre. Par instants, Monsieur S ou Boris nous aspirent du côté de la dissociation, Monsieur B suscite l’attaque, Monsieur C une compassion mêlée d’horreur, Monsieur A nous attire au cœur du désespoir, Monsieur M sur les voies de l’inceste; Farida et Amina nous accueillent dans une trame de violence physique et incestuelle. Arnaud plonge dans l’effroi muet, Ali-Yann invite à l’épouvante et Monsieur Rouge développe à l’envi l’effraction de son intérieur à vif.

Mais tout cela s’enchevêtre, s’entrechoque, se superpose dans un inextricable lacis d’où n’émergent qu’égarement et incohérence.

L’étape suivante pourrait alors être figurée comme une incandescence émotionnelle, seulement ressentie par le tiers, puisque les sujets n’expriment toujours qu’une indifférence invraisemblable face au récit qu’ils relatent. Nous sommes témoin en effet d’un déferlement paisible, oxymoron de la brûlure enfouie et de la glaciation défensive. Notre appareil à penser est bouleversé, tombe en panne et se perd lui même dans des émotions indicibles. Nos confusion, embarras et honte prédominent dans cette seconde période. Car nous ne comprenons, n'entendons même, rien d'autre que le vacarme du chaos, que nous ne pouvons reconnaître ni strictement nôtre, ni définitivement leur.

Cette dimension récurrente nous amène à poser l'hypothèse de la co-création d'une instance psychique double, composée d'abord des sensations corporelles ressenties pour chaque interlocuteur et abouchées, ajustées l'une à l'autre. C'est par la résonance, en l'objet, de ce type d'éprouvés, qu'un début d'élaboration se met en place; sa mutation de sensation en affect s'opérant en partie par la migration en l'autre. Au fond, la figuration du Bernard l'ermite, représente très finement la souffrance de ce psychisme décortiqué et nu, qui tente, avec avidité et désespoir, de trouver une niche protectrice dans l'objet.

Ainsi, par leur intrusion brutale, les empiétements passés traversent l'objet en se déchargeant de leur dimension solitaire. Ce qui se transmet d'abord, ce sont les éléments bruts, non-détoxiqués. De l'autre côté du miroir, le tiers se trouve implicitement chargé de mission, celle de se rendre apte à transformer les excitations venues du passé. La translation est donc nécessairement infiltrée de la violence et de l'hébétude que l'enfant avait autrefois éprouvées lui-même face à l'objet. Simultanément, elle ouvre un espace apaisé, car partagé avec au moins un autre, atténuant de ce fait ses premières incohérences.