Texte N° 1. Préface du Travail de l’acteur sur soi 598

PREFACE

J’ai le projet d’un grand ouvrage en plusieurs volumes sur l’art [masterstvo] de l’acteur (ce qu’on appelle « le système de Stanislavski »).

Le livre Ma Vie dans l’art,déjà publié, représente le premier volume et se trouve être l’introduction à cet ouvrage.

Le présent livre, consacré au « travail sur soi » au cours du processus créateur de « la vie éprouvée » [pereživanie], en est le second volume.

Tout prochainement, je vais commencer à composer le troisième tome qui traitera du « travail sur soi » au cours du processus créateur de « l’incarnation » [voploščenie] 599 .

Je consacrerai le quatrième volume au « travail sur le rôle ».

En même temps que ce livre j’aurais du publier une sorte de livre d’exercices [zadačnik] avec toute une série d’exercices conseillés (« Entraînement et dressage »)

Je ne le fais pas maintenant pour ne pas me distraire de la ligne principale de mon grand ouvrage que je considère comme plus essentielle et plus urgente.

Dès que les principes les plus importants du « système » auront été transmis je commencerai la compilation du livre annexe d’exercices.

  • 2.

Aussi bien ce livre que ceux qui le suivront n’ont pas de prétention scientifique. Leur but est uniquement pratique. Ils cherchent à transmettre ce que m’a appris une longue expérience d’acteur, de metteur en scène [režissër] et de pédagogue.

  • 3.

La terminologie dont je me sers dans ce livre n’est pas inventée par moi, mais empruntée à la pratique, des élèves eux-mêmes et des acteurs [artisty] débutants. Ils ont défini dans le travail même leurs sensations artistiques [tvorčeskie oščjuščenija] en des dénominations verbales. Leur terminologie est précieuse en ce qu’elle est compréhensible et proche pour les débutants.

N’y cherchez pas des racines scientifiques. Nous avons notre propre lexique théâtral, notre jargon d’acteur élaboré par la vie elle-même. Il est vrai que nous utilisons aussi des termes scientifiques, par exemple « le subconscient » [podsoznaie], « l’intuition », mais ils sont utilisés par nous non au sens philosophique, mais dans leur sens le plus simple, le plus ordinaire. Ce n’est pas notre faute si le domaine de la création scénique [sceničeskoe tvorčestvo] est méprisé par la science, s’il est resté inexploré et si l’on ne nous a pas donné les mots indispensables à l’activité pratique. Il a bien fallu se tirer d’affaire par ses propres moyens, pour ainsi dire domestiques.

  • 4.

Une des tâches principales du « système » consiste à exciter de façon naturelle l’activité artistique [tvorčestvo] de la nature organique avec son subconscient.

Il est question de ce point dans le XVIe chapitre de ce livre. Il convient de prêter une attention toute particulière à cette partie qui contient l’essence de l’activité artistique et de tout le « système ».

  • 5.

On doit parler d’art et écrire sur l’art de façon simple et compréhensible. Les termes savants effraient l’élève. Ils énervent le cerveau et non le cœur. Et lorsque vient le moment de la création [moment tvorčestva] l’intellect humain comprime l’émotion artistique et le subconscient [podsoznaie] qui l’accompagne, alors que notre courant artistique leur accorde une place importante.

Mais parler et écrire « simplement » à propos d’un processus de création [tvorčeskij process] complexe est difficile. Les mots sont trop concrets et trop grossiers pour rendre compte de sensations inconscientes imperceptibles.

C’est cette circonstance qui m’a contraint à chercher pour ce livre une forme particulière, permettant au lecteur de ressentir ce dont il s’agit dans les mots imprimés. J’essaie d’y parvenir à travers des exemples imagés [obraznyje primery], par la description du travail d’école des élèves sur des exercices et des études [etjudy].

Si mon procédé réussit, alors les mots imprimés tireront leur vie des sentiments des lecteurs eux-mêmes. Il me sera alors possible de leur expliquer l’essence de notre travail artistique [tvorčeskaja rabota] et les principes de la psychotechnique.

  • 6.

Les écoles dramatiques dont je parle dans ce livre, les personnes qui y travaillent n’existent pas dans la réalité.

Le travail sur ce que l’on appelle le « système de Stanislavski » a commencé il y a longtemps. Dans un premier temps, je notai mes réflexions non pour qu’elles soient imprimées, mais pour moi, comme une aide pour les recherches menées dans le domaine de notre art et de sa psychotechnique. Bien sûr, les personnes, les expressions, les exemples dont j’avais besoin comme illustration étaient pris dans cette époque d’autrefois, lointaine, d’avant-guerre (1907-1914).

Ainsi, imperceptiblement, d’année en année, j’accumulai des matériaux importants pour le « système ». Maintenant, de ces matériaux est né un livre.

Il serait trop long et difficile d’en changer les protagonistes. Encore plus difficile de concilier les exemples, les expressions particulières empruntés au passé avec le mode de vie [byt] et le caractère des hommes nouveaux, soviétiques d’aujourd’hui. Il faudrait changer les exemples et chercher d’autres expressions. C’est encore plus long et plus difficile à faire.

Mais ce sur quoi j’écris dans ce livre ne se rapporte pas à une époque particulière ni à ceux qui l’ont vécue, mais à la nature organique de tous ceux qui ont un tempérament artistique [ljudi artističeskogo sklada], de toute origine et à toute époque.

La répétition fréquente des mêmes idées qui me semblent importantes est délibérée.

Que le lecteur me pardonne cette insistance.

  • 7.

En conclusion, je pense m’acquitter d’un devoir agréable en remerciant les personnes qui m’ont aidé d’une façon ou d’une autre dans le travail sur ce livre par leurs conseils, leurs indications, leurs textes etc.

Dans le livre Ma Vie dans l’art j’ai parlé du rôle qu’ont joué dans ma vie artistique mes premiers maîtres : G. N. Fedotova et A. F. Fedotov, N. M. Medvedeva, F. P. Komisarjesvki qui, les premiers, m’ont appris à approcher l’art, ainsi que mes camarades du Théâtre d’Art de Moscou, avec Vl. Iv. Nemirovitch-Dantchenko à leur tête, qui dans le travail commun m’ont appris beaucoup de choses et beaucoup de choses extraordinairement importantes. J’ai toujours pensé à eux avec une très vive reconnaissance et particulièrement aujourd’hui lorsque ce livre est publié.

Passant maintenant aux personnes qui m’ont aidé à mettre en œuvre ce que l’on appelle « le système », dans la venue au jour et l’édition de ce livre. Je m’adresse avant tout à mes compagnons indéfectibles et mes fidèles assistants dans mon activité scénique. C’est avec eux que j’ai commencé mon travail artistique dans ma prime jeunesse et c’est encore avec eux que je continue à servir mon métier aujourd’hui dans la vieillesse. Je parle de Z. S. Sokolova, acteur émérite de la République et de V. S. Alekseïev, acteur émérite de la République, qui m’ont aidé à mettre en pratique ce que l’on appelle « le système ».

C’est avec une profonde reconnaissance et avec amour que je garde la mémoire de mon défunt ami L. A. Soulerjitski. Il fut le premier à reconnaître mes premières expériences sur le système, il m’aida à l’élaborer au tout début et à le mettre en pratique, il m’encouragea dans les moments de doute et de baisse d’énergie.

N. V. Demidov, metteur en scène et professeur au Théâtre lyrique qui porte mon nom, m’a été d’un grand secours lors de la mise en pratique du « système » et pendant l’élaboration de ce livre. Il m’a donné de précieux conseils, fourni des matériaux, des exemples. Il m’a fait part de son jugement sur le livre et trouvé les erreurs que j’avais commises. C’est avec plaisir que je puis maintenant lui exprimer ma gratitude pour son aide.

Je suis de tout cœur reconnaissant à M. N. Kedrov, acteur émérite de la République, acteur du Théâtre d’Art de Moscou pour son aide dans la mise en pratique du « système », pour ses remarques et ses critiques lors de la lecture du manuscrit de ce livre.

Je suis également très reconnaissant à N. A. Podgorny acteur émérite de la République, acteur du Théâtre d’Art de Moscou, qui m’a fait part de ses remarques lors des relectures du manuscrit.

J’exprime ma profonde reconnaissance à E. N. Semianovski qui a pris sur elle la lourde tâche de la préparation de l’édition de ce livre et qui a accompli cette tâche importante avec une compétence et un talent extraordinaires.

K. Stanislavski

Notes
598.

“Préface”, Tr. 1, Stanislavski, 1954-1961, II, pp. 5-8.

599.

Ouvrage traduit couramment en français sous le titre de La construction du personnage (Building a character) (N.d.T.).