Sujet n°2 : Monsieur N : 104/ 112.
04/01/01.

Avant la mise en route du magnétophone me donne son autorisation en expliquant sa méfiance, par rapport à son passé de syndicaliste face aux patrons, qui le mettaient en route sans demander l’avis des personnes concernées.

E : je vais vous demander une présentation générale avant de vous poser mes questions.

Je m’appelle J N., je suis la 3ème génération de J, ils manquaient d’imagination ! J’ai 59 ans, je suis divorcé ; un garçon, ah ! Mon fils, 40 ans, trois sublimes petites filles, enfin non, elles ne sont plus petites…Oh ! Je veux pas ( inaudible. J’entends «m’amuser ») avec mon livret de famille. Mon fils, il a (hésite) 36 ans maintenant et mes filles, la benjamine elle doit avoir (silence) 30 ans…

E : donc, de 34 à 30 ans pour les filles ?

A peu près. Je vous dis, j’ai perdu mes papiers, j’avais une sacoche, elle était cassée puis j’ai perdu mes papiers, livret de famille ; il va falloir que je refasse tout.

E : vous les voyez, vos enfants ?

Oh ! C’est rare que je les voie, y’ a toujours une excuse ou bien c’est au point de vue monnaie, au point de vue matériel ; ensuite j’ai eu des problèmes de peau qui risquaient des fois de les contaminer, enfin pas les contaminer, disons que ça pouvait se transmettre alors le… (s’interrompt). Et puis, je suis pas d’accord, y’ a un temps pour chaque chose et pis j’étais pas d’aplomb pour aller les voir. Quand je suis pas d’aplomb, pas au meilleur de ma forme, je tiens pas à voir mes enfants particulièrement.

E : vous préférez attendre d’aller mieux pour les rencontrer ?

Plus ou moins certainement, voilà. L’image de marque, j’y tiens, c’est pas de l’orgueil, l’image de marque, je tiens à l’image de marque : on a connu papa comme ça et moi je veux qu’ils gardent toujours une image de leur père et ceci, c’est très important.

E : vous avez vécu avec eux longtemps ?

Bien sûr.

E : toute leur enfance ?

Oh non ! Au moment de, de (bégaie) lorsqu’elles sont devenues jeunes filles, mes filles, on était déjà divorcés, je les ai pas connues au moment de leur puberté, quoi, disons, je les ai, je les ai, à cette époque là il y a eu la rupture, ma «charmante » (très ironique) épouse avait…(mime le départ)

E : bien, je vous propose qu’on démarre avec les questions. Vous savez que vous avez toujours le choix de ne pas répondre à certaines questions si vous le souhaitez.

1 ère question : dans quel type de lieu vous sentez vous le mieux ?

Vous savez, pour se trouver bien dans sa peau, c’est pas facile. Y a de Caux, de Caux, vous savez, le présentateur de télé, là, il a fait l’expérience, il a été sur une île.

E : Georges de Caunes ?

De Caunes, je me souviens plus. Il avait fait l’expérience, il a dit, je vais essayer d’être tout seul, il avait emmené un chien, du secours, à manger ; et puis, au bout d’un certain temps, il s’est aperçu, il disait que la société ça allait gêner, quoi ; il voulait faire l’expérience, il s’est aperçu qu’il avait besoin (souligne) de compagnie. Et on ne peut pas être, on ne peut pas s’isoler, on a besoin (insiste) de son prochain.

E : (reposant la question à l’identique.)

Dans la nature, elle est tellement belle, elle ne trahit pas, la nature. La nature, elle nous trahit pas, elle est ce qu'elle est, elle est très généreuse avec nous, si on sait la respecter elle nous donne beaucoup de choses. Dans la nature, bien sûr… C’est pas qu’on est misogyne, qu’on n’aime pas notre prochain, mais… (silence) Vous savez, la question elle est ardue, elle peut… (hésite) y’ a des gens sur 100 personnes vous allez prendre, y’ a 80 personnes que vous arriverez à essayer, je dis bien essayer de communiquer avec elles ; et puis au bout d’un certain temps, vous vous apercevez que sur les 80 personnes, y ’a beaucoup de déchet. Ensuite, y’ en reste 150 encore…

E : Y ’en reste ? (déjà perdue dans les chiffres proposés)

150 encore, que vous arriverez à…

E (l’interrompant) : 150 ?

(Professoral) Sur 100, on part sur la base de 100. 80 après que vous avez, sur les 80 vous avez encore une série de 10 ; et sur les 80, il en reste encore 50 ; ensuite vous allez vivre pendant un certain laps de temps avec ces 50 personnes et ensuite vous allez vous rendre compte que vous ne trouvez plus que 10, ça va…(hésite, bafouille) Et au bout d’un certain temps, on en revient à… Bon, la solitude n’existe pas, on a toujours besoin de quelqu’un pour avoir une compagnie, il est bien vrai que…Ecoutez, moi j’ai vécu, parce que pendant un certain temps j’ai fait des expériences tout à fait personnelles, j’ai vécu avec des gens de la rue, c’est dur avec les gens de la rue ; je l’ai fait volontairement cela, au début on était deux, ensuite y’ a des gens qui sont venus se greffer, on s’est trouvé à 10 et à un moment donné, j’ai dit, y ’a toujours une personne qui essaie de s’imposer sur les autres, j’ai dit «bon, écoutez les gars, au début on était deux, trois, deux trois on était bien, on était bien parce que le courant passait bien avec 2, 3 personnes. Y’ a de quoi écrire un bouquin, je vous assure, parce que c’est… Après, on s’est trouvé à 10, moi je dis, même de moi-même j’ai dit non, on cassait la croûte ensemble, on buvait le canon ensemble, mais là on s’est trouvé à 10, automatiquement il s’est crée une zizanie. Y’ a des gens, je vous parle des gens de la rue, je vous parle pas dans un contexte où c’est que les gens y sont équilibrés, ils rentrent le soir de leur boulot, tout ça…Des gens de la rue, je connais des gens y sont, ils font la manche, des gens de la manche, quoi. Mais moi, je la fais pas la manche, vous savez, c’est un truc, je suis jamais arrivé à le faire ; c’est un truc, d’ailleurs, je me suis posé la question, j’ai fait mon analyse personnelle, en plus j’ai fait une analyse sur le tas, je posais la question aux copains là, aux camarades, enfin aux compagnons, c’est des compagnons pour moi, c’est tous des compagnons… Eh ! Bien je lui demandais : « dis donc, Jean ou Pierre ou Paul, comment que tu fais pour arriver à faire la manche, ça te, ça te fait pas quelque chose ? » J’y arrive pas, moi, ça…J’étais, j’étais au fond (inaudible), «tu trouves pas que c’est déshonorant de tendre la main et puis, demander… ? Tu sais, Joseph, au début, oui, - il m’a dit, le copain me dit – oui, c’est vrai que c’est dur ». Je dis, «j’y arrive pas, je n’y arrive pas. »

E : vous n’avez jamais essayé, ou vous n’avez jamais pu ?

Si, Madame, c’est vieux, ça, j’ai essayé une fois. Je me suis dit la prochaine fois je me fous sous une cisaille et j’appuie sur la pédale. Je peux pas. Bien sûr, je préfère mieux aller avec des copains quitte à me serrer la ceinture, j’ai toujours une petite pièce au fond de la poche, hein ! Pour casser la croûte et ainsi de suite... Je dis, eux c’est leur vie, la manche, en fin de compte ils comprennent pas un autre système, un autre module de vie que ça, oh ! Non. La manche, la manche, c’est pas ça la vie, y ’a d’autres choses, d’autres horizons, non, ils sont toujours dans le même coin, en fin de compte, j’arrive à admirer vraiment ceux qui y arrivent. Y’ a des gars, ils vivent comme ça mais ce qu’il y a, faut être changeant dans la vie, mais c’est toujours le même système, ils ont cette (inaudible) de nature, c’est ci, c’est ça, voilà on casse la croûte, on a le litron, on casse la croûte à midi ou à une heure…Y’ a d’autres horizons, avec des faibles moyens on peut essayer de se rendre utile, quoi (bafouille). En fin de compte, voyez, je vais essayer peut être de pas être dégueulasse ou quoi, ils s’excluent par eux-mêmes. Moi, c’est l’analyse que je fais, c’est l’exclusion, elle vient déjà du système social, y’ a certaines exclusions qui se font par le comportement d’un individu et ensuite une fois qu’ils sont…Y’ a une exclusion qui est faite au niveau du travail, hein ! …Du contexte du travail, parce que bon, ben, incompétence dans le cadre de leur métier, ensuite y’ a l’exclusion caractérielle aussi, qui peut jouer aussi dans le contexte du travail, le niveau de compétence qu’on a dans les ateliers… Et ensuite, c’est d’eux-mêmes par le comportement quand ils sont dans la rue, ils arrivent à avoir une forme de sélection ils s’excluent aussi par eux-mêmes, par leur autocritique, voilà l’autocritique vis à vis de la société et par eux-mêmes en fin de compte. Alors là, ça devient grave, quoi, vous savez, je me souviens, on a, c’est vieux ça, un système au point de vue syndical, vous savez dans les grands trusts japonais, le matin, le matin les gens sont réunis alors qu’est ce que vous avez fait, et comment vous vous jugez, et c’est leur mea culpa qu’ils font.

E : et vous pensez que les gens de la rue ne le font pas, leur mea culpa ?

Ben non, ils vivent au jour le jour, quoi, ils vivent au jour le jour, ben la manche est bonne, vous vous rendez compte ? Et moi, j’ai vu, au moment des fêtes là, j’ai discuté y’ a pas tellement longtemps ; c’est pour ça qu’il faut faire une expérience de cette vie là, ben le gars il gagnait plus, il gagnait plus que le gars qui va au boulot, même qu’un ouvrier qualifié, je vous assure hein ! Je vous dirai pas les prix, et même à la journée je vous dirai pas les prix non plus, et bien le gars qui sait se débrouiller, enfin, honnêtement hein ! Eh ! Ben il gagne comme un O.S. chez Renault ou chez… comme un O.S., je parle pas des ouvriers qualifiés mais c’est pas compliqué à la fin du mois, si il a un RMI, il gagne comme un cadre, je vous assure madame, il gagne comme un cadre, mais je vous dis pas les prix. Je les connais, les prix, mais je vous dis pas. Sans faire la manche, j’étais avec les gens, je regardais, cassais la croûte avec eux, c’est pour ça que je vous dis pas les prix ce serait une forme de délation ; vous savez, ma philosophie là dessus, c’est les délateurs en temps de paix je les hais, en temps de conflit, je les mets contre un mur. C’est dur, hein ! Vous savez, un délateur, un mouton si vous aimez mieux, c’est comme la gangrène, voyez, je vais vous faire un rapport, il vaut ce qu’il vaut, il est tout à fait personnel je n’ai vu ça nulle part : un délateur, c’est comme le type qui a une gangrène, voyez, j’ai la gangrène, mais ça je le dis chaque fois, pour imaginer le délateur, c’est le type dangereux en fin de compte ; donc j’ai la gangrène ici, par exemple (montre un doigt), j’ai eu un accident, je l’ai pas soignée, j’ai la gangrène, ben vous savez ce que je fais, je fais l’ablation, l’ablation de cet élément là de crainte que la gangrène se propage. Ben, un délateur, c’est pareil, faut le neutraliser, pas physiquement bien sûr, ça se fait pas, ben disons faut le neutraliser puis éventuellement le mettre au ban, voilà, c’est ça. Je suis peut être dur, mais c’est comme ça. Vous vous rendez compte, les délateurs ils, écoutez, on recule un petit peu dans le temps, en 45, vous vous rendez compte, y’ a des délateurs vous savez, ils ont détruit tout un groupe de résistants, comment qu’on appelle ça, la taupe…Un type, un seul, il a foutu en l’air, il était capable de foutre en l’air tout un système de gars, et les gars ensuite ils étaient déportés ou on les mettait contre un mur. Une seule personne, c’est pour ça il faut les neutraliser et puis éventuellement, ça dépend du contexte, éventuellement même physiquement.

E : en cas de conflit, contre un mur, c’est ce que vous avez dit ?

Oui, oui, tant pis, mon vieux, t’as joué le jeu, hein ! Ecoutez, c’est ce que je vous dis, j’en reviens là, j’ai la gangrène, je me suis pas soigné, et ben on fait l’ablation hein ! Et puis c’est tout. De toutes façons, il vaut mieux faire l’ablation ici (montre le doigt) qu’ici (montre le bras). C’est encore le même système là.

E : (perdue dans le discours, tente de retrouver le fil des questions) : Est-ce que vous pourriez dire finalement dans quel type de lieu vous vous sentez mieux ?

Euh ! Vie de famille, vie de famille, bien sûr ; du moment que j’ai eu une vie de famille, mes enfants se débrouillent très bien.

E :( sentiment de ne pas être entendue) : la vie de famille, c’est à dire un appartement ou une maison personnels ?

Oh ! Vous savez, je cherche la compagnie, je cherche la compagnie, je vous ai expliqué avant, je cherche la compagnie mais je suis très sélectif quant à la compagnie ; mais je peux avoir des compagnies, des gens qui sont au point de vue social, qui ne sont pas asocial mais qui sont primaires du point de vue social, par leur comportement et leur façon de vivre deviennent éventuellement (s’interrompt). Ca vient du caractère et ça vient du niveau intellectuel qu’ils ont, hein ! Ils deviennent asociaux, puis y’ a des gens qui sont caméléons. J’appelle ça le système caméléon.

E : (assez exaspérée) : pardonnez--moi de vous interrompre : il y a longtemps que vous êtes au foyer ou à la rue ?

Oui, ça fait un bout de temps que ça dure, oui.

E : vous n’avez pas souhaité ou pu trouver un appartement, depuis ?

C’est pas compliqué, je serais dans une situation difficile, que je serais à la rue. Je touche, je peux avec ce que je touche, je peux me trouver un espèce de garni. Mes moyens matériels me permettent d’éventuellement, de trouver quelque chose. Mais j’ai d’autres projets, j’en ai discuté avec B, (le responsable de l’orientation) c’est de me rapprocher de mes enfants, c’est pour ça que je ne veux pas avoir quelque chose de solide. Vous comprenez, je serais éventuellement, par ce système de trouver un garni, c’est l’effet boule de neige qu’on appelle ça ; progressivement, oh ! Ben tiens, je vais acheter une armoire, un réchaud, je vais acheter un frigo, mais une fois que vous avez votre cocon, hein ! C'est le système de cocon ; quand vous avez un cocon du moment que vous êtes bien parce que c’est, chaque personne a sa façon de créer son milieu ambiant, eh ! Bien une fois que vous l’avez, vous avez plus envie de bouger.

E : vos enfants sont loin d’ici ?

Non pas spécialement. Ils sont dans l’Allier c’est pas loin.

E : mais vous aimeriez repartir dans votre région ?

Voilà, oui.

E : Est-ce qu’on pourrait dire que pour l’instant vous êtes dans un foyer... ?

(m’interrompt) Je suis dans un cocon, je suis bien, j’ai affaire à des gens qui sont charmants, je vous assure qui sont charmants, et je vous assure c’est ce que je vous dis tout de suite là, quand vous êtes dans un climat, dans un climat de communication, de conviavilité (convivialité), y’ a tellement de nouveaux termes qui sont à la mode… Et que vous avez des gens qui sont agréables, ben…

E : donc, ici vous êtes bien et vous ne souhaitez pas vous installer ailleurs dans la mesure où vous espérez retourner auprès de vos enfants ?

Non, il faut que j’aie les moyens matériels pour le concrétiser.

E : pour retourner vers vos enfants ?

Voilà, si j’ai les moyens matériels. Dans l’immédiat, faut que je refasse surface parce que vous savez, j’ai eu des problèmes de santé. Alors, il faut que je refasse surface, surtout qu’au point de vue matériel je sois, pas compétitif, on ne parle pas de compétition à ce niveau-là…Que je sois pas dépendant, quoi, que je quitte le système de…(s’interrompt) Enfin nous sommes tous dépendants de quelque chose, y’ a aucun mystère hein ! Ne serait-ce que vous ayez un numéro, 143…mon numéro de sécurité sociale, tout de suite vous êtes déjà, rien que par ce biais là, alors on tape sur l’ordinateur vous êtes, vous êtes dépendant. A moins de faire comme Ducros (de Caunes) aller dans une île vierge, malgré tout y’arrive un moment, vous êtes…

E : ( dans une tentative de synthèse de la réponse) :donc, pour l’instant, ce qui est le mieux c’est d’être dans un foyer, dans la mesure où ensuite, vous avez le projet de vous rapprocher de vos enfants et de prendre un appartement ?

Voilà. C’est une ébauche qui est faite. Faut faire une infrastructure, vous savez, quand vous construisez une maison, faut faire des fondations.

E : vous avez déjà été dans la rue avant le foyer ?

(Surpris) Vraiment dans la rue ? Attendez, qu’est ce que vous entendez ?

E : dormir sous un porche, par exemple ?

Si, enfin, attendez, comment vous avez posé la question ?

E : dormir dans la rue ?

Parce que j’avais pas les moyens de… ?

E : pour une raison ou pour une autre…Avant d’être au foyer, vous étiez en appartement ou dans la rue ?

J’étais dans un foyer S.

E : vous êtes toujours resté dans un foyer ?

Oui, disons qu’être dans la rue, vous y êtes pendant 2 ou 3 mois, ou 4 mois, c’est ça d’être dans la rue, hein ! (explicatif)

E : vous y avez déjà été ?

Non, c’est parce qu’il faut savoir interpréter «être dans la rue. » ( Entre clarification et opposition latente) C’est être «locataire de la rue» ? Non, ça non. Locataire de la rue, (rit) ouh! Là, ça chauffe, J ! Locataire de la rue, c’est une expression, elle vaut ce qu’elle vaut, vous savez, nos académiciens, bon, ben, locataire de la rue, ça passe, à mon avis ça doit passer. Les académiciens, vous vous rendez compte, ils sont pendant des jours entiers sur un mot, et ils passent à la paie en plus. (Inaudible) Et oui, en plus, ce mot ils le modifient des fois parce que c’est pas encore ça.

E : (submergée) c’est leur travail.

Vous savez, c’est complexe, un mot, des fois…Ca vient pas comme ça, hein !

E : est-ce qu’on peut continuer ?

2 ème question : êtes-vous itinérant (sans attaches géographiques)

Vous m’auriez dit ça, je l’aurais apporté, parce que j’ai un pense-bête, je l’aurais amené là.

E : (de nouveau perdue) quoi donc ?

Je, je (silence) Je note, moi aussi, je note aussi ; c’est pas rien que vous qui notez.

E : (de plus en plus exaspérée) vous voulez noter quoi, le mot itinérant ?

Non, c’est pas itinérant je connais sa définition heureusement. Mais j’ai un autre calepin où c’est que je note depuis quand je suis ici moi. (persévère sur la question précédente.)

E : non, ce qui est important ( je bafouille ), ce n’est pas la vérité historique, c’est votre vérité à vous. La question était de savoir si vous aviez ou pas des attaches géographiques. Ca pourrait être vos enfants, par exemple ?

Je vous ai dit, c’est mes enfants, mon attache, oui, c’est le retour auprès de, c’est mes enfants. C’est là l’important, c’est ça.

E : autrement, à part le retour, vous êtes itinérant, la seule attache, c’est l’Allier, c’est ça ? (très confuse)

Oui, oui, la base, la base.

Depuis quand êtes vous itinérant ?

E : depuis le divorce ?

Depuis le divorce, j’ai fait le pigeon voyageur, j’ai bourlingué un peu partout dans l’hexagone, dans l’hexagone, non, j’ai pas été à…

E : le divorce date de quand, approximativement ?

Plus de 10 ans, maintenant, ah ! Oui, ça fait plus de 10 ans que je suis divorcé.

E : ça fait plus de 10 ans que vous êtes itinérant avec le souhait, l’espoir de revenir dans l’allier ?

Des fois, des fois j’ai travaillé, depuis le divorce, je me suis foutu au chômage pendant un certain laps de temps, je peux pas vous dire si…Non, parce qu’il faut quand même donner des bases, hein ! A peu près sérieuses, quoi. Depuis le divorce, j’ai quitté mon boulot, j’ai tout abandonné, j’ai quitté mon boulot, allez hop ! Va comme je te pousse.
Au point de vue travail, j’ai une formation technique qu’est pas si mauvaise que ça…

E : c’est indiscret de vous demander laquelle ?

Non, ajusteur automaticien.

E : ajusteur… ?

Automaticien, faut pas l’oublier, c’est déjà plus costaud qu’ajusteur et actuellement c’est ce qu’on demande, on demande des gens qui sont de plus en plus qualifiés. Et un ajusteur, c’est dépassé maintenant.

E : jusqu’au divorce, vous travailliez, vous aviez des responsabilités syndicales, si j’ai bien compris, et au moment du divorce, vous avez tout lâché ?

Au niveau national en plus, madame, au niveau national. J’allais à Paris, je vous dis pas où mais j’allais à Paris, j’étais responsable au niveau national.

E : et vous avez tout lâché à ce moment ?

Oui.

Tout balayé ?

Oui. (Silence) pourtant quand même, malgré tout, c’est balayé sans aucune arrière-pensée, c’est en bonnes relations.

E : avec votre épouse ?

Oh ! Non, pas avec elle, c’est rideau.

E : Avec vos enfants ?

(Persévère) C’est une étrangère, c’est vraiment une étrangère, c’est fini, hein ! Pensez, une étrangère, elle a plus de considération… C’est comme ça et puis c’est tout, hein ! Mais… C’est pas qu’on est têtu, mais… C’est un module de vie, il vaut ce qu’il vaut mais c’est ça. Vous savez, c’est comme les lâches, les traîtres, c’est pareil hein ! (Silence) Elle existait plus, c’est dépassé. ( Devient inintelligible) Vous existez peut être physiquement pour vous, mais pas pour moi, même physiquement vous n’existez plus.

Quel est votre périmètre de déplacement ?

E : vous disiez : au niveau national ?

C’était pour mon travail, ça. En train, en bus…

E : et maintenant que vous êtes itinérant ? Vous vous déplacez dans quel périmètre ?

Dans quel périmètre je me déplace ? Bon, ben là, je vais au point de vue administratif, ben il y a les ASSEDIC, il y a…

E : sur la ville, donc ?

Aux alentours là, direction St F.(sud), des trucs comme ça. Je me déplace au point de vue administratif là ; ensuite quand il y a les beaux jours, vous avez des bancs là qui sont charmants au parc de la T. d’O. c’est charmant, c’est merveilleux, y’ a des gens qui disent, oh ! Le parc de la T. d’O, je connais ; je dis «excuse-moi, tu connais pas le parc de la T. d’O. » Moi j’y vais, ça fait peut être pas 100 fois, mais ça fait X fois que j’y vais au parc de la T. d’O. Le parc de la T. d’O. est toujours à découvrir suivant les saisons.

Les gens parlent, disent : «  je connais». « Dis pas non, tu connais pas, le parc, tu connais pas le parc de la T. d’O. C’est tellement merveilleux, ça dépend, ça dépend, moi je vais dans un endroit, le long de la rue quand on passe là, derrière où c’est qu’il y avait le palais des expositions, là, vous savez, juste derrière, suivant la saison c’est, c’est plus pareil, il a changé déjà.

E : au bord du fleuve ?

Ouais ! Eh ! Bien des fois, y a les écureuils qui viennent, parce qu’on leur donne à manger, ils viennent sous le banc ; ben c’est pareil, l’autre fois j’ai vu un écureuil noir, la première fois que je voyais un écureuil noir, j’ai dit c’est merveilleux ça ! Donc c’est plus pareil, c’est plus comme c’était il y a deux mois. C’est pour ça, on dit qu’on connaît le parc de la T. d’O. mais non.

3 ème question : êtes- vous sédentaire ?

Non, j’ai pas une tendance de sédentaire. Sé-den-ta-ri-sa-tion, encore un mot barbare, on va dire à nos habits verts qu’ils fassent attention…

E : à quel mot ?

Sédentariser. Parce que vous l’employez, ça dépend à quelle forme vous l’employez, ce mot-là.

E : c’est quoi, pour vous, être sédentaire ?

Le gars, une fois qu’il est dans un coin, il bouge pas, c’est à dire, on devient pas papa gâteux, mais se sédentariser, c’est avoir…Je vais chercher mon, vous savez, le système, le bon petit français avec l’image du français moyen, le béret, la baguette et pis pour… ( inaudible. Rit) Non, voilà, je suis contre. J’aime voir les horizons nouveaux, pourquoi je me suis mis à faire de l’intérim ? Je faisais des intérims, j’étais bien, vous savez, c’est pas pour me gargariser ni pour me faire enfler les chevilles, j’avais des intérims où c’est qu’y avait d’autres compagnons qu’y étaient partis, on m’avait dit : « Mr. N. vous restez. »

E : et vous ne vouliez pas ?

Hein ! Si, si je suis resté parce que, bon ben, j’avais vu des fois des compagnons avoir des missions d’un mois, un mois et demi, moi je suis resté six mois et on me disait, «Mr. N. si vous voulez, vous pouvez rester encore. » Je dis non, non, non et puis je suis allé ailleurs. Si, je vous assure.

E : et cela, même quand vous étiez encore avec votre famille ?

Non, non, non, dans ma famille j’avais mon poste de travail, là non.

E : vous avez été intérimaire après ?

Quand ? J’ai jamais été intérimaire lorsque j’étais avec ma famille. Je tenais, lorsque je rentrais de mon travail, à voir mes filles et tout. Non, non, tout ça c’est après, c’est au moment du divorce, c’était le pigeon voyageur.

E : c’est après, que vous avez été « pigeon voyageur» partout en France ?

Non, j’avais une région, la région Rhône Alpes, je travaillais en Rhône-Alpes et un peu, on dégageait un petit peu du côté de l’Ain. Rhône-Alpes, oui.

4 ème Question : pourriez-vous mesurer approximativement la durée de vos séjours dans un même lieu ? Dans les foyers, en intérim… ?

6 mois c’est le maximum parce que bon, ben le chef d’atelier, il a dit «écoutez Mr. N. c’est un projet pour le futur, en attendant vous allez faire des préparations tout ça, mais vous restez ici. »

E : c’est aussi vrai par rapport au foyer, par exemple ?

Ben écoutez, le cocon, le cocon est bon.

E : il n’y a pas de durée moyenne ?

6 mois en intérim.

E : combien ici au foyer ?

(silence)

5ème question : Savez-vous ce qui détermine votre départ d’un lieu donné ? (énumération des propositions)

Je ne sais pas, vous savez j’ai un état, suivant l’état d’âme. Moi j’ai un endroit suite à une personne, je vous tairai le nom de l’endroit, on était content de moi, j’assumais, je m’affirmais et j’assumais ; on était content de moi. A cause d’une personne qui est venue ensuite, elle voulait imposer son, un module, un module de travail, tout ça. Moi j’avais crée, à l’endroit où j’étais, j’avais crée un module de travail qu’était pas si mauvais que ça, je vous tairai le nom, je veux pas, je veux pas vous le dire…Puis, après, cette personne qu’est venue et puis… (s’interrompt) Le courant passait bien avec une autre personne et à partir du moment que cette autre personne est venue, elle voulait créer, il a crée un climat peut être moins, le courant passait plus, moi, la première personne (inaudible), il dit : »Mr. N. restez, restez, vous me donnez satisfaction. » J’étais dans son bureau, la personne était dans l’autre bureau, j’ai pas voulu dire le nom, on sait jamais, vous savez les murs ont des oreilles. « Mais pourquoi vous vous en allez ? » Vous savez ce que j’ai fait ? J’ai fait un petit signe de la tête. (Mime un signe de connivence) (murmure) Et je suis parti à cause de ça.

E : Vous partez suivant l’humeur, mais aussi suivant l’environnement, les personnes ?

Vous savez, vous savez, le milieu ambiant, c’est vraiment je pense, on peut pas dire que c’est capital…(silence) Vous savez, lorsque vous créez un milieu et que vous arrivez à vous intégrer dans un milieu, enfin c’est pas pour créer un sectarisme, ou pour créer un clan, le clan n’est pas bon non plus ; on rejette ensuite les autres personnes une fois que le clan est crée, plus personne peut rentrer dedans hein ! C’est difficile à dire (inaudible) c’est à double tranchant oui. L’homme, l’homme crée des clans, c’est vraiment malgré tout, (rit) c’est malgré soi-même, hein !

E : donc, on pourrait dire que quand vous êtes prêt à partir, c’est parce qu’il y a des gens qui…

(M’interrompt) Y’ avait, y’ avait le milieu ambiant, y’ avait déstabilisation du milieu ambiant, ah ! oui, c’est pour ça que…

E : (l’interrompant à mon tour) pardon, est ce que ce serait le besoin d’aller ailleurs ?

Non, non, parce que ça me plaisait, ce que je fais, le travail que je faisais, c’était un travail qui était diversifié, hein !

E : donc ce serait plutôt…

(m’interrompt ; inaudible)

E (continuant) l’impression de ne pas être à votre place ?

Non, c’est parce qu’il y avait une personne, une personne qui était cadre ici, qui créait un milieu qui était négatif, c’est tout. Et puis, moi j’ai dit non, je peux pas travailler comme ça. Disons qu’on avait démarré un processus de travail qui était mauvais, hein !

E : là, vous parlez au niveau professionnel ?

Au niveau du boulot, oui.

E : et au niveau par exemple social etc., c’est pareil ?

Eh ! Bien non, je suis très sélectif quant à mes fréquentations ; ça m’a pas empêché de fréquenter des gens de la rue, y’ avait des gens qui étaient charmants et puis y’ avait des petits salopards, y’en avait aussi hein ! Peu vous savez, nul n’est parfait. Peut être que je passais des fois pour un asocial avec mes autres compagnons, hein, ça dépend, sur 1000 personnes, y’ a quelques personnes qui sont différentes, hein !

E : et une qui est pareille ?

Où est-ce que vous allez trouver votre semblable en face de vous, je vous défie de le trouver…(inaudible) dans sa façon de manger…Nous sommes un seul et unique et indivisible. Voilà, je suis d’accord sur le principe.

E : (épuisée, confuse) : On en arrive à la seconde série de questions : vous êtes fatigué ? On continue ?

Quand je veux, je suis un très grand bavard.

7 ème question : considérez vous avoir des problèmes de santé ?

Des fois, ah ! Oui, oui, oui, je crois, je me rends compte et puis ce qu’il y a, vous savez, j’ai encore une formule, j’aime certaines formules, c’est vrai, y’ a du statisme ; il arrive un certain âge, j’ai, j’ai… (bafouille) dans le passé j’étais un garçon dynamique, je faisais, enfin, je faisais du sport, j’ai tout le temps fait du sport. Ici, je suis statique, actuellement, je suis statique et le statisme, voilà, j’en reviens à une comparaison, vous savez ; une mare, une mare, voyez une mare, vous prenez une mare, vous avez des grenouilles dedans, vous approchez de la mare, regardez l’eau, elle est fétide, vous sentez l’eau, vous regardez l’eau, voyez cette eau stagnante. Vous respirez sur l’eau, c’est fétide. (Inaudible) Voilà ça, ça correspond à l’être humain, l’être humain, regardez, qu’est statique. C’est mauvais. Parce que point de vue circulation, il va avoir des problèmes de santé ensuite, because son statisme. Vous avez un fleuve, vous avez un rui, un ruisseau, bon ben, on peut plus parler de ça parce que c’est pollué quasiment partout ; vous avez un ruisseau, oui un ruisseau à certains endroits, vous avez l’eau vive, l’eau vive regardez l’eau claire, voilà, c’est ça le dynamisme ; et puis( inaudible) moi j’ai vu des endroits, c’est vieux ça, ça fait 15 ans, j’arrivais à boire comme ça (mains jointes portées à la bouche) tandis que le type statique, eh ! Ben il est…(s’interrompt) C’est pas bon.

E : et vous, vous vous considérez comme statique ?

Absolument, absolument.

E : les problèmes de santé que vous pourriez avoir sont liés au statisme ? Je vous cite quelques propositions ?

Lombalgies ?

Lombalgies, euh ! C’est vrai qu’euh ! Lombalgies, je me souviens que non, j’en n’ai jamais eu, non.

Dermatoses ?

Eh ! Oui, ah ! Oui, ça j’en ai eu malheureusement.

E : c’est dû à quoi, cette maladie là ?

Ecoutez, j’ai été à… (nom d’une maison de repos) là oui, j’ai suivi un traitement, ça allait bon, ben, un coup je te vois, un coup je te vois pas…

E : c’est quoi, c’est de l’eczéma, qu’est ce qu’on vous dit ?

C’est une forme de gale. C’est l’appellation que le toubib a donnée, hein ! C’est de la gale, hein ! Bon ben, j’ai des vêtements, j’ai des sous-vêtements qui sont propres, enfin je pense qu’ils sont relativement propres, mais c’est une forme de gale, oui, oui.

Problèmes cardio-vasculaires, circulatoires ?

Circulation, euh ! Je vais vous dire une chose, euh ! Cardio-vasculaire, une fois ça s’est passé, c’était en 63, et puis moi, je suis un marcheur devant l’éternel ; j’ai fait la marche des 15 km, quand j’étais bidasse, 5km, 10, euh ! 15 km, je l’ai faite. Ensuite, bon, ben y’ avait la marche des 20 km, alors vous savez, au tableau ceux qui font la marche et y’ a toujours des canards boiteux. Ils m’avaient foutu dans les canards boiteux. Ni une ni deux, moi je, sans rien du tout, moi j’étais comme ça déjà à l’époque, je vais voir le lieutenant B. et c’est là, salut réglementaire, quoi… «Comment que ça se fait que vous m’avez pas mis dans la marche des 20 km ? »

Ben, il m’a foutu les boules parce que je vous dis, je vous dis quand je faisais les marches, je portais le fusil du p’tit copain. (Inaudible) J’arrivais dans les dix premiers, toujours sur, je sais pas, une centaine qu’on était. « Ben écoutez, canonnier N., pourquoi vous faites pas la marche, vous avez un souffle au cœur. » J’avais appris que j’avais un souffle au cœur à l’armée. C’est dingue, non ? J’avais un souffle au cœur, c’est là que j’ai fait…on a fait, avant j’ai (bafouille) on a failli faire le décathlon quand on était gamin ; vous savez, le décathlon, le lancement du poids, le javelot, les 5kms, qu’est ce qu’il y avait ? Le saut en hauteur, saut en longueur, on n’a jamais concrétisé, jamais fait de la compétition, on s’est arrêté à cinq (inaudible) ; cinq disciplines, vous savez, faire cinq disciplines, le décathlon, je vous assure c’est pas n’importe quoi, pas à la portée du premier venu, on avait 18/ 19 ans. Et alors moi j’étais mal à l’aise, je disais « vous me faites faire la marche, non parce que… » (brouhaha extérieur. Inaudible)

E : et vous avez eu des séquelles de ce souffle au cœur ?

Jamais. Ecoutez, je vais vous dire une chose, là, quand il fait beau là, vous savez combien je fais du sport, je sais pas si vous connaissez…Décidément, c’est les neurones qui sont en train de se tailler !

euh ! A M.. vous savez là, le lac, j’aime pas aller en piscine parce qu’en piscine, le gars qui aime la natation –c’est mon sport favori, ça la natation et la marche à pieds, pis dans le temps quand j’étais jeune homme j’ai fait de l’aïkido- eh ! Bien quand je vais nager, je peux pas, je peux pas aller en piscine, en piscine c’est du barbotage, je dis ; eh ! Oui, je tiens à cette formule de barbotage ; ceux qui aiment la natation, moi j’aime la natation, quand il fait beau, je vais à M ; J…

(sonnerie du téléphone)

On est en Russie là, le thème…Kalinka… (en fait, une danse hongroise)

E : je vous écoute, la natation ?

On en revient à quelque chose de personnel, c’est pas pour être misogyne ou quoi que ce soit, non mais, enfin…Non mais c’est lorsqu’on aime le sport, on aime les grands espaces, j’aime la natation et quand on nage, ceux qui aiment la natation, ceux qui aiment vraiment la natation, à moins de faire de la compét. Vous allez pas en piscine, bon je me vois pas nager dans une piscine, j’ai nagé peut être une ou deux fois dans une piscine, c’était quand j’étais à l’armée, juste à côté de la caserne, c’était pas une piscine… C’était une piscine hors normes, c’était… (s’interrompt) Vous savez que l’Alsace dans les années 1870, c’était l’Allemagne, hein ! C’était les Allemands qui avaient construit ces piscines là.

E : c’était en Alsace que vous étiez militaire ?

Voilà, j’avais été dans cette piscine là, c’était des piscines hors-normes quasiment, le double de ce qu’on a ici. A M. J. ( le lac près de la ville), vous savez ce que je fais ? Je fais, pas dans le sens de la longueur, parce que ça fait plus de kilomètres, mais je traverse dans le sens de la largeur, ça fait deux kilomètres.

E : je connais.

Et on est bien, là-bas. Vous savez, j’étais au foyer à cette époque là, on m’a dit, bon ben je vais aller à M.J., il faisait beau et je dis « les gars, écoutez» vous savez, les plus chics dans le foyer à cette époque là ; en fin de compte, je dis « écoutez les gars, on va amener un casse-croûte et on va amener à boire, quoi», quand on fait de la natation, de l’eau, hein ! Je vous assure c’est pas du pinard ; le pinard c’est interdit chez moi eh! Bien j’ai jamais pu arriver à convaincre ; je dis, c’est malheureux, je dis «écoutez les gars, c’est pas compliqué, je paie le casse-croûte ; restez donc confinés dans votre cocon.»

E : et le problème de souffle au cœur, même en nageant vous ne l’avez jamais ressenti ?

C’est ça. J’ai jamais compris. Oui, bon, ben…

E : depuis, on vous a reparlé de ce problème là ?

Non, jamais, jamais, jamais.

Est- ce que vous avez des problèmes pulmonaires ?

Disons que je suis plus tout jeune, moi ; je prends jamais l’ascenseur, hein ! Je suis contre l’ascenseur moi ; non je monte les escaliers là, c’est vrai, y en a, y’a un petit essoufflement, j’ai essayé une fois.

E : vous mettez ça plus sur le compte d’un problème pulmonaire que cardiaque ?

Non, le cœur y’a rien, c’est l’âge, c’est l’âge, l’âge qui y fait et puis…Ecoutez j’en reviens à l’histoire de ( inaudible), nauséabond et le ruisseau qui coule. C’est ça, on a le statisme ça fait, pas de mouvement, pas d’effort pour pouvoir dire, c’est à dire qu’on est en bonne condition physique.

E : avez-vous des problèmes dentaires ?

Oui , aussi, une fois je me suis cassé la figure, regardez là...(me montre sa bouche où il manque deux ou trois dents devant)

E : vous n’avez jamais pu vous faire changer ces dents ?

Oh ! Ben c’est pas vieux, ça, c’est pas vieux, ça l’histoire. Non, mais j’ai eu des problèmes dentaires mais je me suis jamais soigné point de vue dentition, plombages, couronnes et tout...

Comment vous vous soignez, justement ? Tout seul ? Avec l’aide d’un médecin, d’un dentiste

Non, mais dans le temps, je vous parle...

E : et maintenant ?

Non maintenant ça va, je me brosse les dents, moi. Maintenant je vais attendre qu’ils fassent l’appareil, regardez! (me remontre sa bouche)

E : oui, et vous êtes suivi pour ça ?

Non, non, pas encore.

E : vous pensez que vous pourriez vous traiter tout seul en ce qui concerne les maladies ?

C’est vrai qu’au point de vue... C’est pas moi qui cours les médecins. (rit) Alors là, non, il faut que ça soit, disons sans être à l’article de la mort...Il faut que ce soit déjà costaud avant que j’aille voir un toubib, hein !

E : pourquoi ?

Parce que...(hésite) du fait que ça va quand même, que normalement nous avons un organisme qui crée des anticorps, éventuellement l’être humain peut arriver à se soigner par lui-même, ça sans faire partie d’aucune secte ni quoi que ce soit, hein ! Y’ a certaines sectes qui prônent de pas aller au toubib hein !

E : si votre souffle vous ennuyait, vous pensez que vous pourriez vous soigner tout seul ?

Oh ! Non, si vous avez réellement (insiste) un souffle au cœur... Maintenant, ce qu’y m’ont raconté...

E : vous croyez que ce n’est pas vrai ?

Je mets en doute, moi, soyons sérieux...

E : et la dermatose, la gale, vous pourriez la soigner tout seul ?

Ca non, non, bien sûr que non, non, elle part pas d’elle-même...

E : mais vous prenez des traitements ?

Oui, il me reste encore des cachets, là ;

E : c’est le médecin qui vous les donne ?

Voilà. On m’a donné ça quand j’étais à…

E : à l’hôpital, enfin en maison de repos ?

Oui, oui.

E : mais chez un médecin en ville, vous n’y allez pas spontanément, même avec la CMU ?

Y’ en a un ici . Non, non, j’ai aucun médecin attribué.

E : vous ne le souhaitez pas ?

Non. Y’a des gens sur l’accueil et puis je vais à l’hôpital St. J. quand c’est comme ça, hein ! Bon, ben…

8 ème question : avez-vous l’habitude de fumer ?

Ca fait des années que je fume pas et c’est grâce à mes filles ; c’est mes filles qui m’ont au début…Au début, c’était grâce à mes filles parce que quand on allait, l’été on restait pas à la maison, quand il faisait beau, c’était au bord de l’eau, on allait au bord de la (inaudible) ou au lac des S., je sais pas si vous connaissez ?

E : Vous étiez donc dans la région avec vos enfants ?

Ah ! Ben, bien sûr

E : Pas dans l’Allier ?

Non, j’étais à B.-L. en Saône et Loire, limitrophe avec l’Allier. Et bien, un jour, j’étais dans la voiture…

E : vous fumiez beaucoup ?

Je fumais, oui je fumais jusqu’à deux paquets de Gauloises par jour, sans filtre. Et un jour, c’est une anecdote, j’avais ouvert la glace de mon côté pour faire sortir la fumée ; et d’un seul coup, y’a ma fille qui ouvre l’air derrière elle, une de mes filles ; et je lui dis «écoute, écoute (inaudible) –parce qu’ils ont tous un sobriquet- coco, ferme moi cette glace». «Papa, tu nous embêtes avec ta cigarette!» Mon vieux, ça faisait des courants d’air…Vous savez ce que j’ai fait? J’ai jeté mon mégot, j’ai jeté le paquet de cigarettes par la portière et j’ai dit « tu vois, tu vois, maintenant j’ai plus de cigarettes.» «Ah! C’est bien.» (rit)

E : depuis ce temps…

(m’interrompt) Non, non, je me suis arrêté de fumer comme ça ; (inaudible) de but en blanc, hein! Deux paquets de Gauloises dans la journée, en huit heures, ça, pas en 24 heures, je fumais pas la nuit quand même. Deux paquets de Gauloises, c’est grâce à ma fille… Ensuite, quand j’ai divorcé, je me suis mis à fumer, puis après je me suis rendu compte que le souffle, le souffle, le souffle y est plus, y’avait plus de souffle, y’en avait toujours autrement je vivrais pas, mais ce souffle était vraiment diminué. J’ai arrêté de fumer là.

E : totalement ?

Hein? Totalement, d’un coup d’un seul, parce que je m’apercevais rapidement, que je mettais ça sur le compte…Le cardiaque n’avait rien à voir là dedans. Non, quand vous faites 2km à la nage, si vous aviez le cardiaque qui vous posait des problèmes, vous vous arrêtez avant, c’est à dire vous vous arrêtez pas…(hésite) c’est que vous…(s’interrompt)

E : vous coulez ?

Voilà. Le cardiaque, je suis très, très pessimiste quant à…

E : quand vous fumez, êtes vous seul ?

Pas besoin de groupe, je suis assez grand pour le faire tout seul.

9 ème question : de la même façon, est-ce que vous buvez ou avez bu régulièrement de l'alcool?

Je peux m’en passer. Je peux m’en passer. J’étais ici, dans la maison de repos, vous savez. J’avais de l’argent sur moi et je pouvais sortir, je pouvais sortir au village ; y’ avait des bistros au village, ça m’a jamais tenté de…Je suis jamais rentré complètement bourré. Non, non, non, au village, non.

E : mais par contre, pourriez-vous dire que vous vous enivrez, ? ( un peu inquisitrice) Est-ce que cela peut arriver aussi que vous buviez ?

Non, depuis que je suis ici, non. Je vous jure. Je bois mon verre de vin, je peux sortir, là aussi. (inaudible) Ils me laissent un petit peu (hésite) aller chercher mes ASSEDIC ; sans me vanter, j’étais un peu responsable quand ils sont arrivés là vous savez. (inaudible et inintelligible)

E : vous ne bénéficiez pas du RMI ? Vous touchez toujours les ASSEDIC, là ?

Oui, oui. Mais alors, qu’est ce que je voulais dire ? Je sors…

E: et que depuis que vous êtes au foyer, vous ne buviez plus.

Je bois mon verre de vin au repas, là oui.

E : et après, au moment du divorce, vous avez beaucoup bu ?

C’est à dire, au moment du divorce, j’avais une fermette, vous savez, cette fermette, c’était moi qui refaisais la fermette ; j’avais pas le moyen d’avoir des compagnons tout ça, alors je buvais beaucoup de bière, oui, mais on peut pas dire que c’était lié ; vous savez, lorsque vous travaillez, on s’étonne, regardez les maçons, pourquoi ils boivent ? Ils sont altérés, c’est leur métier qui conditionne…Vous allez me dire, ils peuvent boire de l’eau, mais vous savez, il est vrai qu’on… (s’interrompt) Un maçon, comparez pas un maçon et un type qui tient un stylo, hein ! L’effort, en kilowatts, on calcule en kilowatts, l’effort qu’un homme développe, eh bien, un maçon et puis un type qui travaille dans un bureau, on peut pas comparer. Il est bien évident que l’eau, je sais pas si ça vous apporte vraiment de l’énergie ou des calories. C’est vrai que l’alcool n’est pas bon non plus.

E : c’est à dire que vous, quand vous buviez de la bière, vous ne pensiez pas que c’était de l’alcoolisme, vous pensiez que cela vous apportait de l’énergie ?

(brouhaha) Vous aviez soif.

E : vous ne vous êtes jamais senti en état de dépendance par rapport à l’alcool ?

Ecoutez, Madame, si j’étais dépendant, j’étais pendant un mois avec de l’argent sur moi ; (inaudible) un copain ; je sortais en ville, comme je voulais, en ville, j’aurais pu entrer dans un bistro et dire : « donnez un verre de blanc »

E : cela n’est pas quelque chose qui vous manque ?

Non. On peut pas dire que j’en sois dépendant. Disons que j’aime bien boire mon p’tit canon. C’est pas…(rit, inaudible) Encore une théorie là : (rit) « le sang du Seigneur »

E : « boire un p’tit canon, c’est ? Comment vous définiriez ?

Le milieu ambiant beaucoup. (découpe chaque syllabe et l’articule exagérément) Le mi-lieu ambiant joue é-nor-mé-ment. Sur beaucoup de choses.

10 ème question : en quoi, à votre avis, ces habitudes vous sont-elles utiles ?

E : sont-elles agréables ?

Un bon vin, oui.

E : une bonne cigarette, autrefois ?

Non, la cigarette au contraire, non.

E : ce n’était pas agréable, à l’époque ?

Si, c’était agréable, c’était même une détente. Je me souviens, j’avais passé des tests à l’AFPA pour faire des automatismes ; j’étais en stage AFPA, on m’avait envoyé à B., je devais aller à I. et y avait plus de place à I. A Pétaouchnock là bas à B., et je fumais, je fumais là. C’était pour la réflexion, hein ! Ca aidait à la réflexion.

E : donc, c’était agréable ?

Non. D’abord, c’est pas agréable, ça aide à la réflexion, c’était pour la réflexion, c’était, oh ! Quasiment j’appelais ça un automatisme, un automatisme, c’était pas spécialement que…Je pense pas que j’avalais la fumée.

E : Est-ce qu’on pourrait dire que c’était un moment partagé avec des amis, des proches, des compagnons 

Non, non parce qu’actuellement j’ai des copains, enfin des copains, des compagnons, des gens comme ça, on est ensemble, on peut pas vivre sur soi-même, replié sur soi-même ça va pas, c’est négatif. C’est même dangereux éventuellement ; non j’ai des compagnons ici, des gars, des bons garçons, ils fument, ils boivent… Bon ben quand ils fument ensemble, moi je fuis, non ça me dit rien de fumer au contraire, au contraire, je panique, si je vous assure.

E : quand vous fumiez ou vous buviez, était-ce un moment où vous vous isoliez du monde ?

Non, la cigarette, c’était pour la réflexion.

E : et l’alcool ?

Parce que je vais vous dire une chose : le pinard c’est bon, c’est très bon.

E : et en ce qui concerne la bière ?

j’étais altéré et la bière, c’est bon. Voilà.

E : l’alcool ou la cigarette vous permettaient-ils de ne plus penser à vos problèmes ?

La cigarette c’était (réfléchit) autre chose.

E : la cigarette après le divorce, c’était pour quoi ? Pour réfléchir ou ne plus penser ?

(sidéré) Ben dis donc ! Vous me posez des questions qui… C’était aux oubliettes.

E : tout à l’heure, vous m’avez dit que la première fois que vous avez arrête de fumer, c’est parce que votre fille…

(m’interrompt) c’était pour ma fille.

E : voilà, et après le divorce, « je me suis remis à fumer et après j’ai arrêté de nouveau » ?

Voilà, oui ; après j’ai arrêté.

E : au moment où vous avez repris la cigarette, c’était pour quoi alors ?

Un automatisme. (Démonstratif, pédagogique) Ca existe, les automatismes attention, hein ! Ah ! Oui, y’ a des trucs que l’on fait, ce n’est pas consciemment, ne l’oubliez pas, hein ! Y’ a plus de choses qu’on pense pas qui sont faites par automatisme, qui ne sont pas commandées par notre cerveau. (inaudible) Médicalement c’est reconnu, vous avez un neurologue, il vous expliquera, c’est connu, c’est un automatisme ; c’est (articule chaque syllabe, hausse le ton) in-dé-pen-dant , indépendant de notre vo-lon-té.

E : est-ce que pour vous l’automatisme serait quelque chose comme une dépendance au produit ?

Non, je peux pas dire que c’est une dépendance, c’est un automatisme, ça n’a rien à voir avec la dépendance.

E : Nous allons terminer avec la dernière série de questions :

11 ème question : quel regard portez vous ?

sur la société ?

Le terme compagnon, je l’aime bien parce que c’est la « convivialité », le partage des connaissances, le partage des… du pain éventuellement. Le compagnonnage, d’ailleurs je regrette, je regrette que ça a disparu, au point de vue métiers, le compagnonnage c’est le Tour de France, moi je suis pour.

E : vous l’avez fait, vous-même ?

Non je l’ai pas fait. Disons qu’avec les intérims j’ai fait un semblant de compagnonnage, parce que, avec ma petite gueule enfarinée, quand je sortais des forges de Gueugnon, je croyais que j’étais un ajusteur. Et pis non, c’est pas moi le meilleur, je roulais les mécaniques. (inaudible) Tandis que je dis maintenant…Je pensais maîtriser mon travail d’ajusteur mais quand je suis allé, quand j’ai fait les intérims, j’ai dit mon gars…Et c’est là que j’ai appris, je pense que j’ai appris, que j’ai encore à apprendre.

E : donc, votre regard semble être plutôt positif sur les compagnons ?

Ah oui, je souhaiterais que ça revienne, que les jeunes y voudraient, qu’on les passe : « non, tu vas pas rester ici, là, dans ton cocon, tu vas bouger, tu vas aller ailleurs ; on va te déplacer à 200/300km, tu vas aller dans une autre entreprise, dans ton métier bien sûr, mais tu vas aller là et ensuite au bout d’un certain temps, on va te faire aller ailleurs.

Au niveau de la vie sociale : comment regardez-vous les autres ?

La vie sociale ? Oh ! Vous savez, j’aime pas porter une opinion qui serait arbitraire. Disons que dans l’ensemble, le matérialisme est destructeur. Quant à l’esprit de famille, le matérialisme n’est pas constructif.

E : vous pensez que le monde, les autres sont matérialistes ?

Oui. Non, même moi, chacun, nous sommes matérialistes, nous sommes obligés, vivant le contexte. On en revient toujours au milieu ambiant. Le matérialisme est (souligne) destructeur au point de vue de la famille et surtout au niveau social aussi. Le plus on deviendra (inaudible) son prochain, on peut observer en ville, dans les grandes villes, surtout : un p’tit vieux qui est là, on voit le p’tit vieux malheureux, alors qu’il est laissé pour compte. Et ça, c’est un tort, on s’occupe pas bien de lui, faut s’occuper mieux de ces p’tits vieux ; quoiqu’il y a des p’tits vieux qui ne veulent pas aller dans un hospice aussi, faut le dire aussi. Eh oui. Moi je connais des gens, là, qui sont dans la rue, ils veulent pas venir au P.C (foyer) c’est leur vie, ils sont bien, ils font la manche, je dis « écoute, y’ a des gens merveilleux qui vont te prendre en main », non, non, ils sentent automatiquement une forme de prison, de dépendance.

E : celui qui est matérialiste, peut-on dire que vous le méprisez ?

Quelqu’un qui n’est pas matérialiste à ce moment, faut aller en Océanie chez les Papous, là ils sont pas matérialistes, ils vivent à l’état...( réfléchit) comme on vivait il y a 20 000 ans. On est obligé d’être matérialiste sinon on devient, c’est une forme d’anarchisme qui se crée. On peut pas vivre au milieu de ...(inaudible) vous êtes un consommateur à part entière donc, automatiquement...Même une personne bien-pensante, qui a un bon état d’esprit... Nous sommes tous matérialistes, même si on veut pas que ce soit dit.

E : est-ce que ce matérialisme, qui est quelque chose que vous reconnaissez en vous aussi, est une chose qui vous gêne beaucoup, qui vous met mal à l’aise ?

J’ai constaté, bon, ben (hésite), voilà, quand je vois (hésite encore) le matérialisme (inaudible) est reconnu matériel, au point de vue familial, au point de vue affectif aussi, matériel...(inintelligible) Y’ a des gens qui vont acheter, bon, ben, quand je vois la cafetière, bon ben c’est bien, c’est bien...Mais je me souviens du moulin à café de la grand mère, c’était quelque chose de merveilleux quand j’étais gamin, c’était ma p’tite corvée de...ben c’est moi qui, je voulais le café ( ému, bafouille) quelque chose de merveilleux, ben ces choses là ont disparu.

E : vous étiez dans quelle région, alors ?

La Saône et Loire... A quel âge ?

E : au moment du café de la grand mère précisément ?

C’était dans les années 50, ça... C’était quelque chose de merveilleux.

E : vous étiez en Saône et Loire, à ce moment ?

Oui.

E : et votre petit accent, c’est l’accent de Saône et Loire ?

Ca c’est la Saône et Loire, ça ! (accentue le phrasé, roule davantage les R) Madame, il faut pas renier ses origines, au contraire.

E : et pourtant, un nom comme N., le votre, ce n’est pas un nom de Saône et Loire ?

Non, non, c’est un nom...C’est slave.

E : c’est polonais ?

Oui, de par mes parents, c’est polonais.

E : et vous, vous êtes né en France, en Saône et Loire ?

Je suis né : « Heili , Heila », je suis né en...

E : en Autriche ?

En Allemagne, moi, oui. «Heili, Heila c’est allemand. L’Autriche, c’est la tyrolienne, hein !

E : (confuse) j’avais entendu « Heidi », comme la petite fille de l’histoire...

Oui, oui, c’est l’Autriche. Heili, c’est un chant guerrier. Oui, oui. Du 3ème Reich.

E : vous êtes venu en France très jeune, alors ?

Oui, à 6ans ½, 7ans.

E : vous avez grandi en Allemagne ?

Dans ma jeunesse, dans ma jeunesse j’étais en Allemagne.

E : vous parlez allemand ?

Non, je ne le parle plus, il a disparu aussi, je vous assure, et pourtant je le parlais couramment l’allemand , mais là, non ; le polonais je le parle, couramment, non. Je le baragouine.

E : vos parents parlaient polonais entre eux ?

Oui, ils parlaient polonais. Oui, ils parlaient bien.

E : et vous êtes venus au moment de la guerre, en France ?

La guerre était finie, madame, je suis né en 49.

E : (confuse) d’accord, j’avais oublié votre date de naissance. (en fait, ne donne plus la même date de naissance.)

Oui, la guerre a fini en 45, quoique, après...(s’interrompt) C’était pas brillant, vous savez, y’ avait les restrictions, vous savez, après les Allemands il fallait, tout ça...(silence)

E : vos parents ont souhaité venir en France pour travailler ?

Non. Mon père, il est mort en déportation.

Ma vie, c’est comme celle de Martin Gray. L’horreur de son histoire...

12 ème question : à votre avis, quel regard portent les autres sur vous (énoncé des propositions)

Je m’en fous ; ils sont plutôt amicaux ; je fais le système caméléon.

13 ème question : ressentez-vous parfois un sentiment de honte ?

Je pense être intègre. J’ai honte vis à vis du monde, de la société. Y’ a des gens qui ont trop, d’autres qui sont nécessiteux.

14 ème question : pourriez-vous proposer une image qui représenterait ce qu’est la honte pour vous ?

Le mot est trop péjoratif. Au Parti, je suis arrivé à faire supprimer le mot « dictature du prolétariat ».

J’ai du ressentiment avec un peu de colère. (aborde son appartenance et ses responsabilités au Parti Communiste, les termes de « camarade politique, syndical, de compagnon ; puis ton professoral : ) il faut élaborer la suppression du mot « dictature » , c’est un mot à multiples tranchants, dictature, ça fait penser à Pinochet, c’est un mot que je bannis...Il faut remplacer dictature par ressentiment, comme les jurés devant un tribunal : « en mon âme et conscience »... « Voulez vous condamner cet homme à la peine capitale ? » J’aurais jamais pu être juré, il y a toujours un doute sur le non (nom ?) arbitraire.