3.1.3. La relation d’amarrage.

Notion capitale de ce travail, nous croyons pouvoir l’énoncer comme un concept «pré-transférentiel». La double dimension de primauté de la relation, en tant que réminiscence de l’attachement archaïque et de lien actuel rudimentaire, a en effet progressivement pris une place centrale dans cette recherche, qui la situerait aujourd’hui comme une des hypothèses principales. Car plus qu’un «baume psychique du vécu d’empiétement » tel que nous l’avions proposé à l’origine, elle permet de re-visiter ces premières expériences en les transportant du sujet à l’objet.

Au cours du développement, notre pensée a régulièrement oscillé entre amarrage et transfert, avant de nous autoriser à énoncer une étape préalable au moment strictement transférentiel. En effet, comme nous croyons que la clinique l’a montré, il existe dans ces situations tout un pan de la relation qui passe presque inaperçu, tant il est discret, éphémère et discontinu. Il n’est à notre avis pas possible de l’identifier comme un lien thérapeutique, dans la mesure où aucun indice d’une demande n’est perceptible, en tout cas sur le plan symbolique ou pré-symbolique. En revanche, quelque chose s’esquisse parfois sur un registre sensoriel ou concret.

Bien sûr, il faut considérer les demandes, souvent utilitaires et dispersées, comme susceptibles de biaiser les potentialités thérapeutiques ultérieures; dans la logique de l’indétermination, il faut également les entendre comme n'étant pas adressées à un objet défini, encore moins à un spécialiste de l’insight; rappelons à ce propos la difficulté de ces personnes à s’approcher de la sphère de l’intime.

Cependant, si les sollicitations sont agréées, avec la soumission suffisante que nous avons développée plus haut, si elles trouvent une contenance avertie, un lien à peine visible peut se tisser, du sujet à l’objet. La relation d’amarrage consistera en premier lieu, du côté de l’objet, à seulement protéger ce fil fragile; dans ce sens, aucune prétention de travail psychique n’est réaliste ni souhaitable. Plus, elle pourrait être une contre-indication majeure dans ces situations. Car si le psychiste ne se prête pas à ce lien insensé et sans projet, la dimension intérieure du sujet risque d’être abandonnée; en effet la relation sera éventuellement reprise par des projets sociaux, souvent chargés de bienveillance, mais généralement spécieux et vains, la réalité interne du sujet, toute gravée en palimpseste, ne pouvant assurément pas être saisie facilement.

Ainsi, la relation d’amarrage ne paraît plus seulement permettre au sujet de lutter contre la trace du vécu d’empiétement, à travers un «travail de déconstruction transitant par l’objet ». Elle lui donne la possibilité de constituer la désillusion nécessaire pour re-mobiliser les processus suspendus, en direction d’un aboutissement plus ajusté de la structuration interne. Lien inconditionnel au départ, elle va consentir à l’exportation sur l’autre de l’incohérence, de l’imprévisibilité, de l’absence, ré-adressant en cela les éprouvés intérieurs, en actes externalisés. C’est par ce passage indispensable que le sujet pourra, peut être, créer et scénariser un nouveau mode d’expression de ses motions internes, qui se transformeront alors en affects, possiblement transférables.