Que Stanislavski, et avec lui l’ensemble de la théorie théâtrale russe, telle que nous l’avons définie, ait conçu la pratique théâtrale comme un art est une caractéristique assez constante de son œuvre. La première pierre de ses écrits théoriques, de son « système », est, comme Stanislavski le dit lui-même dans la préface du Travail de l’acteur sur soi, son autobiographie artistique : Ma Vie dans l’art, en russe Moja žizn’ v iskusstve :
‘« J’ai le projet d’un grand ouvrage en plusieurs volumes sur l’art [masterstvo] de l’acteur (ce qu’on appelle « le système de Stanislavski »).C’est la même structure qui est mise en avant dans la préface de la première édition russe de Ma Vie dans l’art en 1925 :
‘« [ce livre] constitue comme la préface d’un autre livre où je veux transmettre le résultat de ces recherches : la méthode que j’ai élaborée de l’art [tvorčestvo] de l’acteur et son approche. » 15 ’Il est clair, d’après le titre même, que l’activité créatrice de Stanislavski est conçue par rapport à une classe d’activité qui reçoit le qualificatif d’artistique, d’art, en russe iskusstvo.
Ce substantif est le terme le plus usuel, en russe moderne, pour rendre la notion d’art dans son acception la plus générale. Il peut donc sembler anodin et naturel. Or il ne va absolument pas de soi. C’est bien l’une des premières tâches en esthétique que de s’interroger sur l’artificialité, l’historicité, en tout cas le caractère non banal, de la qualification d’une activité comme artistique, sur la définition d’une catégorie d’objets ou de pratiques en termes d’art. L’usage du mot « art » est relativement polysémique en russe, comme dans d’autres langues, et plusieurs termes peuvent prétendre à être traduit ainsi. Il y a donc « naturellement » dans la langue théâtrale russe actuelle plusieurs usages artistiques que l’on peut retrouver chez Stanislavski et chez Meyerhold. Mais la théorie théâtrale de Stanislavski lui-même produit et prend son départ d’une division de l’art et d’une discrimination terminologique singulière qui sont au fondement de son esthétique.
Cet ouvrage est couramment traduit en français sous le titre La construction du personnage (Building a character), nous désignerons toujours ce livre sous la forme Le Travail de l’acteur sur soi II. Le Travail de l’acteur sur soi I correspond à La Formation de l’acteur qui n’est qu’une traduction très partielle et simplifiée de la première partie du traité de Stanislavski. Dans les notes, nous abrégeons, les références à ces deux livres de la façon suivante Tr. 1 [Travail de l’acteur sur soi, premier volume = Formation de l’acteur, dans la traduction anglaise et l’adaptation française] et Tr. 2 [Travail de l’acteur sur soi, second volume = Construction du personnage, dans la traduction française de l’anglais].
« Préface », Tr. 1, Stanislavski, 1954-1961, II, p. 5. Voir la traduction intégrale du texte de cette préface très importante, qui ne figure dans aucune traduction, dans les annexes de la présente recherche, texte N°1.
Préface à la première édition russe, avril 1925, Ma Vie dans l’art, Stanislavski, 1954-1961, I, p. 4 (non traduite dans l’édition française).