Méthode de travail

Depuis 1890 et la tournée des Meininger, Stanislavski écrit ses mises en scène. Il trace des croquis et établit ainsi le texte scénique du metteur en scène. La première partition de mise en scène date de 1890, pour L’Affaire Clemenceau d’Armand d’Artois. Ce que crée le metteur en scène, c’est la postanovka, la mise en scène. Les croquis ou dessins peuvent concerner les figures, les personnages, un détail de costume ou de construction d’un accessoire mais, comme on l’a dit, ce qui distingue Stanislavski, c’est une pensée architecturale. Il faut donc commencer par la planirovka : la plantation des éléments fixes et mobiles. Toutefois, le motif architectural n’est pas le seul. La représentation en plan suppose déjà les déplacements possibles, ce que Stanislavski appelle les lieux de la plantation – planirovočnye mesta. Le plan de la mise en scène est celui des déplacements des acteurs, de toute une série d’activités continues qui ne sont pas écrites par l’auteur. Ces mouvements, ces personnages, ces actions sont donc la création propre du metteur en scène. Pour le tableau « Au bord de la Iaouza » dans Le Tsar Fedor, Stanislavski invente ainsi une multitude de personnages, marchands avec leur histoire, leur activité spécifique. C’est pour cela que les rôles secondaires des figurants doivent être répétés et, dans la mesure du possible, confiés à des acteurs sérieux et non à des figurants.

Pour Les Fruits de l’instruction de Lev Tolstoï en 1890-1891, Stanislavski trace des croquis qui forment « l’image du spectacle ». Dans les mises en scène des pièces de Shakespeare à la Société d’Art et de littérature, Stanislavski déploie son inventivité. Au début de Beaucoup de bruit pour rien, des jeunes filles tressent des couronnes de guirlandes, préparent des coupes, des paniers de fruits. Dans Le Marchand de Venise toute l’atmosphère est formée par le sujet du carnaval, le combat de Carême et de Mardi-Gras, la légèreté du bal masqué, les gondoles, les confettis, les ombres d’une maison qui se réveillent. 329

Le travail de mise en scène se développe donc à plusieurs niveaux : la lecture et l’interprétation de la pièce par le metteur en scène, la division de la pièce en tableaux, le premier jet de notes et d’impressions, avec quelques dessins, puis les conversations avec le peintre qui fait ses propositions sous formes d’esquisses, et surtout de maquettes. Le décor fixe la répartition générale des modules, le fond. Il dépend de l’imaginaire plastique du peintre qui fait le cadrage, conçoit les couleurs. Ensuite, tout dépend de nouveau du metteur en scène qui prévoit les déplacements et la disposition des meubles en fonction du jeu. Il faut des recoins, des chaises, des fauteuils d’angle, des poêles, des cheminées, des rebords de fenêtres, des baies vitrées, des balcons, des petites portes. Tout un appareil constructif qui permet des déplacements et une polyphonie des actions entre les différents groupes. Il faut pouvoir ouvrir une fenêtre dans un recoin ou la porte d’une armoire, en tirer un châle. Quand il s’agit d’extérieurs, le metteur en scène cherche des équivalents avec plus ou moins de bonheur pour sentir le vent, le soleil, le froid et l’humidité de la pierre. Tout cela s’obtient par des moyens scéniques amplement décrits qui ne se limitent pas aux bruitages des criquets et des grenouilles, décriés par Tchekhov. Le sens essentiel de ces espaces est d’y envisager le déroulement de la vie de la figure – acteur et personnage. L’absence de dynamisme dans le texte pousse le metteur en scène à introduire de nouveaux personnages, de nouveaux recoins, ce qui n’est pas sans produire un effet d’entassement.

Notes
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Sur tout ceci, voir la préface de Inna Solovieva au cahiers de mise en scène du Tsar Fedor Ioannovitch et de La mort d’Ivan le Terrible (Stanislavski, Cahiers de mise en scène, vol. 1, Moscou, 1980). I. Solovieva a consacré une thèse aux cahiers de mise en scène de Stanislavski.