Ligne et continuité temporelle

La fonction importante du dessin, comme figure de pensée de l’acteur dans la création de son rôle, et la pratique du dessin dans l’écriture des déplacements scéniques, et plus tard des notes pour l’élaboration du système, évoquent une plasticité nouvelle au théâtre qui doit être saisie non seulement dans le tracé physique et spatial des déplacements, non seulement dans l’impression, et l’humeur que produisent les décors pour créer une atmosphère, mais aussi dans la temporalité même du jeu, du processus de création, conçu comme œuvre d’art. C’est, à mon sens, la modernité profonde de Stanislavski et de l’école qui est issue du système que de concentrer la passion esthétique non dans l’objet matériel que sont l’esquisse, le décor construit, la maquette, la photographie qui servent de révélateur du spectacle ou dans d’autres formes de figurations tangibles, mais dans le processus vivant de l’acteur.

Nous avons vu combien cette primauté de l’acteur recueille l’héritage de la tradition plastique de la mise en scène, dans l’art de composer les scènes de foule, les lignes de forces anguleuses ou diagonales de la maquette et du décor, dans le refus des couleurs vives et de l’effet, dans la progressivité du dévoilement. Il semble bien que tous ces éléments se retrouvent au sein de l’élaboration même du système, dans la poétique de l’acteur et dans la théorisation qui en est faite, assez inédite par sa précision et son ampleur. Notre hypothèse est que le système lui-même se forge comme une composition plastique de metteur en scène. Ce type de construction est assez manifeste dans Ma Vie dans l’art qui est conçue selon une dramaturgie plastique de l’enfance à la maturité artistique en une série de paysages théâtraux, de scènes exemplaires, qui ont toutes les caractéristiques d’un roman de formation. Lorsque Stanislavski passe à l’évocation des voies suivies par le Théâtre d’Art après sa création, il regroupe, là aussi, les spectacles dans des ensembles cohérents, traversés par une même logique. C’est ce qu’il appelle des lignes. Il distingue ainsi une « ligne historique et du quotidien des mises en scène du théâtre », une « ligne fantastique » qui comprend La Fille des neiges d’Ostrovski et L’Oiseau bleu de Maeterlinck, une « ligne du symbolisme et de l’impressionnisme » qui comprend les pièces d’Ibsen, une « ligne de l’intuition et du sentiment » qui désigne Tchekhov à partir de La Mouette. Ces tendances ne sont pas seulement des moments différents dans l’histoire du théâtre puisque ces lignes se chevauchent et se croisent temporellement. Il s’agit aussi de directions possibles dans les impulsions artistiques. Ces mouvements sont susceptibles de retours en arrière, de déviations. Ainsi deux chapitres portent les titres suivants « A la place de l’intuition et du sentiment. La ligne du quotidien » à propos de la mise en scène de La Puissance des ténèbres de Tolstoï en 1902 et « A la place de l’intuition et du sentiment. La ligne de l’histoire et du quotidien » à propos de Jules César de Shakespeare,monté par Nemirovitch-Dantchenko en 1903, pièce dans laquelle Stanislavski joue le rôle de Brutus.

L’usage du terme de ligne pourrait sembler purement métaphorique, si cette notion n’occupait une position essentielle dans Le Travail de l’acteur sur soi, à la charnière précise des éléments que nous examinons. La ligne, élément structurant du dessin, peut être ornementale. Elle trace parfois le contour. Avec l’Art nouveau et la thématique de l’ornement, la ligne devient une catégorie plastique autonome. Wölfflin, par exemple, théorise le style linéaire qu’il oppose au style pictural ou pittoresque. La ligne structure des arêtes ou bien se manifeste pour elle-même dans sa continuité. C’est sur cet aspect que Stanislavski met l’accent. La construction du système, et la composition de l’acteur, cherchent à capter la plasticité d’une action. C’est l’action qui est l’objet esthétique du système, mais cet élément doit être, en quelque manière, extériorisé, préparé, figuré.

L’image, le rôle, la vie physique et psychique de l’acteur et du personnage doivent exister dans l’action et donc dans le temps. Or la ligne est le moyen le plus ancien de figurer le temps dans sa continuité. Nous avons analysé la nature processuelle de la pensée aristotélicienne. Le traité du temps au livre IV de La Physique propose un modèle géométrique et continuiste du temps assimilé à une ligne dont les points seraient les instants, eux-mêmes en dehors du temps. Le temps est défini par l’instant, de même que le point est l’élément constitutif de la ligne qui, dans les mathématiques grecques, ne peut en faire partie, au sens où il ne peut y avoir d’expression numérique d’un point 526 .

Pour Stanislavski, l’idée même de temps ne constitue pas un problème séparé de la nécessité de l’action, de la charge émotionnelle que l’acteur électrise au cours de son travail. Il s’agit de vivre et de faire vivre le rôle, sur un mode vrai, ce qui suppose continuité, travail, construction et foi, selon les termes qu’utilise Stanislavski pour caractériser la vie du rôle. La représentation de cette construction est le tracé d’une ligne. C’est bien parce qu’il y a la représentation par l’acteur de quelque chose qui n’est pas lui – le personnage – que se pose le danger d’un écart, d’une perte de vigueur de la représentation, de cessation de la « vie de l’esprit humain », pour reprendre l’expression de la tâche essentielle assignée à l’art de l’acteur par Stanislavski.

Le chapitre XIII du Travail de l’acteur sur soi I, intitulé « Lignes d’impulsion des moteurs de la vie psychique » développe, de façon très complète, l’idée continuiste et vitaliste du processus, figurée par la représentation graphique d’une ligne. Les éléments du système une fois rassemblés, il s’agit de tenter de composer une action, à partir des impulsions disparates de la vie de l’acteur. Le finalisme de Stanislavski commence de transparaître :

‘« On parvient finalement à mettre au travail, dans une mesure plus ou moins grande, la volonté-sentiment et tous les moteurs de la vie psychique.
Dans un premier temps, tant que le but n’est pas clair, leurs courants invisibles d’impulsion se trouvent dans un état embryonnaire. Des moments isolés de la vie du rôle, attrapés par l’acteur, lors de la première connaissance avec la pièce, provoquent de forts élans d’impulsion des moteurs de la vie psychique.
La pensée, les volitions se manifestent par à-coups. Elles ne cessent d’apparaître, puis de s’entrecouper, puis naissent à nouveau et disparaissent encore une fois.
Si l’on représente graphiquement ces lignes qui proviennent des moteurs de la vie psychique, on obtient des bribes, des lambeaux, des petits traits. 
A mesure que l’on prend connaissance du rôle et que l’on comprend plus en profondeur son but principal, les lignes d’impulsion s’égalisent progressivement. » 527

La métaphore militaire gouverne les chapitres XII et XIII. Puisque tous les éléments principaux du pereživanie ont été nommés, il reste maintenant à les mettre en marche. La pensée de Stanislavski ou sa méthode se fait plus rationnelle, cherchant à utiliser une terminologie dite scientifique, psychologique en réalité, pour décrire la mise en mouvement des régiments que sont les éléments de l’humeur scénique interne de l’acteur – vnutrennee sceničeskoe samocuvstvie que le chapitre suivant prend pour objet. Le système se focalise sur les centres d’impulsion de la création artistique. Si la poétique de l’acteur est en son fond une psychologie de la création, c’est l’activation des centres moteurs de la vie psychique qui forme l’essentiel du travail de l’acteur et du metteur en scène. Encore une fois, l’acteur doit devenir son propre metteur en scène, en cherchant à susciter son désir de jouer, ses sentiments, son appareil physique. La poétique du jeu devient donc une sorte de philosophie expérimentale de l’action, de la mise en action de l’acteur, du créateur, puisque ce qui est dit de l’acteur vaut tout autant pour le processus de création du metteur en scène :

‘« Les bases [de la psychotechnique] consistent à provoquer naturellement, organiquement à l’action, à travers l’interaction des membres du triumvirat, aussi bien pour chacun des membres du triumvirat que pour tous les éléments de l’appareil créateur de l’acteur. » 528

Pour cartographier cet espace interne, Stanislavski hésite entre différentes terminologies. Ce qu’il appelle le « triumvirat » se donne sous deux formes. L’une, considérée comme dépassée par la science mais toujours utile pour la création, est la tripartition des facultés créatrices de l’homme en sentiment (čuvstvo), intelligence ou intellect (um) et volonté (volja). C’est cette dernière qui demande le plus de déduction. La seconde tripartition consiste à diviser l’intellect en représentation (predstavlenie) et jugement (suždenie) et à unir volonté et sentiment en un même ensemble, la volonté-sentiment (volja-čuvstvo). Si le vocabulaire est psychologique, voire philosophique, la nature des processus employés reste marquée par le privilège de la vue, comme dans la définition de la représentation, avec la suggestion du metteur en scène d’aller faire une promenade en ville ou à la campagne :

‘« La vue, le plus aigu et le plus réactif de nos cinq sens, dessine déjà, avec l’aide de l’imagination et des visions, ce qui vous attend et qui peut vous attirer dans la promenade à venir. Vous voyez déjà sur votre “écran” intérieur une longue pellicule cinématographique qui représente tous les paysages possibles, les rues que vous connaissez, les coins de banlieue, etc. C’est ainsi que se crée en nous la représentation de la promenade à venir. » 529

On trouve ici la théorisation cinématographique de la vision de l’acteur, sous une forme temporelle. La « pellicule cinématographique » de l’écran intérieur est une anticipation de l’action à entreprendre, une attente temporelle qui permet de « faire tableau » (la métaphore picturale apparaît quelques lignes plus bas), mais aussi de tracer le dessin de l’action à entreprendre, de produire des jugements pertinents en fonction du contenu d’image. Ce sont donc ces éléments moteurs de la vie psychique de l’homme qu’il convient de mettre en mouvement, c’est-à-dire aussi, de placer dans le temps qui le mesure :

‘« Avec le temps, vous apprendrez que le tempo-rythme est un tel appât et un tel excitant. » 530

La disposition des appâts – manki – pour capter le désir est une question typique de metteur en scène et d’acteur-metteur en scène confronté à la sensation intérieure de la répétition du même, du vouloir artistique. Le départ de l’action doit être compris en termes d’impulsions. Mais ces manifestations anarchiques du tempo-rythme de la vie ne répondent pas à la perception qu’a Stanislavski de la forme. Elles sont saccadées, anarchiques et ne peuvent donc se ranger harmonieusement dans l’équivalent d’une composition picturale ou musicale.

La continuité, est la garantie, totalement utopique sans doute, d’une vie pleine et entière à chaque instant de l’existence scénique et quel que soit le nombre de représentations. C’est-à-dire que le problème scénique de la reprise, obstacle à la persistance de la spontanéité créatrice, est contourné puisqu’il devient précisément l’occasion de saisir l’art dramatique. C’est la capacité de susciter l’action et l’humeur créatrice qui fait l’objet de la pédagogie et de la théorie artistique. La formation de la volonté créatrice est le principe même de la composition dramatique de l’acteur, du metteur en scène comme peintre graphique du rôle. Comment se structure cette ligne d’action dans sa continuité ?

‘« Au lieu de nous répondre, Arkadi Nikolaïevitch se mit tout à coup à tressaillir des bras, de la tête et de tout le corps, puis il nous demanda :
- Peut-on appeler ces mouvements de la danse ?
Nous répondîmes que non.
Ensuite, Arkadi Ivanovitch, se mit à faire tous les mouvements possibles qui se coulaient l’un dans l’autre et créaient une ligne continue.
- Et peut-on créer une danse à partir de cela ? demanda-t-il.
- Oui, c’est possible, répondîmes-nous en chœur.
Arkadi Nikolaïevich commença à chanter des notes isolées, avec de longs arrêts entre chaque note.
- Peut-on appeler cela du chant ? demanda-t-il.
- Non
- Et ça ?
Il émit plusieurs notes sonores qu’il étira et qui se coulaient l’une dans l’autre.
- Oui !
Arkadi Nikolaïevitch se mit à maculer une feuille de papier de lignes isolées, au hasard, de petits traits, de petits points, de petits crochets et nous demanda :
- Pouvez-vous appeler cela un dessin ?
- Non.
- Et peut-on en faire un à partir de telles lignes ?
Arkadi Nikolaïevitch traça quelques belles lignes longues et courbes.
- C’est possible !
- Ainsi, vous voyez que tout art a avant tout besoin d’une ligne continue ?
- Oui.
- Notre art a lui aussi besoin d’une ligne continue. Voilà pourquoi j’ai affirmé que lorsque les lignes d’impulsion motrices s’égalisent, c’est à dire lorsqu’elles deviennent continues, c’est alors que l’on peut commencer à parler de création. » 531

Cette expérience pédagogique de Tortsov donne donc un modèle graphique de la création de l’acteur et même de la création tout court. Plastiquement, il me semble qu’on peut y retrouver cette primauté linéaire de la courbe qui émerge dans l’Art nouveau. Philosophiquement et théâtralement, l’objectif est du côté du temps, d’une intensité de présence au sens temporel, sensoriel et mental. Mais il ne s’agit pas de construire le mouvement de l’acteur à partir d’un instant privilégié et fécond, comme chez Aristote et plus tard, chez Lessing. Le modèle de la vie requiert pour Stanislavski un mode de construction du temps pour l’acteur qui doit savoir, à chaque moment de son existence scénique, ce qu’il a à faire. Ce qui rend la ligne continue et non heurtée, c’est le travail de division de l’action en tâches ou objectifs à accomplir (zadači).

Mais en retour, le modèle de la construction linéaire continue n’est pas tout à fait simple. La ligne n’existe que par rapport aux objectifs traduits en images. Le dessin se colore, mais, avant cela, il se compose lui-même d’une multiplicité de lignes, sur la nature desquelles le contradicteur fielleux de Tortsov ne manque pas d’attirer l’attention :

‘« - Excusez-moi, s’il vous plaît, demanda avec insistance Govorkov, mais peut-il exister dans la vie, et à plus forte raison sur la scène, une ligne continue qui ne s’interrompt pas un instant ? 
- Une telle ligne peut exister mais pas chez un individu normal, elle ne peut exister que chez un fou et cela s’appelle une idée fixe 532 . Pour ce qui est des individus bien portants, des pauses d’une certaine ampleur sont pour eux tout à fait normales et indispensables. C’est en tout cas notre impression. Cependant, dans ces moments de pause, l’individu ne meurt pas, il vit. Voilà pourquoi une certaine ligne de vie continue à s’étirer en lui, expliqua Tortsov.
- Quelle est donc cette ligne ?
- Posez la question aux hommes de science. De notre côté, convenons dorénavant de considérer qu’une ligne normale et continue pour un individu est une ligne qui contient nécessairement un certain nombre de pauses.
A la fin du cours, Arkadi Ivanovitch nous expliqua que nous ne pouvions nous contenter d’une seule ligne de cette sorte mais que nous en aurions besoin de plusieurs : les lignes des inventions de l’imagination, la ligne de l’attention, celle des objets, celle de la logique et de la succession, celle des morceaux et des tâches à accomplir, celle des volitions [hotenija], celle des impulsions [stremlenija] et des actions, celle des moments continus de vérité, celle de la foi, celle des souvenirs émotionnels, celle de la communication [obščenie], des procédés [prisposoblenija] et des autres éléments indispensables au cours de la création.
- Si la ligne d’action s’interrompt sur scène, cela signifie que le rôle, la pièce, le spectacle se sont arrêtés. (…)
- Ces lignes donnent vie et mouvement à la figure qu’elles représentent. Dès qu’elles se brisent la vie du rôle s’arrête et c’est la mort ou la paralysie qui surviennent. Avec la réapparition de la ligne, le rôle revient à la vie.
Une semblable succession de mort et de vie n’est pas normale. Le rôle exige une vie permanente et une ligne vivante quasi ininterrompue. » 533

Nous voyons ici se conjoindre les éléments philosophiques que nous avons relevés au sujet de la nature de la pensée processuelle – description et représentation graphique du temps par une ligne – et a contrario, la représentation de traits brisés, discrets, hachés qui sont esthétiquement interprétés comme dépourvus d’ordre et de beauté. C’est une pensée vitaliste où la continuité est associée à la vie et la discontinuité, comme arrêt du processus, à la mort. S’y ajoute un enjeu pratique, lié à la poétique ou au métier d’acteur qui est de construire le processus, de le créer. A la nécessité hégélienne, qui était de l’ordre de la connaissance ou du Savoir absolu, aux catégories du nécessaire et du vraisemblable d’Aristote se substitue une mise en action théorique et pratique des centres actifs de l’acteur, selon des paramètres physiques et psychiques. Cette mise en action est théorique car la forme du traité et de l’enseignement demande une explicitation, une mise en représentation de l’activité du sujet-acteur, d’où la diversité des lignes, des tracés et des désignations des centres d’activité. C’est une multiplication des notions, qui sont autant de facultés humaines et artistiques de l’acteur : volitions, impulsions, souvenirs, imagination et en même temps, la référence aux moments mêmes du système déjà présentés par Stanislavski : morceaux, tâches, procédés, communication.

Le mouvement est, à certains égards, comparable à celui de La Poétique d’Aristote. L’imitation est naturelle, elle est une cause naturelle, mais elle est aussi source d’un développement historique de la vie des genres poétiques et donne ainsi naissance à l’art. La téchnè peut alors servir de champ à une poétique qui est une construction, une composition des parties de l’objet artistique. Bien sûr, Aristote ne prétend pas revenir à la nature ou à des forces de la nature, la séparation est plus radicale, mais cela est vrai en surface seulement, car les genres poétiques se comportent, dans leur sphère, de manière analogue au monde vivant de la nature. La nature n’est-elle pas elle-même analogue à un artisan ? Les genres sont comparés à des êtres vivants, animaux (zôon), c’est-à-dire à des êtres naturels au chapitre 7 534 en tant qu’il sont beaux (kalón) et composés (sunestèken) et la tragédie doit vivre par analogie avec les vivants naturels, avec un principe et une âme qui sont l’agencement de son histoire, de son mûthos 535 .

La sensation de la continuité est le travail de l’acteur, chargé de compléter les pauses laissées par l’auteur. Mais la psychotechnique de l’acteur pour Stanislavski se porte aussi sur les éléments du système puisque ce dernier cherche à nommer, par des moyens conscients, tous les moments de la vie de l’acteur sur scène, qu’ils soient justes ou non. Les intermittences de l’existence scénique sont le propre de la vie. Le cliché ou la dissipation de l’attention, en dehors des cadres du rôle, de ce qui se passe sur scène de ce côté de la rampe, sont assimilés à la mort. Ce sont ces éléments qui sont affectés d’un coefficient de continuité temporelle se manifestant dans la composition scénique des éléments d’impulsion de l’acteur.

L’expérience scénique est le résultat d’un montage entre la vie du rôle et la vie personnelle de l’acteur qui, le plus souvent, est étrangère au rôle :

‘« l’acteur est un homme qui connaît les faiblesses de l’homme. En venant sur les planches, il y amène avec lui naturellement les aspirations de la vie qui lui sont propres, des sentiments personnels, des réflexions nées du monde réel. C’est pourquoi au théâtre sa ligne quotidienne de vie ne s’interrompt pas, mais s’immisce [vkraplivaecja] à la première occasion dans la vie éprouvée de la personne représentée [izobražaemoe lico]. L’acteur ne s’abandonne au rôle, seulement dans les moments où celui-ci le captive. Il se fond alors avec la figure [obraz] et se transfigure créativement. Mais il lui suffit de se distraire du rôle pour être de nouveau pris par la ligne de sa propre vie d’homme qui ou bien l’entraîne de l’autre côté de la rampe, dans la salle, ou bien, très loin du théâtre, y cherchant pour lui-même des objets de communication mentale. Dans ces moments-là, le rôle est transmis de façon extérieure, mécaniquement. Du fait de ses digressions fréquentes, la ligne de la vie et de la communication s’interrompt à tout bout de champ et la place laissée vide est remplie par des insertions de la propre vie de l’acteur qui n’ont pas de rapport avec la personne représentée. » 536

Le jeu est ainsi une composition ou un collage de lignes disparates. Mais même dans le cas où la création est authentique, la continuité est une composition de lignes différentes. On ne sait trop si cette composition est naturelle, puisque la nature, au moment de la création inspirée, rassemble l’ensemble des lignes intérieures de l’acteur, ou si cette composition est artificielle. La nature de la continuité est spécifiée dans la suite du chapitre XIII qui donne quelques précisions sur la nature figurative de la composition des éléments du système.

Notes
526.

Physique, 220 a 4-21. Pour plus de clarté, on consultera la traduction anglaise de David Ross.

527.

“ Lignes d’impulsion des moteurs de la vie psychique ”, Tr. 1, Stanislavski, 1954-1961, II, p. 308.

528.

“ Les moteurs de la vie psychique ”, Tr. 1, Stanislavski, 1954-1961, II, p. 303.

529.

Ibid., p. 301.

530.

Ibid., p. 304.

531.

“ Lignes d’impulsion des moteurs de la vie psychique ”, Tr. 1, Stanislavski, 1954-1961, II, p. 308-309.

532.

En français dans le texte (N. d. T.)

533.

“ Lignes d’impulsion des moteurs de la vie psychique ”, Tr. 1, Stanislavski, 1954-1961, II, p. 309-310.

534.

1450 b 34.

535.

« archè mèn oûn kaì oîon psuchè o mûthos tès tragôdías », « l’histoire est donc le principe et comme l’âme de la tragédie », Poétique, 1450 a 38.

536.

« La communication », Tr. 1, Stanislavski, p. 251-252.