Sujet n°3 : Monsieur D : 112/ 124.
10/01/01

52 ans, divorcé, une fille de 28 ans. Je fais un stage d’agent d’entretien conduisant à un CDI.

1 ère question : dans quel type de lieu vous sentez-vous le mieux ? (énumération des propositions)

Ah ! Moi, je me sentirai mieux, parce qu’ici je me sens pas bien du tout, je peux pas m’entretenir comme je veux, euh, me changer, je peux pas, j’ai beaucoup d’affaires là…Alors moi, ce que j’aimerais, c’est un… (hésite) foyer d’hébergement ou…avec chambre individuelle.

E : comme les Sonacotra ou quelque chose comme ça ?

Ouais, euh…(hésite)

E : vous ne souhaitez pas un appartement à vous mais plutôt un foyer ?

Non, parce que je ne compte pas rester à L. (silence) Je compte partir à Li. faire un rapprochement familial.

E : ça veut dire que votre famille est à Li ?

Voilà.

E : donc, provisoirement un foyer d’hébergement avec chambre individuelle ?

Individuelle.

E : c’est ce qui vous conviendrait le mieux ?

Ah! bien sûr, en raison de mon travail, il faut que je sois propre parce qu’on fait les banques, les grandes surfaces, faut que je sois propre, présentable, alors qu’ici c’est pas évident hein, on peut pas s’habiller, j’ai pas mes affaires ici…

E : ic,i vous avez le strict minimum ?

Ben j’ai que ça. (Montre ce qu’il a sur lui. Silence)

E : vous avez besoin d’un endroit individuel mais vous refusez de vous installer chez vous parce que vous avez le projet de repartir à Li ?

Voilà, c’est ça.

2 ème question : Etes-vous itinérant (sans attaches géographiques) ?

J’ai pas compris.

E : êtes vous itinérant, c’est à dire sans attaches géographiques ?

Pas d’attaches, ah non, non!

E : on pourrait dire que vos êtes itinérant? Sans attaches géographiques, et non affectives? (Impression qu’il n’a pas compris). Sans port d’attache ?

(Silence) Ah! ben si j’avais une préférence, ce serait N., bon, y’a pas de travail aussi, là-bas.

E : où ça ?

N, en Loire Atlantique.

E : pourquoi N ?

Parce que je connais bien, j’ai vécu avec ma femme là-bas et puis…euh…c’est pas loin de la mer et j’ai une préférence sur la Mer du Nord, la Manche et la Méditerranée, j’ai une nette préférence pour l’Océan Atlantique.

E : pourtant, c’est à Li. que vous aimeriez retourner ?

C’est parce que j’ai toute ma famille et puis je suis divorcé.

E : votre femme est restée à N ?

A N.

E : à part N et Li, où vous avez l’espoir de retourner, vous n’avez pas d’attaches ? Vous vous considérez comme itinérant, quelqu’un qui prend son sac et qui fait la route ?

(Vivement) Ah ben non ! Je fais pas la route, non. Moi, mon but c’est de travailler, euh…m’intégrer. Là je fais un stage de formation professionnelle à l’AFPA pour avoir un bagage pour pouvoir m’installer à Li., hein ! Ah non, non, moi je fais pas la route.

E : et vous l’avez déjà faite, la route ?

Boh, quand j’étais jeune, j’ai plus 20 ans, hein ! (silence)

E : alors, du coup, est ce que vous êtes itinérant ou pas ?

Oh non, je le suis pas.

E : donc, vous avez des attaches ?

Ben oui, si éventuellement je pouvais les concrétiser…

E : Pour l’instant ce sont des attaches affectives qui demandent à être concrétisées dans la réalité ?

Voilà. Ben, bien sûr.(Silence)

Quel est actuellement votre périmètre de déplacement ?

De par mon travail, euh, dans la ville et quelquefois dans la région. (Silence)

E : vous n’avez pas de poste fixe dans votre travail ?

Ah oui, bien sûr ! C’est ça, le travail d’agent d’entretien. Ben si, c’est plusieurs…(cherche le mot)

E : plusieurs locaux ? Vous n’allez pas toujours au même endroit ?

Oh ben non !

E : vous appartenez à une société qui vous dit aujourd’hui il faut aller là, demain là… ?

Voilà, voilà.( silence)

3 ème question : êtes vous sédentaire ? Depuis quand ? (Etes vous installé sans trop bouger?)

A L. ?

E : par exemple.

Ben à L. 3ans.(silence)

E : et avant L. ?

J’ai beaucoup voyagé parce que…En raison de la profession de ma femme, qui était agent des finances, elle était souvent mutée, euh j’ai fait beaucoup de villes…( ilence)

E : toute la France ?

En partie, ouais.( Silence) Les villes principales.

E : ça s’est arrêté avec le divorce ?

Et puis avec L. ( rit. Première détente)

E : et puis avec L…C’est concomitant?

Oui.

E : pourquoi L. ?

Il y a davantage de travail qu’ailleurs.

E : depuis quand ?

J’ai habité avec des amis, j’ai été hébergé. Je suis au foyer depuis une semaine. J’ai été dans la rue avec mes parents mais je ne veux pas en parler.

4 ème question : pourriez-vous mesurer approximativement la durée de vos séjours dans un même lieu ?

10 ans à P. avec ma femme. Dans le Nord jusqu’après le service militaire, j’avais 21 ans. J’ai souvent déménagé; je reste 2-3 ans dans un même lieu. J’étais installé à N. de 81 à 94, pendant 13 ans.

5 ème question : savez-vous ce qui détermine votre départ d’un lieu donné ? (énumération des propositions)

Dans un premier temps, ce sont des raisons professionnelles, matérielles, puis affectives. L. est une ville que je n’aime pas mais je travaille à L. Plutôt le sentiment de n’être pas à ma place.

6 ème question : avec quel (s) événement(s) associez-vous votre entrée dans l’errance ?

(Perte de la réponse).

7 ème question : considérez-vous avoir des problèmes de santé et lesquels ? (énumération des propositions)

J’ai une cicatrice au poumon, un reste d’une pleurésie. J’ai eu un accident en 92 qui a sectionné le nerf circonflexe et le tendon. J’ai 40% de handicap au bras gauche ; mais j’ai eu une chute du taux d’invalidité de la COTOREP ; je suis passé en catégorie B. Il y a une procédure en cours, mais elle est longue.

E : vous avez recherché un travail par rapport à ce handicap ?

Ce n’est pas possible.

E/ vous en avez des séquelles dans le travail ?

J’ai un ralentissement dans le travail.

Comment les traitez vous ? ( Cette douleur du bras par exemple ?)

Je ne la traite pas. Ce n’est pas possible, je me suis habitué à la douleur. Mais je prends des médicaments pour l’angoisse, pour dormir. A cause du stress, de toute ma vie qui va mal. Je pense au boulot, à me sortir de ce foyer de misère ; ce n’est pas confortable pour moi en ce moment.

E : ça traîne ?

Oui, ça traîne.

E : Vous avez l’impression que ça n’arrivera pas ?

Oh bon, si ! J’espère, heureusement.

E : vous avez un délai, des dates, pour la prise, plutôt la reprise de travail ? …Ou bien vous travaillez déjà ?

Non je travaille.

E : un délai pour le contrat, l’embauche etc.…?

Pour l’embauche, le 12 février, je serai embauché.

E : c’est vraiment proche, alors…

Là, je rentre en stage pratique le 29 janvier, et puis à la suite de ça je suis embauché.

E : alors qu’est ce qui fait que ce soit si difficile à supporter et que vous ayez des angoisses ?

C’est pas difficile, le travail n’est pas difficile à supporter ; ce qui est difficile à supporter, c’est ma situation là de suite.

E : qui est donc la situation d’attendre et d’être au foyer ?

Mais pas l’attente pour le travail, je m’en fous, je travaille déjà, je sais que ça va aboutir à quelque chose. C’est d’être au foyer et de ne pas pouvoir m’occuper de moi comme je voudrais.

E : ça vous agace beaucoup ?

Ah oui ! bien sûr.

E : comment ça se manifeste, votre stress ? Ca vous énerve, ça vous empêche de dormir ?

Ouais, ouais je prends des, je prends des…J’ai un traitement pour ça.

E : des anxiolytiques ?

Anxio…Pour dormir, je prends des…euh…(hésite) Xa…, xa… Et puis d’autres médicaments, que je connais pas le nom.

E : et depuis combien de temps avez vous recours à des médicaments ?

Ben, depuis mon divorce. (silence)

E : depuis 3 ans…Et vous avez un médecin attitré ?

Ouais, ouais.

E : en ville ?

Ici, à L.

E : vous n’avez pas de contact avec le médecin du foyer ?

Non, non. Non, non.(silence)

E : votre médecin est un médecin généraliste ? Vous n’avez jamais eu envie d’aller voir un psychiatre ?

(silence) Ils sont aussi malades que moi. Même plus ! (se détend, rit) Alors donc, c’est pas la peine.

E : vous n’avez pas confiance en ces gens-là ?

Ben non, ils me prendraient la tête. Non, j’ai un médecin généraliste que j’aime beaucoup, euh…Qui me comprend et tout, c’est bien, hein !

E : que vous connaissez depuis longtemps ?

3 ans ; depuis que je suis arrivé à L.

E : alors on pourrait dire que votre problème de bras, vous ne le traitez pas parce que vous considérez que ce serait encore prendre des médicaments en plus ? Peut être que ce médecin là pourrait vous aider à le traiter mais avec lui vous préférez vous occuper de votre stress et de vos angoisses ?

Ouais.

E : Est-ce qu’il y a des choses que vous traitez seul concernant votre santé ?

Quand vous parlez de vous occuper de vous, est ce que ce serait aussi par exemple, vous occuper des problèmes de santé actuels ou potentiels ? Quand vous êtes frileux ou fiévreux vous vous en occupez seul ou vous allez consulter ?

Non, je vais voir un médecin.

E : Ce fameux médecin en qui vous avez toute confiance?

Voilà.

E : vous lui confiez votre santé ?

Voilà. Ouais parce que je sais pas comment je ferais…Non, j’ai la trouille de ça.

E : vous avez la trouille de vous soigner tout seul ?

Non. De me soigner tout seul, je sais pas comment je pourrais faire…Mais j’ai toujours la trouille d’avoir un p’tit quelque chose qui va pas.

E : vous avez une anxiété particulière par rapport à la santé ?

Voilà.

E : comment vous la comprenez, cette anxiété ?

J’en sais rien.

E : il y a des gens autour de vous, dans votre famille, qui ont été gravement malades ?

Ah mon père !

E : est ce que vous pensez qu’il y a un lien entre cette anxiété et la maladie de votre père ?

Je sais pas. ( Silence) Je…(Bafouille) Je ne sais pas, je ne sais pas…euh… (Silence) Je sais pas. (Réfléchit) Mais bon, je pense souvent, je pense souvent, parce qu’il est mort maintenant…(Silence) Il est mort en 76, euh bon, je pense souvent à lui quand, quand j’ai l’occasion de discuter avec ma sœur, parce que je lui téléphone souvent, on en parle, bon, ben j’y pense. (Silence grave)

E : sa maladie puis sa mort vous ont étonné, ou c’était prévisible, attendu ?

Ah sa mort ! Sa mort…Euh, quand je lui ai demandé si mon père…(Reprend sa phrase) Quand j’ai demandé à ma mère si mon père, parce qu’il y a très longtemps qu’ils étaient divorcés, quand je lui ai demandé si mon père était mort, elle m’a dit oui…Bon, ben…

E : pardon, vous me dites que vos parents étaient divorcés…Depuis longtemps ? Je ne sais pas si vous me l’avez déjà dit ?

Oh oui, oui !

E : vous étiez davantage en contact avec votre maman qu’avec votre père ?

J’étais beaucoup plus proche de mon père que de ma mère. (Silence. Sépare ses mots) J’ai beaucoup plus aimé mon père que ma mère.(silence)

E : Cependant vous étiez plus en lien, en relation avec votre mère qu’avec votre père ? Vous aviez plus de nouvelles d’elle que de lui ?

Ouais. (Silence)

E : vos parents étaient donc tous les deux dans le Nord ?

Ouais.

E : ils étaient divorcés depuis quand ?

Attendez, euh… Quand je dis divorcés…Parce que bon, mon père est tombé malade en…dans les années 60. (Silence) Et pis le pauvre, il s’est fait avoir parce qu’elle a eu des amants…Il s’est fait avoir …Des enfants…Mais comme ils n’étaient pas divorcés, le pauvre, le pauvre, il a eu les gosses à son nom. (Silence) Vous savez ça, vous savez quand…

E : (un peu perdue) je sais quoi ? Que lorsqu’il y a des enfants adultérins et qu’il n’y a pas eu divorce, ils sont reconnus par le père, enfin plutôt le mari de la mère ? Oui, je sais ça.

Voilà, c’est ça. Alors, le divorce…

E : il y a eu beaucoup d’enfants ?

Bon, on est 15.

E : et de votre père, il y en a combien ?

Euh…6.

E : six enfants du couple, et donc…9 enfants…

Différents…(Silence)

E : donc, vous disiez qu’il avait été malade, puis qu’il s’est fait avoir par votre mère…Et avec ces enfants là, vous n’avez pas de rapport ?

Oh si, j’en connais quelques uns.

E : vous avez grandi avec eux ?

Un petit peu. (Silence)

E : et vous étiez en bons termes avec eux, ou c’était difficile ?

(Silence) Ben, je les connais pas tous, hein ! Euh, y’en a un que j’ai rencontré à Noël pas cette année, mais l’année dernière. Ca va. (Silence)

E : pour la première fois ?

Ben depuis que…depuis qu’il était tout petit. Donc, voilà, en fait…(s’interrompt)

E : vous étiez un des aînés de cette grande famille ?

Le quatrième. (Silence)

E : des six premiers ?

Ouais.

E : alors, pouvons nous revenir sur le lien entre la maladie et la mort de votre père, et votre propre anxiété ?

(Silence) Ben c’est compliqué à dire, hein ! j’en sais rien, j’ai du mal à…J’ai du mal à pouvoir dire d’où me vient…D’où me vient, ( confus, cherche ses mots) d’où me viennent tous ces problèmes. (Silence)

E : c’est un peu flou, pour vous ?

Ouais, j’ai du mal à l’expliquer.

E : ce qu’il y a de sûr c‘est que vous semblez être toujours très soucieux de ce qui pourrait vous arriver au niveau du corps ?

Ben oui, bien que je ne fais pas toujours attention.

E : et quand vous faites attention, vous pensez à quoi, alors ? Une grippe ou une maladie grave ?

Ben, mon angoisse principale, c’est fou... C’est toujours le cœur.( Silence)

E : vous pensez à l’infarctus ?

(Silence). Pas spécialement ça, mais d’avoir un problème au cœur. (Silence) Alors ça c’est...Bon, j’ai fait des angoisses cardiaques, y’ une dizaine d’années, j’ai fait de la tachycardie et puis, bon, là ça, j’avais des battements forts...Que maintenant euh, ça va, euh, j’ai beaucoup fait de tension aussi, je suis monté jusqu’à 20/14, et puis j’ai eu un traitement pour ça. Je ne sais pas si c’était dû à l’angoisse euh...Ou au stress ou à l’état nerveux, mais ce qui fait que maintenant ,je n’ai plus de traitement et je n’ai plus de tension. Donc, ça varie, ça descend des fois à 12, des fois ça monte à 14/8 euh...Une bonne tension.

E : ça, le médecin s’en occupe bien ?

Ben, je lui prends la tête avec ça ! A chaque fois que je le vois, je lui dis « Docteur, prenez-moi, prenez ma tension ».

E : et si vous baissez le traitement anxiolytique, la tension remonte ?

( Réfléchit. Silence) Oh je crois pas, non, non. Je sais pas.

E : il n’existe pas forcément de rapport entre les médicaments qui vous apaisent et la tension ?

Non, non non. J’avais un traitement spécial, spécialement pour la tension, que j’avais arrêté euh... J’ai vu un cardiologue, aussi, qui m’a dit, bon je m’inquiétais pour ça, il m’a dit « bon écoutez, je connais mon métier, je suis cardiologue : vous n’avez rien au cœur. »

E : vous avez eu des examens, des électrocardiogrammes ?

Voilà.

E : la visite complète ?

Voilà. J’ai rien.

E : et vous n’avez rien..

J’ai rien.

E : ça vous a rassuré ?

Ben, ça m’a, ça me rassure pas toujours, euh...J’y pense de temps en temps, euh y’a aussi le...(s’interrompt) Alors le problème aussi c’est que y’a, que j’ai pas connu ça dans ma jeunesse...Euh, les histoires du SIDA, euh on peut pas rencontrer les filles comme on veut...Prendre des, prendre des précautions, c’est pas dans ma nature, j’aime pas ça, c’est pas dans mes (très gêné), dans mes habitudes, donc ça, des fois je suis pas prudent. Euh, y’a ça, aussi....

E : ça, ça vous angoisse davantage après ?

Après. Après. Bon. Vous connaissez la nature, bon... (Air de connivence) On sort avec une fille, on n’y pense pas...et après on dit « m…, qu’est ce que j’ai fait » ?

E : et dans ces cas-là, vous allez faire des bilans ?

Ben, ça m’est arrivé, j’ai fait trois bilans, j’en ai fait un y’ a pas très longtemps, euh...Négatif. (silence) Euh, aussi comme, comment ça s’appelle...L’hépatite B, euh, C, le SIDA, tout ça...Donc c’est négatif.

E : quand vous avez des résultats qui disent que tout va bien, vous êtes détendu, soulagé, ou... ?

( M’interrompt) Oui, je suis soulagé.

E : ou vous vous dites et si, quand même... ?

Non, non. Je suis soulagé. Je suis soulagé.

E : jusqu’à la prochaine fois ?

(rit) Et puis y’ a aussi l’histoire de cette maladie épouvantable qui fait peur, qui angoisse, ça peut nous tomber dessus sans qu’on...Le cancer.

E : c’est de cancer qu’est mort votre père ?

Non, non. Mon père est mort d’une tuberculose qu’à l’époque on ne soignait pas du tout.

E : le cancer...Lequel imaginez vous ?

Ben, euh, le cancer et la maladie du cœur.

E : mais le cancer en général, ou le cancer du poumon, la tumeur au cerveau etc... ?

Le cancer. (silence)

E : ça pourrait vous arriver ?

Ca peut arriver à tout le monde.

E : mais spécifiquement à vous ? Vous avez peur que ça vous arrive ?

Ah ben oui, voilà.

E : cancer et MST ?

Voilà.

E : y a t-il d’autres maladies qui vous inquiètent ?

Non.

E : la folie, ça ne vous inquiète pas ?

(silence) Ben, la folie, euh...(hésite)

E : la peur de devenir fou ?

Ben vous savez, euh... quelques fois, j’ai...j’aimerais perdre la...(bégaie) perdre la raison, ne plus penser, ne plus être conscient de la réalité des choses, de la vie.(silence)

E : c’est trop dur de penser ?

Ouais. De voir les choses. Parce que dans la ma tête, je suis franchement jeune, hein...(silence).

E : vous avez l’impression que dans la réalité, vous êtes trop vieux ?

Non, non, j’ai du mal...Non, non, je suis tellement jeune que j’ai du mal à...à...La réalité...(silence) Pis...(rit)

E : (confuse) quand vous dites ça, c’est qu’il y a un lien entre cette réalité là qui ne vous plaît pas bien, et votre jeunesse intérieure ? Un lien, ou un décalage ?

J’ai pas bien compris.

E : oui, moi non plus c’est pour ça que j’ai peut être du mal à reformuler ma pensée. Vous dites « dans ma tête, je suis jeune, et du coup, j’ai du mal à vivre la réalité » Quel est le lien entre ces deux choses ?

Ben la réalité, la la...(bafouille) réalité c’est que, moi, physiquement...Je prends des claques, je vieillis, ouais, pis j’ai du mal à vieillir dans ma tête.

E : votre réalité physique, corporelle, c’est cela que vous supportez mal ?

Oui, voilà. C’est clair !

E : est ce le fait d’être handicapé par votre bras ?

Ca, ça fait rien, je m’en fous C’est physiquement, ben...Je vieillis, ça se voit.

E : au niveau de quoi, du visage, des performance sportives ? Comment ça se voit ?

Ben, le visage change. Bon, on m’a dit que je faisais pas mes 52 ans (séducteur)...Merci, et ben, je les fais...Je les ai quand même ; je suis pas loin des 60 ans et ça, ça me fait vachement peur, alors que je me sens pas vieux.

E : ce n’est donc pas le fait de vieillir et de ne plus avoir envie de faire des choses qui vous inquiète, c’est le fait des marques de l’âge sur votre corps ?

Voilà. Voilà.

E : on continue ?

8ème question : Avez vous l’habitude de fumer ?

Ah, je fume !

E : du tabac ou autre chose ?

Non, cigarettes.

E : combien à peu près ?

Oh, je fume un paquet, quelquefois euh, 25 cigarettes par jour.

E : fumez vous seul ou en groupe ?

Ah je fume seul, en groupe (bafouille, inaudible) et seul, mais je fume toujours seul. Quand je suis seul, j’ai envie de fumer.
E :même en groupe, vous ne partagez pas de cigarettes ?

Ah jamais moi !

E : jamais ?

Oh non ! J’ai horreur… (s’interrompt) Je ne suis pas radin mais j’ai horreur qu’on me taxe !

E : je ne pensais pas forcément être taxé, mais plutôt un partage entre copains, comme un acte social..

Ah si je suis avec des copains…

E : dans un moment partagé ?

D’accord si je suis avec des copains, oui d’accord.

E : ce n’est pas forcément avec des gens que vous êtes obligé de côtoyer…

Voilà. (silence)

9 ème question : buvez de l’alcool ?

Ca m’arrive.

E : est-ce régulier ?

Non, c’est pas régulier.

E : de la même manière que pour la question précédente, est ce seul ou en groupe, de préférence ?

Je préfère boire en groupe. (silence)

E : pour vous est-ce la même façon de boire de l’alcool quand on est seul ou en groupe ?

Oh c’est pas la même chose ! On flippe quand on (s’interrompt) quand on est seul…

E : quand on est seul, on flippe quand on boit ?

Oui, oui, oui !

E : quand on est seul, on boit pour d’autres raisons que quand on boit en groupe ?

Oh ben oui, on s’amuse, on s’éclate quand on est en groupe. Que (hésite) quand on est seul, (bafouille) on a le cafard, on noie son cafard dans l’alcool. (silence)

E : et qu’est ce qui vous arrive le plus souvent, boire seul ou en groupe ?

Oh ! De boire en groupe.

E/ dans un climat de convivialité ?

Voilà, bien sûr.

E : mais cela vous est déjà arrivé de boire seul ?

Oh oui ! oui, oui.

9 ème question (bis) : prenez-vous régulièrement d’autres produits ? (médicaments ou autres) ?

Des drogues par exemple ?

E : par exemple…

(rit) Il faut dire le terme. Jamais. Jamais. Jamais, jamais, jamais.

E : des mélanges de médicaments ?

Jamais, jamais. Non, il m’est arrivé de me faire avoir, de me faire avoir, euh…bon, comme tout le monde ; j’avais 27 ans, j’ai essayé euh…Une cigarette de shit…Bon, ça ne m’a pas du tout, ça ne m’a pas du tout convenu et je me suis fait avoir une fois avec euh…-Comment on appelle ça ?- (silence) sniffer la, sniffer de la cocaïne…Une seule fois. J’ai été malade comme une bête. Jamais plus, euh, j’ai jamais plus touché à ça.

E : vous ne saviez pas ce que c’était ?

Euh…(bafouille) Si, euh, si…mais le gars qui me l’a fait prendre m’a vraiment poussé.

E : tout seul, vous ne l’auriez pas fait ?

Je ne l’aurais pas fait, non, non. Parce que vraiment, il a insisté, à plusieurs, à plusieurs reprises, que j’ai refusées, puis j’ai (hésite) je me suis fait avoir. Voilà. et j’ai…Terminé !

E : ça vous a découragé ?

Ah oui !

E : vous n’avez jamais pris de produit par voie intraveineuse?

Ah non ! Jamais, jamais, jamais. Non, non, non !

E : par rapport à votre santé et à ce que vous disiez de votre inquiétude, vous n’imaginez pas vous piquer ?

oh non, non, non, non, non !

E : il y a des produits qui circulent, des mélanges, du crack…

Ah non, non, non. Non, non. Non. Non.

E : pour les deux produits dont vous parliez : cocaïne et haschich, ça a été toujours en groupe, jamais seul ?

Voilà. Ben le shit, ça a été par confiance, parce que je connaissais bien le…le gars, euh ; et puis, la coke ça a été pareil, je connaissais le gars mais bon, ça me faisait peur, voilà. C’est un accident, ça m’est arrivé qu’une seule fois dans ma vie, ça m’arrivera plus jamais.

E : et si ça vous arrive d’autres fois… ?

Ah non ! Non, non.

E : en tout cas, ce sont des choses qui vous sont arrivées une fois…

Une fois.

10 ème question : en quoi, à votre avis, ces habitudes vous sont-elles utiles ? (Enumération des propositions)

Oh ben, d’abord je suis dépendant, dépendant de la cigarette. C’est vachement agréable de fumer.

E : c’est à la fois de la dépendance, à la fois du plaisir ?

Ah ben oui, c’est… (hésite) Quand, quand j’allume une cigarette, c’est agréable…Bon, il faut que…Je sais pas comment expliquer, faut que ça me pique la gorge euh…(silence)

E : vous n’avez aucune envie d’arrêter ?

Je, je…Je ne suis pas motivé pour arrêter…Il m’est arrivé de, d’être motivé , d’arrêter deux ans et puis de reprendre, euh…Un coup de blues…

E : quand vous reprenez, c’est parce que? Vous avez envie d’oublier, vous n’êtes pas bien ou pour quelle raison ?

(silence) Ben de fumer, de fumer c’est vraiment un besoin. Là actuellement, c’est un besoin.

E : vous dites : « un coup de blues »

Ben, quand j’ai repris, j’ai…euh…la cigarette, je l’ai trouvée dégueulasse. (silence) Et puis, je fumais des brunes à l’époque, j’ai trouvé ça dégueulasse et je me suis mis aux blondes.

E : vous aviez arrêté depuis deux ans, vous avez trouvé ça dégueulasse et pourtant vous avez repris ?

J’ai repris.

E : est- ce que vous savez pourquoi ?

P’être pour me calmer. Pour me sentir mieux. Parce que, bon, ben, on dit –et je crois que c’est vrai- on dit que quand on a arrêté de fumer ou qu’on arrête, on le reste, il suffit d’un petit incident pour rechuter.

E : vous pensez que c’est vrai aussi pour l’alcool ?

Ben, l’alcool, je suis pas dépendant, moi de l’alcool.
E : mais de façon générale ? Quand on a été buveur, vous pensez qu’on reste attaché à l’alcool ?

Ah je crois que oui.

E : donc, pour tous les produits qu’on dit addictifs, vous pensez qu’on reste dépendant, qu’on arrête ou pas ?

A croire que oui, parce que moi j’ai connu une personne alcoolique, très dépendante, les cures et tout ça, ça marchait pas, hein ! (silence)

E : donc, pour en revenir à la question, vous vous sentez dépendant de la cigarette mais vous ne vous sentez pas dépendant de l’alcool ?

Ah non, non, non.

E : quand vous buvez, c’est tout à fait irrégulier et ça ne vous rend pas du tout dépendant.

(bredouille. inaudible)

E : Même au moment où vous aviez arrêté la cigarette pendant deux ans, vous y pensiez toujours ?

Ah, euh, pendant les deux ans, pas tout le temps. Non, non. Euh…Quand il m’est arrivé d’avoir un…(hésite) un coup de blues, là, j’y ai pensé mais il y avait de longues périodes où je ne pensais pas du tout à la cigarette. Et quand je voyais des gens fumer, ah ça me prenait la tête, je disais « c’est dégueulasse », ça m’a rendu malade et…(s’interrompt)

E : cependant, vous dites aujourd’hui, malgré ces périodes où ça vous dégoûtait, que vous étiez et êtes resté dépendant ?

Ah ouais, ouais. Là tout de suite, je ne pourrais pas m’en passer . C’est marrant, parce que si je suis dans un lieu, je n’y pense pas, quand je suis dans un lieu où il est interdit de fumer…

E : là par exemple, en ce moment, vous y pensez ?

Ben, j’y pense parce qu’on en parle, mais bon…Ben, par…(s’interrompt) je sais pas si c’est par respect tout ça, mais je ne fumerai pas et ça…(hésite) ça me manque pas, je sais que quand je vais sortir, je vais fumer ma cigarette.

E : il ne faut pas que je vous garde trop longtemps, alors !

Ah non ! (rit)

E : la dernier série de questions porte sur la relation que vous pouvez avoir avec les autres et vous même :

11 ème question : quel regard portez vous sur :

la société,

les amis ou rencontres,

la famille,

vous même ?

Ben moi, je me considère comme un marginal. (silence) j’en ai rien à foutre…(hésite) de la société. (scande sa phrase ; silence)

E : quand vous cela, cela veut il dire que cette société, vous la méprisez, vous y êtes indifférent, elle vous pèse ?

(silence)

E : vous vous sentez lui appartenir, ou pas ?

Je vis avec elle mais euh…(réfléchit) Je suis obligé, je me soumets à ses règles parce que, autrement, c’est, c’est la déchéance. Autrement, non, je m’en fous complètement. Elle m’est (bafouille, hésite) j’y suis complètement indifférent.

E : par exemple, est ce que vous votez ?

Non, non.

E : vous n’avez jamais voté ?

Jamais de ma vie. Sauf une seule fois, dans le travail. Pour…euh, pour (cherche le mot) comment on appelle ça ? Voyez, je suis…comment dire ? des syndicats, comment, syndicats… ?

E : vous voulez dire une élection syndicale ?

D’entreprise. C’est la seule fois où j’ai voté. J’ai voté qu’une seule fois dans ma vie, c’est là.

E : et ça vous convient, de ne pas voter ?

Oh, j’en n’ai rien à foutre. Je m’en fous complètement.

E : les présidents, la politique, cela ne vous intéresse pas ?

Bon, oh, je regarde, je m’informe. mais je m’en fous. Bon, c’est vrai que pour, j’ai quand même des idées sur le plan politique, j’ai des idées, ah je suis pas du tout de la droite. (silence)

E : parce que les gens de droite n’ont pas d’idées ?

Pour moi, c’est des cons ! (rit) Moi je suis plutôt du côté socialiste.

E : mais cependant, ce n’est pas suffisant pour que vous alliez donner votre bulletin au Parti Socialiste, Communiste ou je ne sais quoi… ?

Non, parce que c’est pas ma voix qui les fera gagner ou qui les fera perdre.

E : vous pensez qu’ils n’ont pas besoin de vous ?

Voilà. Ma voix est pas importante.

E : votre voix n’est pas importante ?

Voilà.

E : ça c’était votre réponse concernant la société…

Ouais .

E : Autre chose sur cette société dont vous n’avez rien à faire ?

(rit)

E : les amis, ou les rencontres ?

Vous savez, vous avez sûrement déjà entendu parler de James Dean qui disait que l’amitié était une escroquerie à l’émotion ; ouais, c’est lui qui a dit ça…Euh…Et ben je pense (silence) exactement à ça. (silence) Donc l’amitié, moi, non.

E : vous voulez m’expliquer un peu cette formule telle que vous, vous la comprenez ?

Pour moi, (ton grave, ému) euh…(silence) l’amitié c’est quelque chose de… (long silence) C’est réellement une escroquerie à l’émotion. C’est…euh, euh…on est pris au piège par, euh…Par des sentiments qui nous trahissent. (très long silence)

E : les sentiments vous trahissent ?

Les sentiments qui nous trahissent.

E : ce ne sont pas les gens, les amis, qui vous trahissent, ce sont les sentiments que vous éprouvez envers eux ?

ben est-ce que les sentiments que… (bafouille) mes sentiments sont trahis.

E : vous avez déjà été trahi par des amis ?

J’ai jamais eu d’amis alors j’en n’ai rien à foutre. (vivement. silence) Je crois pas à l’amitié. (silence)

E : et les gens de passage, quel regard portez-vous sur eux ?

(silence) Ben, sympathiques.

E : sympathiques. En fait, vous semblez préférer être en lien avec des gens de passage ?

Ah oui !

E : vous les trouvez plus sympathiques que des amis éventuels ? Vous ne vous sentiriez pas trahi, par des gens de passage ?

Boh ! Je crois aux copains, c’est tout. (silence) Je crois aux copains, c’est un petit peu comme l’amour, ça. (silence) Euh, ça marche un moment, après ça marche plus. Et là, c’est pareil, bon, ben ça fait partie de la vie.

E : C’est périssable ?

Bien sûr.

E : alors que les amis, on vous ferait peut être croire que ça marche éternellement, alors que ce n’est pas plus vrai ?

Voilà. (silence) Et l’amitié, c’est un petit peu comme, euh…C’est un petit peu comme l’amour quand vous êtes trahi. Ca fait terriblement mal. Ca doit faire terriblement mal. (silence)

E : ça vous a fait très mal, votre divorce ?

Ah oui. (silence) Ah oui. Parce que j’ai beaucoup aimé ma femme et puis euh, puis, puis…je ne tenais pas à divorcer, je voulais pas être un homme divorcé. Ah oui, ça a fait très mal. (silence) C’est un règlement de comptes ; on devient, on devient hyper euh, hyper méchant…euh.

E : au moment du divorce, au moment où on se sépare ?

On règle nos comptes, euh…devant la justice , que moi, d’abord, de toutes façons c’est pas difficile, je ne suis allé ni à la conciliation, je n’ai vu aucun juge…

E : vous avez refusé ?

J’ai…j’ai pris un avocat, Dieu merci….j’avais l’aide juri, juridictionnelle, qui m’a évité de payer tous les…(s’interrompt) Donc c’est lui qui s’est débrouillé, il m’a envoyé les résultats du divorce. J’ai assisté à rien du tout. (silence) Ni conciliation, je n’ai vu aucun juge. (silence)

E : vous ne vouliez pas voir cette séparation arriver ?

Ben moi, je me suis marié à la mairie, légalement, je ne vois pas ce que des juges, des merdeux, viennent faire dans…

E : dans votre vie ?

Voilà. Qu’ils se démerdent et pis voilà, terminé.

E : en même temps, vous ne refusiez pas le divorce ?

Ah moi j’ai, non, non, j’aurais bien aimé…

E : vous avez laissé faire ?

Voilà.

E : vous n’avez pas mis de bâtons dans les rues de la procédure ?

Non, non, euh ben…Que…que voulez-vous que je fasse ? Elle le demande (silence), mon avocat s’est débrouillé pour essayer de me défendre. C’était à lui de se débrouiller, bon. (silence). Moi, j’ai rien, moi, en fait, euh…Euh…Je me suis marié, je suis divorcé, mais euh…(silence) je dois rien, j’ai pas donné un centime, de ce côté là je me sens bien.(silence)

E : ça vous aurait déplu de payer pour le divorce ?

Ah ben oui, on s’est marié, on s’était marié par amour, et on s’arrache, on se déchire, on se bombarde là, non, non, moi ça m’aurait fait mal, bien sûr.

E : vous avez eu une pension à payer ?

Non, non, bien sûr que non, heureusement.(silence). De toutes façons, elle aurait jamais eu un centime.

E : et pour votre fille ?

Elle est grande ?

E : ah, elle était déjà adulte ?

Ah oui, elle était. Non, non, pour ma fille, c’est pas pareil. Ah non, non. On se contacte, et tout. Non.(silence) Ah non, elle était grande ma fille, elle a 28 ans.

E : elle avait 25 ans à l’époque ?

Hm, hm…(confirme en silence)

E : alors, les amis, l’ex femme…Et votre famille, du côté des parents ? Vous avez dit à quel point vous avez été attaché à votre père. Et que vous vous sentiez mieux avec votre père qu’avec votre mère…Par rapport à elle, vous avez du ressentiment ?

Je ne l’aime pas. Non. Ca a pas été une mère. (silence)

E : elle ne s’est pas occupée de vous ?

Comment ?

E : elle ne s’est pas occupée de vous ?

Pas du tout. Elle a fait des gosses et elle a…(s’interrompt) elle les a tous laissés tomber.

E : vous avez été abandonné par votre mère ?

Ouais, on a été placés.

E : tous ?

Tous.(silence)

E : Et votre père, il s’occupait de vous ?

Ben, le pauvre, il a subi des opérations atroces, il était toujours à l’hôpital et pis il fallait, il fallait euh…enfin il fallait…on s’en fout, on n’était pas conscient de ça mais on l’écartait de nous de peur qu’il nous transmette la…la maladie…parce que on suppose, on suppose il fut un temps que moi, je suis…(s’interrompt) C’est peut être moi qui lui a donné…On suppose que la pleurésie, parce que c’est une pleurésie tuberculeuse, que c’est mon père qui me l’a donnée. Alors que bon, c’est peut être moi qui lui a donné la maladie. (silence)

E : vous pensez que vous auriez pu être responsable de sa maladie ?

Ben oui, bien sûr, pourquoi pas ? Pourquoi c’aurait été lui ?

E : vous aviez quel âge ? 3, 4 ans ?

Non, j’avais 7 ans. J’avais 7 ans puis mon père, euh, quand j’ai fait ma pleurésie, je me souviens très bien parce que les…il paraît que je.. (bafouille)Je respirais mal, j’étais en transpiration énorme, et j’avais la tête de mon père qui était penchée sur moi. (silence) Donc, il était en forme, mon père à ce moment.

E : il a développé, la maladie après que vous l’avez eue ?

Après que j’ai eu la pleurésie.

E : et pourtant, on a dit l’inverse ?

Voilà.

E : ça veut dire qu’on a pensé qu’il était déjà atteint, et donc contagieux, au moment où vous, vous avez développé la maladie ?

Voilà. Parce que j’ai aussi des sœurs, des sœurs qui ont fait des, qui ont des taches au poumon…

E : à cette même période ?

Voilà, dans ces…(silence)

E : est-ce que vous vous sentez responsable de la maladie, peut être de la mort de votre père ?

Ah non, non, non, non. Non.

E : mais cette tuberculose a été bien soignée, finalement ?

Ben il a été fort, il a été costaud, solide. Parce que, il n’est pas mort, en fait (bafouille)…y’ a ça mais il n’est pas mort spécialement de la tuberculose. Euh…Parce qu’il était sorti de l’hôpital, il vivait avec ma petite sœur, enfin ma petite sœur qui a 44 ans maintenant… que j’aime beaucoup, que j’aime beaucoup; et pis mon frère, qui est décédé maintenant aussi lui. Euh…Ils ont vécu , ils ont, mon père, il vivait avec ma p’tite sœur et pis mon frère, et pis euh…Il est décédé euh, je crois d’après ce que ma sœur m’a dit, il a appelé mon frère et pis il était euh…en train de (inaudible).

Mais ma sœur m’a dit, et ma sœur m’a dit que (silence) elle se doutait que mon père allait mourir. Quand on est venu lui dire, quand on est venu lui dire «euh j’ai une mauvaise nouvelle à t’annoncer…Faut que tu sois courageuse», euh, ma sœur a dit «papa est mort». C’est ce que ma sœur m’a dit à Noël l’année dernière.

E : pourquoi elle l’envisageait, il était fatigué ?

Ben, il…(bafouille)

E : il s’est laissé mourir ?

Non, non, non, non, non. Ma sœur m’a dit que, ben elle a travaillé à l’hôpital et pis elle massait les jambes à papa. Et papa lui a dit : « arrête, tu me fais mal, arrête, ça me fait mal». Et puis, euh ma sœur m’a dit qu’elle…que ses jambes n’étaient pas normales. Gonflées, toutes rouges, elle a dit que probablement, ça pouvait venir du cœur.

E : il avait une mauvaise circulation ?

Papa avait mal aux jambes. Ma sœur m’a dit que papa avait mal aux jambes.

E : et à l’hôpital, il y a eu une inquiétude des soignants par rapport à ses jambes ? On a pensé à une maladie particulière ?

Ca je sais pas parce que mon père, y’ avait très longtemps que je l’avais pas vu. (silence) Donc ça je sais pas. Moi, moi, moi, moi, moi (bégaie) quand j’ai appris sa mort, j’ai tout de suite mis ça sur le compte de …de…de la tuberculose.

E : mais finalement, vous n’en êtes pas sûr ?

Non, non.

E : est- ce que les médecins ont dit de quoi il était mort ?

(silence) Ah ça, je sais pas, j’ai pas pensé à poser la question et pis faut pas trop poser de questions non plus, je voulais pas trop en poser à ma sœur parce que bon, elle, elle connu mon père, elle a vu mon père euh, mort, tout ça, ça fait mal.

E : vous avez voulu la protéger ?

Voilà. Et elle s’en occupe.

E : d’un autre côté, pour vous il reste un doute…Sur la cause de la mort ?

Voilà. Bon, je…J’écoute un petit peu ma sœur, à savoir que c’est peut être le cœur, (marmonne de manière inaudible) la maladie qu’a p’ t’être joué un rôle là dessus…Mais je ne sais pas à quel âge il est mort. (silence ; bafouille) Il avait passé la soixantaine mais…

E : il est mort en quelle année ?

En 76.

E : vous ne savez pas quand est-ce qu’il est né ?

Non. Euh…Sur un livret de famille, c’est marqué ?

E : oui. Enfin, attendez, je ne sais plus, il me semble mais je ne sais pas.

Ah. Alors. Ah oui, ah non. (cherche dans un document) Y’ a juste le nom et la date de naissance de ma femme et du mien Et là, c’est marqué : D. Léon Paul. Mais la date de naissance…

E : Léon Paul, c’est votre prénom ?

Non, non, c’est le nom de papa.

E : A. c’est un prénom de quelle origine ?

Kabyle. C’est ma mère qui a déliré…

E : vous devriez trouver sur…

(m’interrompt) Sur le livret de famille de ma mère, ou alors de mon…

E : ou encore à la mairie de naissance de votre père…

Ah oui ! Mais je sais pas où papa est né. A Va.

E : ou à la mairie de mariage de vos parents. Ca se retrouve en tout cas, une assistante sociale pourrait vous le dire.

E : En tout cas, dans les années 76, il devait avoir dans les 50 ans ?

Oh, plus que ça !

E : il avait une grande différence d’âge avec vous ?

Oh oui. Oui. Silence.

E : quel regard portez-vous sur vous même ?

(rit) Oh ben moi, je m’aime bien. Oh, de temps en temps je, je suis un petit peu énervé contre moi parce que je fais des conneries, mais bon, je m’aime bien.

E : et quand vous êtes énervé contre vous, qu’est ce que vous vous dites ?

Oh pas grand chose parce que je suis assez indulgent ! (rit, puis silence)

12 ème question : à votre avis, quel regard portent les autres sur vous ? (énumération des propositions)

Ben, c’est souvent négatif et pis ben moi, ce qui m’intéresse, je pense que tout ce qui est important, c’est ce qui est positif, bon si c’est pas énorme, ça me rassure parce que…

E : (surprise) si c’est pas énorme ? S’il n’y a pas trop de positif, ça vous rassure ?

Ah ouais, ouais, parce que…Y a pas de cinéma, y’a pas d’hypocrisie.

E : s’il y a trop, c’est du cinéma ?

Oh oui, si ça fait beaucoup. (silence)

E : ça vous arrive, que ce soit «trop» positif ?

Non, non. Heureusement pour moi !(rit)

E : sinon, ça risquerait d’augmenter l’amour que vous vous portez ?

Ah non ! je suis assez raisonnable, réfléchi !

E : vous vous aimez bien mais pas trop ?

Ah si, je m’aime bien, Euh, je m’aime bien, non, je m’aime bien. Trop ? A la folie non, pas assez, non, je crois que je m’aime bien suffisamment.

E : vous n’avez pas besoin de l’amour des autres ?

Ah ben… (hésite) Si, si par exemple ma petite sœur, si, mes petites nièces tout ça, mon petit neveu…Quand il sera grand, parce que c’est un petit bonhomme maintenant, quand il sera grand qu’il m’aime et ben si, oui, je veux. Si, si, oui, ma famille, pis mes petites nièces m’aiment beaucoup. Quand je leur téléphone, elles sont adorables.

E : quand la famille vous aime beaucoup, c’est trop ?

Ah ben non, ça c’est sincère, c’est le même sang. C’est un peu normal.

E : alors qui pourrait vous aimer trop ? Par exemple une femme de rencontre, des amis ?

Mais j’y crois plus, à ça !

E : dès que quelqu’un vous dit «je vous aime», vous pensez que c’est du cinéma ?

Euh non, (bafouille) j’en prends, j’en laisse…Pour moi ce qui est le plus important, c’est le physique, le reste je m’en fous. Bon, je ferai plaisir, euh, j’exprimerai de l’affection parce que je peux pas faire autrement ; mais avoir des sentiments profonds, de l’amour, non je peux pas, non.

E : comme si votre femme vous l’avait tout pris ?

Ben je crois qu’elle m’a pris, ouais, elle m’a pris ma vie. (silence)

E : le regard des autres est négatif… Vous ressentez de l’indifférence, du mépris, de l’envie ?

(semble entendre la question envers lui même) non, pas d’envie, ni de colère. De l’indifférence, oui, sûrement.(silence) C’est pour cela que j’ai pas de cheveux blancs, je n’ai pas de soucis.

E : là, c’est vous qui ressentez de l’indifférence par rapport aux autres ?

Ah ouais, ouais.

E : et les autres par rapport à vous ?

(réfléchit) Vous avez dit ? euh…

E: les autres par rapport à vous ? De quoi est fait ce regard négatif ?

(réfléchit) D’indifférence.

E : vous ne pensez pas qu’on puisse dire de vous : « il n’a pas de domicile » ?

Ils ne s’en rendent pas compte.

E : votre apparence est importante ?

Ouais.

E : insister sur le paraître, vous laver, vous habiller correctement, c’est ne pas sembler…démuni ?

Bien sûr.

E : je vais vous proposer les deux dernières questions avant de vous laisser fumer votre cigarette :

(rit)

13 ème question : ressentez-vous parfois un sentiment de honte ? (énumération des propositions)

Ah la honte ? (silence) Oh oui, oui, pas vis à vis de ma famille, parce que ma famille, j’ai, j’ai (bafouille) je ne généralise pas, mais j’ai une honte incroyable vis à vis de ma mère.( silence)

E : elle vous fait honte ?

Oh oui, oui.

E : dans son attitude ?

Dans son attitude, dans sa vie, tout. (silence)

E : qu’est ce qui vous fait honte ? Le fait qu’elle ait eu plein d’enfants ?

Non, mais même les faire, ne pas les aimer, ne pas les élever, les abandonner, euh… Oh, excusez moi du terme, mais avoir presque une vie de putain. ( long silence)

E : c’est ce que vous ressentiez quand vous étiez enfant ?

Ah non ! Ah non ! Non, quand j’étais enfant je l’aimais beaucoup, euh…c’est en grandissant, en la voyant vivre, en grandissant de plus en plus, en grandissant que j’ai, j’ai (bégaie) appris à la détester ; tout ça, son attitude m’a…(s’interrompt) Non, ça n’a pas été une mère, pour personne.

E : vous êtes encore en contact avec elle ?

Non, non. Depuis 1975, depuis 1975, je crois que c’est en mars, 1975 je ne l’ai plus jamais revue.

E : vous étiez tout jeune à ce moment là ?

Je devais avoir 25 ou 26 ans.

E : déjà marié ?

Ouais.

E : vous avez décidé de rompre à ce moment ?

Euh...elle n’a jamais vu ma femme...

E : ni votre femme, ni votre fille ?

Non.

E : c’était un choix pour vous ?

Voilà.

E : ça vous aurait fait honte de la montrer à votre femme ?

Non. Non, non, mais elle méritait pas de la voir. Et surtout pas de voir ma fille. Surtout pas de voir ma fille. Elle a pas élevé ses gosses, je vois pas comment, pourquoi elle aurait pu embrasser ma fille.

E : et par rapport à votre père ?

Non, papa, papa il ne l’a pas connue, non.

E : Il est mort en 76, c’est bien ça ? Pardonnez moi, j’ai du mal avec les dates...mais cette mère, qui aurait pu rencontrer votre fille, vous le lui avez interdit, finalement ? Vous pensiez qu’elle n’était pas digne de...

(m’interrompt) Non. Négatif.

E : est ce que vous vous souvenez du moment où votre avis a basculé vis à vis de votre mère ?

(ne semble pas avoir suivi)

E : est ce que vous vous souvenez du moment où votre avis a basculé vis à vis de votre mère ?

Ben, entre (réfléchit) ben, (silence) j’ai été placé jusqu’en 60... jusqu’à mes 14 ans alors, en 63 ; en 63 elle m’a retrouvé de 63 à (hésite) à 22 ans, 22 ans, 23 ans..

E : c’est elle qui a cherché à vous retrouver ?

Voilà. (silence) Par intérêt, parce que j’étais devenu un p’tit bonhomme qui était capable de travailler. (silence) Donc c’était pas..(s’interrompt) Pour toucher le salaire.

E : et vous, à 14 ans, en sortant de foyer, ou foyer d’accueil...

Non, foyer de jeunes travailleurs...

E : quand vous l’avez retrouvée, vous étiez heureux de la revoir ?

Ben eh ! Vous savez, quand on est gamin...Moi je travaillais avec des petits jeunes de mon âge, je, je les voyais libres, pouvoir sortir et tout ; moi, j’étais en foyer, je pouvais pas, moi ce qui me manquait, c’était la famille. J’étais content de la revoir, de pouvoir vivre une vie un petit peu plus libre.

E : donc vous l’avez revue et vous êtes retourné vivre avec elle jusqu’à vos 22 ans ?

Oh, je suis pas resté avec elle, oh non ! J’ai navigué beaucoup. (silence) A travers toutes les villes. J’ai habité longtemps chez ma grande sœur aînée. (silence)

E : au moment où elle, votre mère, vous a retrouvé, vous êtes retourné un petit peu avec elle ou pas du tout?

Un petit peu, oui...Je...

E : et c’est vous qui avez décidé de vous en aller ?

Oh oui !

E : C’est à ce moment là que votre regard a changé ?

Complètement. (très long silence)

E : envers la société, avez vous parfois un sentiment de honte ?

La société ? je m’en fous. J’ai pas honte, j’en n’ai rien à foutre. Non. (bafouille) Non, elle me prend pas la tête, j’en n’ai rien à foutre d’elle. Non. (marmonne)

E : vous êtes vraiment indifférent ?

Ouais, ouais.(marmonne) Je m’en fous, je m’en fous… (bégaie) Je me ferais...(s’interrompt) Ca me créerait des problèmes pour rien, je me rendrais malade pour rien, non, non, je m’en fous. (silence)

E : peut on reparler de votre épouse dans ces termes là ? Avez vous parfois un sentiment de honte face à elle ou par rapport à elle ? Des choses de votre vie de couple, et en particulier dans les moments du divorce qui ont été extrêmement intolérables...La honte a-t-elle pu arriver ?

Oh, intolérable ça a été la procédure...mais pas de honte, non, ma femme, ma femme c’était une femme, ça a été une femme correcte, honorable, travailleuse, droite, pas dépensière, pas...(s’interrompt) Aucune goutte d’alcool, il fallait pas que je boive avec elle, euh...Non, non, c’était une bonne mère, c’était euh...Non, non ça a été une femme modèle.

E : vous avez encore des regrets par rapport à elle ?

Oh oui, oui, j’ai beaucoup de regrets. (silence) Oh ouais...

E : la honte, par rapport à vous ? Est ce que sentiment existe parfois vis à vis de vous même ? Vous disiez tout à l’heure : « des fois, je suis un peu en colère contre moi ». Est ce que parfois ça pourrait s’apparenter à la honte ?...Face à vous-même, quand vous vous regardez ?

Oh, je suis pas toujours content de moi. (silence, puis inaudible) Oh, je suis pas toujours content de moi, hein ! (silence) de temps en temps, je m’en veux. (silence)

E : ce serait un sentiment de culpabilité ?

Ouais, bien sûr.

E : je voudrais vous poser la toute dernière question :

14 ème question : pourriez vous proposer une image qui représenterait ce qu’est la honte, pour vous ?

(réfléchit). La honte...La honte...Qu’est ce que ça pourrait être ? (silence, comme sidéré) La honte, ce que ça pourrait être ? Ben moi, y’ a un truc qui me, qui me travaille...(silence) Je crois que je ( lentement ) serais très, très, très honteux (silence) si je devenais alcoolique. (silence) J’aurais très honte. (silence)

E : l’alcoolique, ce serait quelqu’un qui est saoul, qui est dans le caniveau, qui ne s’occupe plus de lui ?

Voilà. Une épave.(silence)

E : l’épave, ça pourrait être pour vous le signe de la honte ?

De la honte, oui.

E : l’épave, qui serait la déchéance ?

Voilà.

E : et cette déchéance là, c’est une déchéance plutôt morale ou physique ?

(silence) C’est les deux. (silence)

E : quelque chose qui se voit ?

Oh ouais, ouais. (très long silence)

E : autre chose sur la honte, la déchéance, l’épave ?…Ce sont des mots forts.

(absent) Comment ?

E : ce sont des mots forts !

Non, non, mais c’est vrai , je le pense sérieusement. (silence) Non, c’est tout, c’est vrai, j’en souffrirai énormément.

E : et vous avez échappé à ça ?

Ouais. Ben, quelquefois, il m’arrive de, comme je vous ai dit il m’arrive de boire mais bon…(s’interrompt) Après, euh ….Et je crois que je ne serais, je ne pourrais pas tomber parce que je serais très malade ; je ne supporte pas l’alcool ; quand je bois, je suis très, très, très malade le lendemain.

E : c’est un garde-fous, ça, d’être malade ? Puisque vous êtes malade quand vous buvez, et que la santé c’est important pour vous, cela vous retiendrait de boire ?

Oh ouais ! oh, p’t’être que si j’avais rien, p’t’être que je me laisserais aller, parce que c’est tellement facile de boire. (silence) Parce que vous avez la…Vous avez l’impression de tout oublier. De vivre dans un autre monde. (silence)

E : de ne plus penser ?

De ne plus penser. Alors que c’est faux, parce que le lendemain, tout revient. (silence) Mais sur le moment…Alors si, (bégaie) si, si, heu, continuellement, vous étiez soul, (bégaie) soul, soul, soul…vous seriez dans un, dans un (inaudible) différent euh…(silence)

E : dans un monde où l’on est avant d’être une épave ?

(silence) Ah oui, parce que vous n’êtes pas conscient. (silence)

E : finalement, les problèmes de santé ou le fait de ne pas supporter l’alcool, c’est utile ?

Ouais, ouais. Ouais, c’est très utile. (rit. silence)

E : avez vous des questions pour terminer cet entretien ?

Ca va vous servir à quoi ?

E : A vérifier certaines hypothèses de travail, en particulier si quelque chose se répète dans l’organisation interne des errants autour de l’espace, du corps et du lien. Il me semble que l’errance est une façon de ne plus se confronter à une réalité qui est trop douloureuse.

Hm. Vous comptez me revoir ?

E : Oui, si vous acceptez, nous allons prendre un rendez-vous pour un test psychologique, comme je vous l’ai annoncé au début.

Au rendez-vous prévu, à l’heure dite, le sujet est présent dans les lieux, ivre mort. Il ne demande pas à me voir. Le TAT n’ a pas été passé, aucun autre rendez-vous n’a été fixé.