Chapitre 2 : Une conception productrice de l’art : le sens de tvorčestvo

Un autre terme qui peut à bon droit être utilisé à la place du nom iskusstvo pour désigner ce que nous appelons art est le substantif tvorčestvo que l’on traduit en général, pour le distinguer précisément de iskusstvo, par création, mais qui pourrait tout aussi bien, dans nombre de cas, renvoyer à l’art. Le verbe tvorit’ dont il procède désigne en effet la création au sens du processus de fabrication, celui-ci évoquant également l’activité artisanale dans son effectuation. Dans le contexte de l’esthétique générale, cette acception peut renvoyer aux significations grecques du verbe poïein qui signifie fabriquer, façonner, faire et au concept de poïesis qui désigne, au sens propre, la fabrication artisanale avant de renvoyer de façon plus spécialisée à ce que nous appelons poésie. C’est dans La Poétique d’Aristote que ce concept est formalisé, même si l’on peut en trouver des antécédents chez Platon 27 . Chez Aristote cependant, aussi bien dans La Poétique que dans La Rhétorique, le sens de la poïesis se technicise en imitation au moyen du langage, du rythme et de l’harmonie 28 , c’est-à-dire quelque chose d’assez proche de ce que nous entendons par poésie et d’ores et déjà éloigné du sens original du verbe poiéô, fabriquer, bâtir, confectionner, ou faire avec ses mains, et de ses dérivés comme poièma, l’œuvre, l’ouvrage. Il est clair que tvorčestvo renvoie à une conception esthétique productrice qui suppose un artisan, tvorec et un produit de la création, produkt tvorčestva. C’est ce dernier point qui ne laisse pas de poser problème dans le cas de l’art dramatique considéré, comme nous l’avons précisé, du côté de l’acteur et du metteur en scène. Voilà ce que Meyerhold écrit dans la conférence N°1 de l’introduction à la scénologie :

‘« Chaque art a son créateur [tvorec]. Le créateur de l’architecture est l’architecte [zodčij]. Dans différents domaines de la peinture les créateurs sont : le peintre [živopisec], le dessinateur, le graveur. Dans la musique instrumentale ceux que l’on compte au nombre des créateurs sont le compositeur, l’interprète-soliste, l’interprète-chef d’orchestre, le musicien-improvisateur. Dans la musique vocale, les créateurs sont le compositeur, l’interprète-chanteur, l’interprète-chef de chœur, le chanteur-improvisateur. Les créateurs de la forme poétique sont le poète, le récitant [deklamator], le poète-improvisateur. Les créateurs de la forme prosaïque sont le prosateur, le lecteur de lecture publique [čtec], l’orateur-improvisateur. Les [créateurs] de [la forme] dramatique sont l’auteur dramatique [dramaturg], le metteur en scène [režissër], l’acteur et l’acteur-improvisateur. De même que dans les arts statiques le résultat de la création manifestée est le bâtiment que donne l’architecte, la statue pour le sculpteur, le tableau pour le peintre, dans les arts dynamiques le résultat de la création se trouve être telle ou telle œuvre. Ainsi, dans la forme dramatique, l’auteur dramatique crée [sozdaët] l’œuvre dramatique, le metteur en scène [režissër] produit [tvorit] la mise en scène théâtrale [teatral’naja postanovka] de l’œuvre dramatique et la transmission [peredača] publique du rôle appartient à l’acteur. » 29

La conception de la création artistique n’est plus à proprement parler celle de la téchnè. D’un côté, elle la suppose puisque tout le sens de cette première conférence d’enseignement de la scénologie (théâtre, mise en scène et scénographie) prononcée par Meyerhold en 1918 est de montrer que l’art (théâtral) est difficile. Selon un vieil adage que l’on peut faire remonter à la fin de l’Hippias Majeur de Platon « kalépa tà kála », « les belles choses sont difficiles », ou à la formule plus récente d’un Destouches « la critique est aisée, l’art est difficile », il s’agit d’insister sur le caractère ardu du sentier proposé aux jeunes apprentis de la scène 30 . Meyerhold regrette que les jeunes gens croient pouvoir aller vers le théâtre par désœuvrement en pensant que là précisément il n’y a rien à connaître :

‘« Tous pensent qu’il n’y a ici aucun signe de maîtrise professionnelle [masterstvo], aucune loi. Or précisément le théâtre est un art [iskusstvo] particulièrement difficile. Et avant de se consacrer au théâtre il faut étudier beaucoup et longtemps.» 31  ’

Meyerhold se situe donc bien dans la téchnè, signalée par une conception artisanale, qui suppose que l’art n’est pas facile, naturel et spontané, mais le résultat d’un apprentissage, qui s’effectue sous l’autorité d’un maître et que cette téchnè, cet art est fondamentalement une science comportant, en tant que telle, des lois non accessibles à tous. C’est ce que l’on peut appeler une conception platonicienne de l’art. Mais il s’agit en même temps de montrer le côté artistique de la création théâtrale. Pour ce faire, la comparaison avec les arts non théâtraux est de rigueur. Il s’agit des beaux-arts : peinture, sculpture, architecture et de la musique, comprise comme musique instrumentale et musique vocale. L’élément musical est particulièrement important dans la compréhension de l’esthétique théâtrale, singulièrement chez Meyerhold. Sa conception artistique et son esthétique sous-jacente, induites par les notions « d’arts statiques » et « d’arts dynamiques », réitèrent l’opposition entre les arts de l’espace et les arts du temps, inaugurée par Lessing dans l’esthétique allemande.

Notons ici qu’il s’agit de mettre l’art théâtral en parallèle avec d’autres et de faire fonctionner un même schéma esthétique : un créateur ou un producteur, le tvorec, si l’on veut reprendre le terme grec le poïetès 32 , un art consacré par la tradition occidentale comme art ou un des beaux-arts (le terme russe utilisé est tvorčestvo) et le résultat ou le produit de cet art qui est un objet, dans le cas des arts dits « statiques », et une « œuvre », c’est-à-dire une production, pour exprimer au mieux le terme russe de proizvedenie. La qualification de cette œuvre n’est pas faite avec précision, elle pose en effet nombre de difficultés. L’analogie musicale peut encore fonctionner avec le metteur en scène qui produit la mise en scène, postanovka, de l’œuvre littéraire et Meyerhold peut alors revendiquer un droit d’auteur du metteur en scène pour le spectacle. Elle est beaucoup plus difficile dans le cas de l’acteur dont l’art – tvorčestvo – est « la transmission du rôle ». La mention du terme d’œuvre fonctionne d’abord par analogie avec l’œuvre littéraire, le poète est l’un des créateurs de l’œuvre dramatique. Mais une subtilité permet à Meyerhold de faire jouer des déterminations plus fines. A partir de la mention de la musique instrumentale, c’est-à-dire d’un art qu’il appelle « dynamique », les figures de créateurs se ramifient entre auteur (le compositeur, le poète, le prosateur, l’auteur dramatique) et interprète (le soliste, le chef d’orchestre, le chanteur, le chef de chœur, le récitant, le lecteur en public et enfin le metteur en scène et l’acteur). Cela est cohérent avec l’une des définitions donnée plus loin de l’art de la mise en scène comme « art de l’interprétation » [iskusstvo istolkovanija]. Se rejoignent ainsi les deux sens du terme d’interprétation dans la langue française désignés par deux termes différents en russe : 1. l’interprétation devant un public ispolnenie et 2. l’interprétation du sens istolkovanie.

Meyerhold fait intervenir une troisième catégorie de créateurs, dans les arts dynamiques, il s’agit des improvisateurs (le musicien-improvisateur, le chanteur-improvisateur, l’orateur-improvisateur et l’acteur-improvisateur). La notion d’improvisation est tout à fait nouvelle et ne rentre pas dans le cadre de la conception artisanale, platonicienne ou technique (au sens de la téchnè) de l’art. Il ne s’agit plus d’un apprentissage, mais d’une spontanéité, d’un développement organique, d’une effectuation immédiate de l’œuvre 33 qui ne se distingue pas de son créateur. La catégorie d’improvisation est en effet moderne et éminemment musicale. Dans l’antiquité, on ne rencontre pas vraiment le terme, sinon la chose, dans la théorie esthétique. Il est vrai que les traducteurs ont coutume de traduire ainsi tà autoskhediasmáta et l’adjectif autoskhediastikè dans La Poétique d’Aristote 34 , mais il ne s’agit pas alors d’une catégorie esthétique élaborée. L’usage de ce terme, assez rare par ailleurs, intervient dans une histoire de la mimésis et désigne à chaque fois un état pré-artistique, encore non informé, de la poïesis. Il s’agit d’un premier jet, d’une ébauche, d’une spontanéité à laquelle seul le développement de l’imitation donnera une forme et le statut d’art.

Dans l’improvisation musicale et théâtrale (et pour cette dernière, il faut sans doute attendre le XXe siècle et Luigi Pirandello pour en produire une théorie esthétique), il n’y a donc pas de hiatus temporel entre l’œuvre et son créateur, son auteur. Dans le cas de l’improvisation, il ne peut être question de parler de l’interprétation d’une œuvre étrangère à son interprète. Cette catégorie désigne au mieux, pour Meyerhold, la nature de la création de l’art dramatique, compris comme création propre et création musicale. On voit bien l’opposition de l’improvisation et de l’interprétation au sens de ispolnenie, exécution d’une œuvre dont on n'est pas l’auteur. Il va de soi que, du point de vue esthétique, la seconde induit la rigueur de la fidélité à l’original et, à la limite, un effacement de la spontanéité, tandis que la première suppose au contraire la liberté de création ce qui semble être la signification véritable de tvorčestvo. A la source de cette conception on peut distinguer une véritable esthétique romantique, qui présuppose les notions de liberté, de génie créateur, en somme de subjectivité agissante et productrice. L’œuvre au sens poétique et technique suppose un tout achevé tel que le définit La Poétique d’Aristote :

‘« Il est établi à nos yeux que la tragédie est l’imitation d’une action achevée, formant un tout et qui a une certaine grandeur. Un tout est ce qui comporte commencement, milieu et fin.» 35  ’

Ce tout est comparé, dans le même chapitre 7 de La Poétique,à l’unité organique d’un animal 36 . L’œuvre romantique est en revanche caractérisée par la liberté, la subjectivité et l’inachèvement. Pour Stanislavski, le problème se structure de façon analogue au sein du système. L’acteur doit être créateur, son œuvre est le rôle qui doit recevoir une forme artistique dans l’incarnation scénique. Il repose sur une expérience « émotionnelle », au sens de mise en mouvement, d’affect touchant aux forces créatrices de son subconscient.

D’une certaine façon, dans l’opposition fondatrice et si fertile de l’art et de la nature, l’élément de singularité, comme création autonome, brise le carcan de l’art au sens technique pour renvoyer à une nature productrice, qui serait donc natura naturans pour reprendre la distinction usuelle des philosophes. On en trouve des linéaments avant Kant en Allemagne 37 . L’utilisation de la catégorie de sublime et de génie, à partir de la traduction par Boileau du traité du Pseudo-Longin, va dans le même sens. D’une certaine manière, le geste inaugural de Baumgarten, dans son Esthétique de 1750, en cherchant à établir une science du sensible, renverse déjà le schéma classique et dogmatique du beau et de l’achèvement. Le siècle sensible en général, dans ses avatars français, renvoie l’artistique ou l’esthétique du côté du sentiment, du touchant, parfois du négligé, de l’inattendu, d’un ordre secret de la nature, perçu à travers un jeu d’analogies morales, physiques et métaphysiques chez Diderot 38 ou par le simple sentiment de la nature chez Rousseau 39 . De toutes façons, la Critique de la faculté de juger est au croisement de ces tendances, comme l’aboutissement de l’entreprise de Baumgarten et comme le point de départ de l’idéalisme. Citons simplement quelques fragments du § 49 de « l’Analytique du sublime » intitulé « Les facultés de l’esprit qui constituent le génie » :

‘« Au sens esthétique, l’âme désigne le principe qui insuffle sa vie à l’esprit. Ce qui permet au principe d’animer ainsi l’esprit, la matière qu’il y emploie, est ce qui déclenche l’élan, orienté par rapport à une fin, des facultés de l’esprit, c’est-à-dire déclenche leur jeu (…) Je soutiens que ce principe n’est rien d’autre que la faculté de présenter les idées esthétiques. » 40

Certes, Kant précise bien ce qu’il entend par idées esthétiques :

‘« cette représentation de l’imagination qui donne beaucoup à penser, sans pourtant qu’aucune pensée déterminée, c’est-à-dire sans qu’aucun concept, ne puisse lui être approprié et par conséquent, qu’aucun langage ne peut exprimer complètement ni rendre intelligible. » 41  ’

Il le fait non seulement dans la matière d’une définition en bonne et due forme, mais cette définition est également précisée par des exemples qui renvoient plutôt au fonctionnement allégorique ou imagé de la poésie qu’à une théorie de la création artistique. 

Il n’empêche que la catégorie de génie, la possibilité, laissée libre, d’une imagination créatrice ouvre la voie à l’esthétique idéaliste et romantique, au primat de l’imagination sur l’entendement, à celui de la nature sur les règles de la raison, et au rôle de la subjectivité créatrice qui suit ses propres lois :

‘« L’imagination (en tant que faculté de connaître productive) dispose d’une grande puissance pour créer en quelque sorte une autre nature à partir de la matière que la nature réelle lui fournit. » 42

Dans la suite du paragraphe § 49, Kant utilise le concept, au demeurant classique, d’expression :

‘« … le génie réside à proprement parler dans le rapport heureux – qu’aucune science ne peut enseigner ni aucune application acquérir par apprentissage – qui consiste à trouver des idées qui correspondent à un concept et, d’autre part, à trouver l’expression qui leur convient… » 43

Kant parle ensuite de la possibilité de communiquer cette expression à d’autres et même de rendre cette communication universelle, dans le sens où celle-ci n’est pas de l’ordre d’une langue purement logique et rationnelle, mais relève de « l’indicible ». C’est un état d’âme, et non pas un art au sens technique. L’absence d’apprentissage et d’enseignement en témoigne. C’est ce que Kant appelle « un talent », preuve que l’on passe bien du côté de la nature ou plutôt d’une liaison étrange entre la nature et l’art. Le mode de communication se fait d’âme à âme :

‘« exprimer et rendre universellement communicable ce qu’il y a d’indicible dans l’état d’âme provoqué par une certaine représentation – peu importe que cette expression soit langage, peinture ou plastique – requiert une faculté qui saisisse le jeu si fugitif de l’imagination. » 44

A la toute fin de ce paragraphe, Kant semble synthétiser ces deux voies d’accès possible à la connaissance esthétique :

‘« l’une s’appelle la manière (modus æstheticus), l’autre la méthode (modus logicus), et elles diffèrent en ceci que la première n’a d’autre critère que celui du sentiment de l’unité dans la présentation, tandis que l’autre obéit en l’occurrence à des principes déterminés ; seule la première s’applique aux beaux-arts. » 45

Malgré la restriction finale de Kant, les deux voies ont bien cours dans les beaux-arts et dans l’ensemble des pratiques artistiques. C’est également le cas dans le champ qui nous intéresse des pratiques théâtrales russes. Le modus logicus est celui de la téchnè, de la science, qui marque en termes kantiens la possibilité de jugements synthétiques a priori de nature universelle, proposant une légalité de l’entendement.

Si l’on considère l’articulation du logique et du sensible, au niveau même de la théorie théâtrale, à supposer qu’une telle théorie soit possible, ce que Kant n’eût jamais accepté en raison du refus de reconnaître la possibilité des concepts ou des catégories esthétiques (Kant ne reconnaît que des idées esthétiques) cela revient à dire que le théâtre n’est pas sans lois. Il est nécessaire pour nous de postuler des catégories dramatiques qui forment l’articulation même de toute théorie théâtrale. Le lien avec l’artistique dans cette théorie fait qu’il y a un accent particulier mis sur l’effectuation originaire, ce qui du point de vue d’un art réaliste (ou symboliste) qui refuse le mimétisme et l’académisme, est la façon même de comprendre le faire artistique. C’est le sens de l’entreprise de Stanislavski lorsqu’il compose le système. Il s’agit de faire œuvre scientifique et le leitmotiv de la nécessité des lois dans la pratique artistique vient d’une première ambition de maîtrise. Mais, dans un second temps, le théâtre, comme science, est aussi compris comme art, avec une définition romantique ou préromantique de l’art, du côté de l’expression et de la liberté. L’équilibre entre les règles du système que donnent ses éléments et l’individualité créatrice du subconscient de l’acteur réside dans sa nature, seule capable de créer. La nature créatrice devient donc une question cruciale dans le « système » qui n’a de sens qu’à vouloir faire trouver à l’acteur une liberté dans une forme expressive, artistique.

L’expression renvoie, dans l’histoire de l’esthétique, à la doctrine classique des passions et donc à une source déjà affective. Pour la liberté, il me semble que cette tendance esthétique est également formulée par Kant, même si l’on peut en trouver la source dans l’Emile de Rousseau. C’est, pour l’auteur de la Critique de la faculté de juger, le « libre jeu des facultés » qui discrimine une classe particulière de jugements, les jugements réfléchissants se distinguant des lois données par l’entendement qui produit des jugements déterminants. Le rôle de la subjectivité, du moi, est irréductible dans cette nouvelle catégorie de jugements. De même les idées esthétiques font-elles jouer à l’imagination un rôle prépondérant. La notion même de jeu et de « libre jeu » est à cet égard, pourrait-on dire, déjà théâtrale, esthétique. Cette conception, par ses évolutions plus radicales dans le romantisme allemand, notamment chez Schelling, particulièrement important dans la sphère culturelle russe, se retrouve dans la simple notation par Meyerhold de l’improvisation comme création propre de l’acteur. Meyerhold connaît directement les romantiques, en particulier Tieck et Hoffmann, mais ceux-ci sont présents indirectement dans le monde culturel russe, par la littérature. Sans entrer dans le jeu des influences qui ouvrirait sur une toute autre dramaturgie de recherche, il est intéressant de retrouver des faisceaux de problèmes parfois éloignés dans leur formulation, parfois étonnamment proches entre la théorie théâtrale russe et l’esthétique allemande ou l’esthétique générale.

La possibilité, laissée par Meyerhold dans son énumération des différents types de créateurs, d’avoir des créateurs-improvisateurs, libérés de la contrainte de l’œuvre fabriquée, achevée et complète, libérés de la nécessité de suivre des règles ou des normes contraignantes et dogmatiques renvoie à la sphère qu’il nomme théâtralité ou art du théâtre. Il ne s’agit plus de sciences et de lois normatives, mais d’instinct, de nature, de souplesse physique qui sont une adaptation spontanée aux règles de la scène dans le moment même de la création artistique. Nous allons voir que Stanislavski commence le système par un partage entre ce qui est et ce qui n’est pas art, en fonction de la création de ce qu’il appelle « la vie de l’esprit humain du rôle ».

Le réalisme de Stanislavski l’affranchit des modèles. L’art théâtral russe, compris comme art de l’acteur, fait de la singularité d’une nature créatrice le point de départ d’une investigation dans la psychologie de la création. Le rôle est l’œuvre de l’acteur et sa création est libre en ce qu’elle est reliée à la nature secrète de l’acteur qui se cache dans son subconscient. Le modèle de l’improvisation tend déjà à déplacer la temporalité de l’œuvre, des étapes, voire de l’inachèvement, en un jeu entre la rigueur formelle et l’humeur créatrice de l’acteur.

Notes
27.

Cf. en particulier dans le Charmide 163 b-d les distinctions sophistiques opérées par Critias entre les verbes poïein et prattein qui signifient tous les deux faire au sens général et respectivement fabriquer et agir en un sens spécifique que Socrate qualifie de « distinctions sur les noms, faites par Prodicos » en 163 d 4.

28.

Poétique 1447 a-b 12 et Rhétorique 1404 a 21-38

29.

Meyerhold, 2001, p. 24.

30.

Sur une interprétation figurative et morale du thème du choix de vie et de la croisée des chemins, cf. Erwin Panofsky, « Hercules Prodicius » in : Hercule à la croisée des chemins et autre matériaux figuratifs de l’Antiquité dans l’art plus récent, traduction Danièle Cohn, Paris, Flammarion, 1999.

31.

Meyerhold, 2001, p. 26.

32.

Anatoli Vassiliev désigne couramment dans ses répétitions l’acteur, comme le « poète », au sens de personnalité créatrice.

33.

Je remercie Tatiana Vladova qui a récemment soutenu à l’Ehess une thèse sur ce sujet de m’avoir éclairé sur ces matières. Les discussions avec elle ont été particulièrement stimulantes.

34.

Poétique 1448b 23 et 1449a 9.

35.

Poét. 1450b 23-26.

36.

Ibidem, 1450b 34 et sq.

37.

Cf. par exemple Karl Philipp Moritz dans son essai de 1788 « Sur l’imitation formatrice du beau », cité par Olivier Schefer dans La Formation poétique du monde. Anthologie du romantisme allemand, José Corti, 2003 d’après la traduction française Karl Philipp Moritz : Le concept d’achevé en soi et autres écrits (1785-1793), traduit par Philippe Beck, Paris, Puf, 1995.

38.

C’est en particulier le cas dans Le Rêve de d’Alembert .

39.

Toute l’œuvre en témoigne, mais je pense en particulier à la description de l’île de l’Ermitage sur le Lac Léman, à la fin des Confessions.

40.

Critique de la faculté de juger, traduction M. de Launay, Gallimard, 1985, p. 36, (V, 313).

41.

Ibidem, V, 314.

42.

Ibidem.

43.

Ibidem, p. 273 (V, 317).

44.

Ibidem, V, 317.

45.

Ibid., p. 275 (V, 318-319).