Objectifs

Les catégories premières sollicitées par ces exercices sont l’attention scénique, mais aussi le surobjectif. Elles constituent deux chapitres distincts du Système de Stanislavski. L’analyse et la traduction scénique du tableau supposent en effet de comprendre le sens de l’image, son centre, le dessein de l’auteur. L’étude des tableaux est l’occasion de la « découverte de la mise en scène » au sens large de režissura et non au sens étroit de mise-en-scène extérieure.

Dans des entretiens personnels, Anatoli Vassiliev, élève de Maria Knebel et d’Andreï Popov, le fils d’A. D. Popov, m’a confirmé ce point. Devant mon étonnement quant à la fréquence de la terminologie picturale et figurative dans le vocabulaire de travail du metteur en scène, il me répondit : « ce n’est pas étonnant. Nous avons tous appris la mise en scène sur la peinture. » 122

Maria Knebel ne dit pas autre chose. Ce que permet de développer chez le futur metteur en scène l’étude des œuvres d’art figuratives, c’est d’abord l’art de la mise-en-scène, au sens technique que nous avons défini, ainsi que l’atmosphère et la composition. Nous avons parlé de la première et de la dernière catégorie. La seconde est également intéressante.

L’atmosphère est un instrument essentiel de maîtrise de la mise en scène. Elle remonte aux premiers spectacles de Stanislavski, notamment à tous les spectacles tchekhoviens. L’atmosphère ne figure pas, dans Le Travail de l’acteur sur soi de Stanislavski, comme un élément spécifique du système, car elle appartient d’abord au metteur en scène. Dans le vocabulaire technique du théâtre du tournant du siècle, elle s’appelle nastroenie : l’humeur, la disposition psychologique et sentimentale. L’équivalent esthétique est connu dans l’esthétique allemande sous le nom de Stimmung. On pourrait également en rapprocher le mot anglais mood qui fait ressortir les aspects musicaux, poétiques, lyriques, mais aussi psychologiques du terme. Il s’agit du concours des éléments extérieurs et intérieurs du spectacle à la création d’une ambiance, d’une harmonie, d’une prédisposition à un rythme de jeu, à la couleur des décors et des éléments scéniques, au débit et à la hauteur de la voix, à la nature des déplacements, aux effets de lumière, aux bruitages si caractéristiques de l’art du premier Stanislavski au Théâtre d’Art.

Cette atmosphère extérieure peut également être une disposition intérieure de l’acteur qui favorise l’union de la troupe dans un ensemble harmonieux et peut jouer avec une conscience particulière du tout. Si l’atmosphère d’un tableau ou d’un spectacle a des éléments extérieurs, descriptifs (tons, teintes, tonalité qui sont souvent des demi-teintes, des nuances, comme ceux de la lumière des tableaux impressionnistes), ceux-ci font déjà de l’atmosphère autre chose qu’un objet extérieur principalement visuel, même si elle comprend des aspects sensoriels complémentaires. L’atmosphère est créée par l’esprit d’ensemble. Elle provient de l’unité de compréhension de l’objectif de la pièce, qui est purement individuelle et créatrice au plan collectif. L’unité du dessein – zamysel du metteur en scène et du surobjectif de l’auteur en est le garant. Le sentiment de la totalité devient le moteur de la perception visuelle dans le travail sur l’attention scénique et sur les œuvres d’art.

Notes
122.

entretien personnel réalisé en mars 2004 à Paris.