Alexeï Dmitrievitch Popov

Il nous faut présenter cet acteur, pédagogue, metteur en scène, selon la trilogie consacrée pour la plupart des représentants de la tradition théâtrale russe, car son activité et sa théorie sont intimement liées aux exercices figuratifs de la faculté de mise en scène du GITIS. Alexeï Popov (1892-1961) est originaire de province, de la région de la Volga, il a grandi dans la ville de Saratov. Ses Mémoires décrivent ses premières impressions de théâtre, qui se rattachent au théâtre de foire et au théâtre dramatique de la ville, à son admiration pour le jeune Théâtre d’Art, porte-étendard de l’intelligentsia russe du tournant du siècle. De façon emblématique, pour un certain nombre de gens de théâtre (Soulerjitski a aussi un début de carrière dans ce domaine), il part à Kazan suivre une formation artistique dans une école des beaux-arts. L’idée théâtrale ne le laisse pas en paix, il joue comme figurant dans le théâtre local. Le moment décisif se situe pour lui en 1912, lorsqu’il passe avec succès les épreuves pour devenir « jeune collaborateur » du Théâtre d’Art. Il fait ensuite partie du Premier Studio de Stanislavski, dirigé par Soulerjitski, organisé en 1913 et dans lequel Stanislavski cherche à mettre en application son système, tout en créant une communauté artistique idéale, espérant constituer la relève du Théâtre d’Art. Le Premier Studio est devenu célèbre dans l’histoire du théâtre, du fait de la personnalité de deux de ses plus éminents représentants : Mikhaïl Tchekhov qui se distingue surtout comme acteur dans les différents spectacles mis en scène par le Studio et Vakhtangov qui joue aussi comme acteur, et met surtout en scène un des spectacles du Studio. Mais Alexeï Popov ou Alexeï Diki sont également des personnalités très marquantes pour l’histoire de la mise en scène russe 105 . Popov reste cinq ans au Premier Studio. Il quitte le Théâtre d’Art en 1918, après une entrevue houleuse avec Stanislavski qu’il retrace dans ses Mémoires. En fait, il souhaite revenir en province, s’essayer lui-même à la mise en scène, mettre en pratique ce qu’il a appris, fuir l’agitation théâtrale de la capitale et les dérives qu’il croit déceler dans le fonctionnement du Studio qui, depuis la mort de Soulerjitski en 1916, devient de plus en plus l’embryon d’un théâtre ordinaire. Après une expérience pédagogique au Studio de Vakhtangov où il travaille sur L’Inconnue de Blok, il part en province à Kostroma où il fonde un Studio, soutenu par les autorités. Il monte aussi un spectacle avec des ouvriers de la Volga. Conformément à la tradition du début du siècle, il commence par des reprises des grands succès du Premier Studio : Le Déluge de Berger et Le Grillon du foyer de Dickens. Il en reprend la mise en scène (au sens russe et français, c’est-à-dire, tout le côté extérieur du spectacle) et surtout la dramaturgie, qu’il adapte aux jeunes acteurs à qui il cherche à transmettre les grands principes du Système de Stanislavski. Le souci scrupuleux de reproduire l’expérience acquise au Premier Studio est remarquable.

De retour à Moscou, Popov travaille au troisième Studio du Théâtre d’Art : le Studio de Vakhtangov. Il en devient le metteur en scène principal de 1923 à 1930 et y met en scène des comédies de Mérimée dans un style proche de Vakhtangov, puis l’une des premières pièces sur la Révolution Virinea et L’Appartement de Zoïka de Boulgakov. Il quitte le théâtre en 1930 à cause de divergences et rejointle Théâtre de la Révolution où il met en scène plusieurs pièces avec le dramaturge soviétique Pogodine et Roméo et Juliette de Shakespeare en 1935 avec l’actrice meyerholdienne Babanova.

La même année, il est nommé à la tête du Théâtre de l’Armée rouge qu’il dirige pendant vingt-cinq ans. Ses mises en scène y ont une thématique révolutionnaire ou militaire (Le général Souvorov en 1939, Terres défrichées de Cholokhov en 1957), mais aussi plus légère avec les comédies de Shakespeare La Mégère apprivoisée et Le Songe d’une nuit d’été.

Pendant la guerre, le Théâtre d’Art est évacué à Saratov. Nemirovitch-Dantchenko propose à Popov de mettre en scène la pièce d’Alexeï N. Tolstoï Les Années difficiles, consacrée à Ivan le Terrible. Popov mène à bien ce projet, après la mort de Nemirovitch-Dantchenko. L’acteur Nicolas Khmelev y joue le rôle titre. Il est très proche de Maria Knebel qui a réalisé plusieurs mises en scène dans son Studio dans les années trente. C’est durant les répétitions des Années difficiles que Knebel et Popov font connaissance. Leur collaboration à la faculté de mise en scène du GITIS où Popov enseigne depuis 1940 dure de 1948 à 1961, année de la mort de Popov, un an après avoir été mis à la retraite du Théâtre de l’Armée.

Notes
105.

Cf. Les matériaux du colloque sur Stanislavski dont la première partie était consacrée aux Studios du Théâtre d’Art, parus dans Alternatives théâtrales N° 87 : Stanislavski/Tchekhov, Bruxelles, 2005.